Il n’aura fallu que deux petites minutes à Alexandre Bissonnette pour tuer six personnes et en blesser plusieurs autres avec une arme automatique le 29 janvier 2017, révèlent les enregistrements vidéo des caméras de surveillance présentés mercredi au palais de justice de Québec.
Les six vidéos extraites des caméras de surveillance de la grande mosquée montrent à quel point le tueur a agi rapidement : il est 19 h 54 quand il apparaît pour la première fois, marchant vers la mosquée, et 19 h 56 lorsqu’il en sort.
On constate dès lors que le sort des victimes s’est joué en quelques secondes. Ainsi, à 19 h 53 et 27 secondes, on voit un homme quitter paisiblement le Centre culturel islamique (CCIQ) au terme de la prière du dimanche. C’est seulement quatre secondes plus tard qu’Alexandre Bissonnette entre en scène, faisant des deux prochains hommes à franchir la porte ses deux premières victimes.
Frappées par un interdit de diffusion, ces images ont été présentées par la Couronne sous haute surveillance mercredi après-midi dans le cadre des observations sur la peine. À la demande du juge François Huot, tous les membres du public qui se trouvaient alors dans la salle ont dû confier leur appareil mobile aux agents de sécurité.
En matinée, le juge avait ordonné que les vidéos ne soient présentées qu’en cour et ne puissent pas être diffusées par les médias, comme ce qui se fait en temps normal pour les éléments de preuve utilisés devant les tribunaux. « L’ordonnance portera peu atteinte au droit à la libre expression et à la liberté de presse », avait-il dit en soulignant que les journalistes présents pourraient ensuite en relater le contenu. « Les médias pourront rapporter toute la preuve. […] Le public sera dûment informé et renseigné sur le contenu des enregistrements. »
Avant la présentation des vidéos dans la salle d’audience, le magistrat a enjoint les gens du public à ne pas rester pour la regarder. « Je ne peux m’empêcher, non pas comme juge mais comme homme, de vous conseiller d’y penser deux ou trois fois avant de visionner ces images », a-t-il dit en s’adressant aux proches des victimes en particulier. Parlant « d’images difficiles et brutales », il a ajouté : « à mon humble avis, elles vous apporteront bien peu dans le processus de guérison que vous avez amorcé. Mon humble conseil serait de vous éviter bien de la peine en les visionnant. »
Finalement, une trentaine de personnes sont restées dans la salle, dont une veuve, le président de la mosquée, Mohamed Labidi, et Aymen Derbali, l’un des blessés, resté lourdement handicapé. Plusieurs pleuraient pendant la présentation détaillée qu’en a faite la Couronne. Pendant ce temps, derrière la vitre qui le séparait du public, Alexandre Bissonnette est resté assis, tête baissée, sans qu’on puisse voir son regard.
Méthodique et stratégique
L’homme de 28 ans a plaidé coupable aux accusations de meurtres qui pesaient contre lui. Le tribunal doit maintenant déterminer la durée de sa peine d’emprisonnement, et c’était au tour de la Couronne de commencer à présenter ses arguments, mercredi.
Dans l’analyse qu’il a faite des vidéos, le procureur Thomas Jacques a parlé d’un « carnage » et a décrit les « gestes atroces » perpétrés par Alexandre Bissonnette. Il a attiré l’attention du juge sur le fait que le meurtrier avait rechargé son arme à quatre reprises, en retournant à chaque fois dans le portique de la mosquée, un « endroit plus sécuritaire pour lui ». Cette façon de procéder, a-t-il dit, lui a permis « de retourner de nouveau poursuivre son carnage à l’intérieur de la grande mosquée ». Une opération qu’il a répétée « stratégiquement » et « de façon méthodique ».
Le ministère public compte réclamer « une peine qui reflète l’ampleur du crime commis et [les] conséquences de ces événements tragiques », avait déclaré M. Jacques un peu après les aveux de culpabilité de l’homme de 28 ans la semaine dernière.
D’au minimum 25 ans, la peine pourrait s’élever jusqu’à 150 ans en cumulant les condamnations pour chacun des meurtres.
Des enfants et des héros
La présentation de la vidéo a aussi permis d’éclaircir le rôle joué par celui que les policiers avaient pris à tort pour un second tireur. Bénévole au CCIQ, Mohamed Belkhadir était sorti un peu avant les autres pour déneiger les marches menant au stationnement « afin de s’assurer que les fidèles qui sortent de la grande mosquée ne se blessent pas en sortant », a expliqué le procureur.
Or, M. Belkhadir se trouvait du côté est, alors qu’Alexandre Bissonnette est arrivé de l’autre côté de la mosquée, à l’ouest. Alerté par un couple qui avait entendu des coups de feu, M. Belkhadir s’est ensuite caché pour appeler la police. Le téléphone en main, on le voit revenir sur les lieux du drame et trouver deux hommes sur le sol. On le voit poser son manteau sur l’une des deux victimes, « afin de le garder au chaud », lorsque les premiers policiers arrivent sur les lieux, l’arme au poing.
« Il n’a vu que l’arme braquée sur lui », a expliqué le procureur Jacques. « Ignorant qui était le suspect, il a pris panique. Croyant qu’il s’agissait de l’individu qui avait causé tout le carnage dont il avait pris connaissance, il s’est enfui. » C’est alors qu’il a été arrêté.
Le ministère public a aussi insisté sur le courage de celui que plusieurs ont qualifié de héros au lendemain du drame. Les caméras de surveillance montrent en effet l’épicier Azzedine Soufiane se jeter sur Alexandre Bissonnette, près du portique, avant d’être abattu. Une autre caméra permet de voir en outre les gens chercher à se cacher dans une minuscule pièce sans porte, au fond de la salle.
Les images révèlent également la présence de trois garçons qui jouent par terre tranquillement à l’entrée de la salle, avant que ne retentissent les premiers tirs et que des hommes viennent les chercher en courant. Une autre caméra montre qu’une fillette se trouvait au milieu de la zone de tir, au fond de la salle de prière.
Au terme de la présentation des vidéos, le juge a ajourné l’audience d’un ton grave en souhaitant une bonne soirée à tous, avant la reprise des travaux jeudi matin.
À la sortie de la salle, le président de la mosquée, Mohamed Labidi, a expliqué aux journalistes que la décision de regarder ces images avait été pour lui un choix « déchirant », mais qu’il avait d’abord voulu rester pour bien jouer son rôle de porte-parole. « Je voulais avoir la vraie version. » Et d’ajouter qu’il voulait aussi « voir le côté héroïque de personnes comme Azzedine Soufiane ».