L'appel de Bernard Descôteaux à une vraie consultation pour examiner le projet Griffintown dans toute sa complexité ([Le Devoir, le 21 janvier 2008->11381]) rappelle l'enjeu plus large du développement urbain à Montréal, question d'autant plus pertinente que la Ville de Montréal ne dispose plus d'un service d'urbanisme à la suite des réformes et des décentralisations.
En 2008, cette lacune est d'autant plus aberrante que Montréal, ville UNESCO de design, aspire au titre de métropole culturelle, de ville du savoir et de phare du développement urbain durable. Certes, il y a des professionnels qualifiés en arrondissements, mais ils veillent d'abord aux intérêts locaux, parfois en délaissant des éléments d'intérêt pan-montréalais du plan d'urbanisme, comme l'impact des projets sur la vitalité du centre-ville.
Des défis à relever
L'histoire démontre que les villes figurent parmi les plus grandes réalisations de la civilisation. Complexes depuis des siècles, leur construction, leur adaptation et leur administration posent aujourd'hui des défis de taille. Comme les autres métropoles, Montréal doit relever le défi de maintenir un équilibre dynamique et cohérent entre bien commun et intérêts particuliers, entre court et long terme.
En 1992, puis en 2004, Montréal s'est donc doté d'un plan d'urbanisme adopté à la suite d'un vaste exercice démocratique de consultation mené par l'Office de consultation publique. Ce plan constitue un véritable pacte social et un outil de développement cohérent. Ses principes s'inspirent des leçons des succès de bâtisseurs privés, publics ou communautaires: par exemple, les quartiers coopératifs Milton Parc ou Pointe-Saint-Charles, l'avenue McGill College, le Quartier international ou les outils de gestion du patrimoine bâti sur le Plateau Mont-Royal.
Depuis 1975, Héritage Montréal participe au débat public sur la protection, la mise en valeur et le développement de Montréal et de son patrimoine. Nous dégageons de cette expérience cinq principes d'excellence qui s'appliquent aux étapes de planification, de conception architecturale, d'analyse, de réalisation et de gestion de projets immobiliers ou d'aménagements. Ces principes servent tant aux projets d'envergure métropolitaine qu'à d'autres interventions aux effets plus locaux et intéressent les propriétaires, les investisseurs, les citoyens et les pouvoirs publics.
1. Pertinence et recevabilité
Le projet démontre-t-il sa pertinence et son apport réel au patrimoine collectif et à la vitalité urbaine de Montréal et de ses quartiers? Avant de discuter d'une couleur de brique, on doit se demander si le projet est recevable, à plus forte raison s'il exige de déroger au plan ou aux règles d'urbanisme.
Certains proposent un pari audacieux mais néanmoins recevable. D'autres sont simplement irrecevables malgré le mirage éblouissant des millions. S'il est pertinent de revitaliser un quartier assoupi ou de réduire les pressions immobilières sur des environnements patrimoniaux, tous les modèles de revitalisation ou d'aménagement ne sont pas recevables compte tenu de leur caractère, de leur échelle ou des conséquences négatives sur d'autres quartiers.
2. Contexte urbain et humain
Le projet repose-t-il sur une connaissance solide du milieu urbain, son histoire, son patrimoine et son architecture, sa vie communautaire, ses dimensions culturelles ou économiques et, surtout, sa dimension humaine?
Beaucoup de quartiers montréalais portent les séquelles de l'attitude «projet = objet» de nombreux promoteurs et concepteurs des années 1970, qui fut désastreuse pour l'ADN urbain, l'échelle, la personnalité ou la promenabilité de notre ville. Ces impacts se limitent rarement aux frontières administratives et politiques et créent des divisions qui fragmentent Montréal et servent d'excuses pour traiter les projets isolément et de manière complaisante.
3. Processus crédible, inclusif et exemplaire
L'élaboration et l'analyse du projet sont-elles crédibles et rigoureuses? Tiennent-elles compte de la complexité et de la diversité des impacts du projet sur les quartiers ou leur patrimoine? Le choix de professionnels compétents ainsi que la qualité des consultations en amont contribuent-ils à l'excellence d'un projet?
En 1988, Montréal s'est donné une politique de consultation pour une métropole moderne. Aboli en 1994, puis rétabli en 2001, ce cadre est de nouveau contesté par l'administration, qui fait fi de l'Office de consultation publique. On craint le retour des consultations à la carte et des «veillées» d'il y a dix ans, dominées par les intérêts partisans au détriment de Montréal.
Le foisonnement d'expériences de concertation et autres processus, parfois commandés par les promoteurs à des consultants pour préparer le terrain, est intéressant. Mais il ne saurait remplacer de véritables consultations menées par une instance indépendante et crédible comme l'Office de consultation publique, qui entend les citoyens en public, rend acte des opinions reçues et fournit des avis aux élus pour aider leur prise de décision.
4. Innovation
Le projet apporte-t-il des innovations quant aux usages, à l'architecture ou à la réponse aux enjeux urbains, patrimoniaux ou environnementaux? La créativité et l'innovation sont des traits qu'on admire dans le patrimoine que nous ont légué les bâtisseurs passés. Tout indique que les architectes et les promoteurs contemporains disposent du talent et de l'ingéniosité pour enrichir notre patrimoine collectif, et ce, autrement qu'avec des clichés marketing comme l'expression «résolument contemporain» ou les certifications LEED.
Mais il faut aussi innover, et ce, tant dans la forme que dans le processus d'élaboration du projet et les mécanismes objectifs favorisant le dialogue et la participation de la population. C'est moins photogénique mais bien essentiel, et ce, surtout avec de grands projets qui proposent de créer des quartiers novateurs dont la réalisation demandera plusieurs années, voire des décennies.
5. Durabilité
Le projet contribuera-t-il autant à la vitalité de Montréal et de ses quartiers ou à son architecture le jour de son inauguration que 25 ans plus tard? Au-delà des aspects environnementaux, faire du «développement durable» nécessite une conception architecturale qui passera le test du temps tant sur le plan de la fonctionnalité que sur celui du choix de matériaux de qualité qu'on peut entretenir et faire durer.
Depuis des siècles, l'architecture et l'urbanisme sont des arts qui s'inscrivent dans le temps à venir. Il faut leur donner la confiance et les moyens d'assumer cette responsabilité. La conservation et l'adaptation du patrimoine bâti plutôt que sa démolition est une application concrète du principe de ce développement urbain durable.
Des projets sous examen
Sur ces principes, Héritage Montréal examine les forces et lacunes de projets publics, privés ou institutionnels. Par exemple:
- le campus Outremont (Université de Montréal) réduira la pression immobilière sur le mont Royal, mais sa planification demande une perspective sous l'angle de la métropole plutôt qu'uniquement sous celui de l'arrondissement;
- l'agrandissement commercial du stade Molson de l'université McGill pour les Alouettes aidera ces deux institutions mais illustre la faiblesse des protecteurs du mont Royal, qui l'ont jugé recevable avec des ajustements cosmétiques;
- le quartier Griffintown demande que le patrimoine soit pris en compte dans sa diversité -- cadastre, tracé des rues, bâtiments, archéologie, vues, toponymie --, qu'on vise une revitalisation véritable fondée sur l'intensification des usages dans un bâti diversifié plutôt qu'une densification monochrome et, enfin, qu'on adopte une vision d'aménagement du secteur en relation avec le Vieux-Montréal, le centre-ville et les quartiers voisins. Ces demandes élémentaires devraient d'abord être celles des pouvoirs publics qui annoncent vouloir appliquer les pouvoirs de réserve ou d'expropriation pour servir ce projet privé.
Vigilance des citoyens
On ne peut blâmer les promoteurs pour l'absence d'un véritable service d'urbanisme montréalais, pour le rejet des processus crédibles de l'Office de consultation publique ou pour la sollicitation tardive du Conseil du patrimoine. Ce sont pourtant des moyens intelligents d'éviter que la vigilance citoyenne se traduise en méfiance paralysante. Ils apportent le degré d'exigence dont Montréal a besoin pour atteindre l'excellence qu'il recherche dans son développement.
Plus que n'importe quelle autre ville en Amérique du Nord, Montréal a donc le défi de bâtir son avenir en tenant compte de son ADN urbain, ce riche patrimoine légué par des générations de bâtisseurs visionnaires et audacieux. Voilà le défi d'un véritable développement urbain «à la montréalaise».
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Robert Turgeon, Directeur des politiques chez Héritage Montréal
Dinu Bumbaru, Président du conseil d'administration chez Héritage Montréal
- source
Développement urbain de qualité à Montréal
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