WE CHARITY

Des milliers de pages pour éclairer la controverse UNIS

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Le programme a été spécifiquement adopté pour l'organisme proche de la famille Trudeau


Des milliers de pages de documents nouvellement dévoilés semblent appuyer la prétention du gouvernement Trudeau selon laquelle ce sont des fonctionnaires fédéraux qui ont recommandé qu'un programme d'aide aux étudiants soit administré par l'organisme WE Charity (UNIS).




Les documents laissent aussi à penser que ces fonctionnaires ont été incités à émettre cette recommandation sous la pression de leurs dirigeants politiques.


Le dossier de plus de 5000 pages a été déposé il y a près de deux semaines au Comité permanent des finances de la Chambre des communes.


Il n'a toutefois pas été remis aux membres du Comité, car ils faisaient l'objet d'une protection légale devant assurer que leur contenu ne puisse violer des renseignements personnels ou des conversations privées de membres du cabinet.



Les documents ont finalement été dévoilés tard mardi aux membres du Comité permanent des finances de la Chambre des communes, à la demande du premier ministre Justin Trudeau alors qu'il annonçait la prorogation des travaux des Communes jusqu'au 23 septembre.


La suspension des travaux du Parlement a pour effet de mettre un terme aux travaux des quatre comités des Communes qui se penchaient sur l'affaire. Ils pourraient reprendre lors de la nouvelle session parlementaire.


La fin de la controverse?


En prenant la décision de les transmettre directement aux membres du Comité, le premier ministre Trudeau a possiblement espéré que la controverse que ces documents suscitent soit évacuée plusieurs semaines avant cette reprise.


Le premier ministre a indiqué mardi que son discours du Trône de l'automne visait à mettre le pays sur la voie de la reprise économique après les impacts désastreux de la pandémie de la COVID-19.


Le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique a ouvert une enquête sur un possible conflit d'intérêts à propos de WE Charity qui impliquerait le premier ministre Trudeau et son ancien ministre des Finances, Bill Morneau, qui a annoncé son départ de la sphère politique lundi soir dernier.


Le premier ministre Justin Trudeau en compagnie de son ministre des Finances Bill Morneau

L'ex-ministre Bill Morneau et le premier ministre Trudeau en avant-plan


Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick




Que disent les documents?


Plusieurs des documents publiés viennent appuyer la version des faits de M. Trudeau. Ils montrent aussi que la ministre de la Jeunesse, Bardish Chagger s'est assurée que l'organisme UNIS se retrouve sur le radar des fonctionnaires et du personnel politique du ministre des Finances.



Ils révèlent que Mme Chagger a parlé à l'un des cofondateurs d'UNIS, Craig Kielburger, le 17 avril, pour discuter d'une première proposition faite par l'organisme. UNIS avait proposé un programme entrepreneuriat social pour les jeunes du pays.


Dans un courriel du 22 avril, on peut lire que M. Kielburger remercie Mme Chagger d'avoir écouté la proposition, finalement non retenue par le gouvernement, avant d'ajouter : Notre équipe de fin de semaine a aussi travaillé fort pour adapter votre suggestion d'une deuxième filière portant sur une occasion de service pour l'été.


Le 19 avril, la sous-ministre adjointe principale à Emploi et Développement social Canada (EDSC), Rachel Wernick, avait aussi demandé la permission de discuter avec M. Kielburger d'un projet sur lequel nous travaillons qui pourrait intéresser UNIS.


La même journée, la sous-ministre adjointe aux Finances, Michelle Kovacevic, affirme qu'ESDC pense qu'UNIS pourrait être impliqué dans le programme. La mission d'UNIS est compatible avec [l'idée] d'un service national et ils sont très suivis sur les médias sociaux, écrit-elle.


Le 20 avril, un conseiller politique du ministre des Finances Bill Morneau, Amitpal Singh, envoie un courriel à Mme Kovacevic pour lui indiquer qu'il a parlé à des gens d'UNIS. Nous devrions recevoir un document mis à jour de leur part, et dès que nous aurons l'approbation politique, nous devrions les joindre et les intégrer, écrit-il.


Mme Kovacevic lui répond : Je crois que c'est le bon organisme pour faire un appel à l'action pour un service national.


Le 21 avril, une dirigeante d'UNIS, Sofia Marquez, envoie à M. Singh le document mis à jour. Il prévoyait le recrutement de 20 000 jeunes pour des activités de bénévolat. Un énorme MERCI – vous avez été très utile, lui écrit-elle.


Mis en relation par M. Singh, Mmes Kovacevic et Marquez s'échangent des messages deux jours plus tard pour se donner un rendez-vous téléphonique.


Des liens clairs avec la famille Trudeau


Si les bureaucrates impliqués dans le dossier n'étaient pas au courant des liens que M. Trudeau et des membres de sa famille entretenaient avec UNIS, l'organisme ne leur a pas caché l'information.


Dans le document mis à jour envoyé à M. Singh, UNIS avait inclus des photos de ses ambassadeurs les plus célèbres, dont la mère et la femme du premier ministre, Margaret Trudeau et Sophie Grégoire Trudeau.


Les documents publiés mardi par le comité des Finances soulignent néanmoins clairement que les fonctionnaires estimaient bel et bien qu'UNIS était le seul organisme apte à gérer le programme de Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant.


Une note d'ESDC datée du 30 avril assure que le ministère n'est pas en mesure de le faire, puisqu'aucun mécanisme n'existe actuellement pour offrir directement des bourses de ce genre à un grand nombre de jeunes. Au nom de la rapidité et de la simplicité, un tiers parti doit administrer ce programme.


Mme Wernick, qui a admis avoir recommandé le recours à UNIS lors d'un témoignage devant le comité, écrit en outre le 13 mai que Service jeunesse Canada (SJC), ne pouvait pas recevoir le mandat non plus.


Tous les partenaires de SJC peinent à livrer les programmes existants, et ils n'ont pas la capacité de faire plus de placements de bénévoles, écrit-elle. Elle souligne en outre que les programmes communautaires dans lesquels SJC est impliqué n'ont pas été conçus pour des activités de bénévolat liés à la pandémie.


Le 14 mai, un responsable du Conseil privé, le ministère du premier ministre, indique en outre à un bureaucrate que le bureau de M. Trudeau s'oppose à la proposition originale de confier la gestion du programme à WE qui avait été préparée pour approbation du Cabinet le 8 mai.


Ces informations tendent à confirmer des informations livrées par le premier ministre lors de son témoignage devant le comité des finances des Communes le 30 juillet. M. Trudeau avait alors affirmé qu'il avait repoussé une première proposition le 8 mai, afin que de plus amples vérifications soient faites.


Il avait aussi affirmé qu'il s'était demandé pourquoi Service jeunesse Canada ne pouvait pas gérer ce programme.


La proposition d'aller de l'avant avec le programme de BCBE et de le confier à UNIS a finalement été approuvée le 22 mai, après avoir reçu le feu vert du greffier du Conseil privé, Ian Shugart.


M. Trudeau a finalement annoncé qu'UNIS allait gérer le programme le 25 juin, déclenchant une controverse en raison des liens que lui et des membres de sa famille entretiennent avec l'organisme.


Un message texte envoyé le 30 juin par un sous-ministre de Mme Chagger, Graham Flack, montre que le gouvernement n'a pas anticipé ce qui allait se produire.


Plus j'y pense, plus je crois que vous ne devriez pas vous inquiéter, écrit-il à la sous-ministre adjointe Wernick. C'était votre seule option étant donné l'échéancier et c'était votre recommandation.


Le côté politique comprenait que ce serait critiqué, mais c'était la bonne chose à faire. Ça fait du bruit, mais c'est la politique, ajoute-t-il.


Mme Wernick lui répond que son équipe a travaillé très fort pour que le programme soit un succès. C'est difficile de voir comment cela est dépeint. J'imagine que j'ai sous-estimé à quel point la politique entrerait en jeu, écrit-elle.


UNIS s'est finalement désisté du programme le 3 juillet, mais la controverse se poursuit encore à ce jour, et le programme de BCBE, officiellement revenu dans le giron de la fonction publique, n'a toujours pas été mis en oeuvre.


Pierre Poilièvre tient entre ses mains une page presque complètement noircie.

Le député conservateur Pierre Poilièvre s'est offusqué que certaines pages des documents rendus publics mardi soir soient caviardées.


Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick




Les conservateurs outrés


En conférence de presse mercredi matin, le porte-parole du Parti conservateur en matière de finances, Pierre Poilievre, a affirmé que les révélations que contiennent ces documents expliquent pourquoi le premier ministre a voulu mettre un terme aux enquêtes parlementaires en cours en prorogeant le Parlement.


C'est clair selon les documents [...] que [ce sont] les bureaux des ministres, y compris le bureau du premier ministre, qui ont mené à la décision de donner ce contrat à l’organisme UNIS, qui a versé 500 000 $ en honoraires ou en frais à des membres de la famille du premier ministre, a-t-il dit.


M. Poilievre a en outre dénoncé le fait que certaines pages des documents aient été caviardées. Cela inclut notamment un courriel envoyé directement au ministre des Finances Bill Morneau par Craig Kielburger le 26 avril.


Le premier ministre dit qu'il n'a rien à cacher, mais il y en a beaucoup de caché!, s'est-il emporté, dénonçant du camouflage (cover up).


On aimerait poser des questions, au comité [des finances], mais pourquoi n’est-on pas capable de le faire? Parce que le premier ministre a prorogé le Parlement. Il a fermé tous les comités, a-t-il poursuivi.



C’est intéressant que la même journée où ces documents caviardés ont été livrés au public, le premier ministre a décidé de fermer toutes les enquêtes. Quelle coïncidence! Donc, c'est clair, Justin Trudeau a quelque chose à cacher.


Pierre Poilievre, porte-parole du Parti conservateur en matière de Finances


M. Poilievre, qui siège au comité des Finances, pense d'ailleurs que Justin Trudeau aimerait [....] tenir une élection avant que la vérité soit connue, alors que le Parti conservateur souhaite, selon lui, que les Canadiens sachent la vérité avant de voter.




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