WASHINGTON | Le président américain Donald Trump a signé vendredi une déclaration d’«urgence nationale» - procédure exceptionnelle - pour financer le mur qu’il a promis à la frontière mexicaine, ouvrant une féroce bataille judiciaire avec ses opposants.
«Tout le monde sait que les murs fonctionnent», a martelé M. Trump depuis les jardins de la Maison-Blanche lors d’une conférence de presse particulièrement décousue où il a évoqué une «invasion» de drogue et de criminels.
Cette procédure devrait lui permettre de contourner le Congrès afin de débloquer des fonds fédéraux --notamment destinés au Pentagone-- pour construire son ouvrage phare contre l’immigration clandestine.
Au total, et en comptabilisant les 1,4 milliard de dollars débloqués par le Congrès, il pourrait, selon la Maison-Blanche, disposer de quelque 8 milliards pour la construction de cet édifice maintes fois promis sur les estrades de campagne.
Les chefs de l’opposition démocrate, qui conteste l’existence d’une urgence sécuritaire à la frontière, ont immédiatement dénoncé une initiative anticonstitutionnelle, jugeant que la démarche présidentielle allait à l’encontre du principe de la séparation des pouvoirs.
«La déclaration illégale du président, partant d’une crise qui n’existe pas, porte un coup violent à notre Constitution et rend l’Amérique moins sûre, ont écrit Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, et Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat.
«Rendez-vous devant la justice»
Le président a confié s’attendre à ce que des poursuites judiciaires soient lancées contre sa déclaration d’urgence nationale.
«Heureusement nous allons gagner», a-t-il ajouté, affichant une confiance sans doute confortée par les juges conservateurs qu’il a nommés à la Cour suprême, l’instance judiciaire suprême du pays.
L’État de New York, un bastion démocrate, a très vite déclaré qu’il allait saisir les tribunaux. «La Californie vous donne rendez-vous devant la justice», a lancé de son côté le gouverneur de Californie Gavin Newsom.
Les opposants de M. Trump voient dans cette décision la basse manoeuvre politique d’un président affaibli par la perte de la Chambre des représentants en novembre et son spectaculaire recul fin janvier dans le bras de fer qu’il avait engagé avec le Congrès sur l’immigration.La Maison-Blanche assure de son côté que cette initiative est la marque d’un homme qui n’oublie pas ses promesses une fois arrivé au pouvoir.
Donald Trump, qui a désormais les yeux rivés sur la présidentielle de 2020, espère qu’elle lui permettra, une nouvelle fois, de galvaniser sa base électorale sur la question de l’immigration.
La décision du président américain, qui a prévu de s’envoler dans l’après-midi pour passer le week-end dans son club luxueux de Mar-a-Lago, en Floride, s’accompagne de celle de signer un compromis budgétaire qui marque la fin de longues tractations entre démocrates et républicains afin de financer les services publics fédéraux.
«Invocation illégitime»
«Honte à tout membre du Congrès qui ne s’opposera pas clairement et vigoureusement à cette invocation illégitime» d’une urgence nationale, a tonné la puissante organisation américaine de défense des libertés civiles, ACLU.
Plusieurs présidents des États-Unis ont par le passé eu recours à ces moyens exceptionnels, mais dans des circonstances très différentes et beaucoup moins controversées.
Jimmy Carter avait invoqué l’urgence après la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran en 1979. George W. Bush l’avait fait après les attentats du 11 septembre 2001. Et Barack Obama y avait eu recours lors de l’épidémie de grippe H1N1.
Pour Peter Schuck, professeur émérite de droit à l’université de Yale, «le fait que le président puisse avoir le pouvoir de gaspiller des milliards de dollars au nom d’une promesse de campagne idiote est, en soi, scandaleux».
Dans une tribune publiée par le New York Times, il estime que le Congrès devrait définir plus rigoureusement les conditions dans lesquelles le président peut avoir recours au «National Emergencies Act», voté en 1976.
«Sur le long terme, ce sujet est autrement crucial pour la vitalité de notre démocratie que le fait de savoir si le président Trump aura finalement son mur», estime-t-il.
Avant de s’envoler pour la Floride, le président américain devrait signer la loi de financement approuvée jeudi à une large majorité au Sénat, contrôlé par les républicains, puis à la Chambre des représentants, contrôlée par les démocrates.
Elle ne comprend qu’un quart du budget qu’il réclamait haut et fort depuis des mois pour son édifice frontalier (1,4 milliard de dollars contre 5,7 milliards demandés). Et dans un combat politique qui est aussi chargé en symboles, elle ne mentionne pas le mot «mur», lui préférant «barrière» ou «clôture».
Dans un communiqué publié à l’issue de la conférence de presse de Donald Trump, où il a également évoqué, pêle-mêle, la Chine, la Syrie, la Corée du Nord et les journalistes «Fake news», la Maison-Blanche a évoqué la «victoire» du président américain sur la sécurité aux frontières