Alors que l'administration Trump veut construire un mur à la frontière sud des États-Unis, certains responsables américains s'inquiètent de plus en plus du nombre de migrants qui entrent clandestinement sur le territoire américain par la frontière nord.
Les personnes qui traversent la frontière entre le Québec et le Vermont versent aux passeurs jusqu'à 4000 $ US, habituellement payables lorsqu'elles atteignent leur destination américaine, indiquent des responsables et des documents judiciaires.
Alors que le nombre d'arrestations à la frontière avec le Canada est minime comparativement à celles qui ont lieu à la frontière sud, les passeurs sont tout aussi sophistiqués.
«Ils sont très bien organisés, ils ont étudié la région et ils nous ont surveillés, explique Richard Ross, un agent de la police des frontières des États-Unis. En gros, nous ne traitons pas avec des amateurs, mais avec des professionnels.»
Selon les autorités américaines, l'augmentation du nombre de passages clandestins à la frontière nord découle de la relative facilité avec laquelle certains ressortissants étrangers peuvent entrer au Canada, qui n'exige plus de visas pour les Mexicains. Ils mentionnent aussi le fait que la frontière avec le Canada est moins surveillée que la frontière avec le Mexique, par laquelle tentent de passer des milliers de personnes fuyant les violences en Amérique centrale.
Dans le secteur de la patrouille frontalière qui couvre 480 kilomètres de frontière avec New York, le Vermont et le New Hampshire, les agents américains ont appréhendé 324 personnes arrivées clandestinement du Canada depuis le 1er octobre 2017, comparativement à 165 pour l'ensemble de l'année 2017. Le mois dernier, les agents ont interpellé 85 migrants clandestins dans les trois États, contre 17 en juin 2017 et 19 en juin 2016.
Depuis octobre 2017, il y a eu au moins 267 personnes interpellées le long de la frontière canadienne avec le Vermont seulement, comparativement à 132 pour l'ensemble de 2017, selon des statistiques compilées par les procureurs fédéraux du Vermont.
Les statistiques ne montrent aucune augmentation similaire ailleurs le long de la frontière avec le Canada. Les agents de la patrouille frontalière estiment que c'est parce que la région qui comprend le Vermont est la première frontière terrestre à l'est des Grands Lacs et qu'elle se trouve à une courte distance des grandes villes canadiennes et de la côte est américaine.
Le nombre de passages clandestins relevés le long de la frontière nord est encore faible par rapport à la frontière sud. Les statistiques fédérales américaines montrent que du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2017, il y a eu 303 916 arrestations à la frontière américaine avec le Mexique, comparativement à 3027 sur l'ensemble de la frontière nord.
Les autorités s'inquiètent
Pourtant, certains responsables de l'application de la loi aux États-Unis sont inquiets.
«Le nombre d'arrestations illégales d'étrangers à la frontière entre le Vermont et le Canada a explosé», rappelle Christina Nolan, procureure fédérale au Vermont.
Une grande partie des entrées clandestines au Vermont semble être concentrée sur un tronçon de 50 kilomètres de la frontière avec le Québec, où l'autoroute 91 atteint la frontière canadienne à Derby Line, à environ 80 kilomètres au sud-est de Montréal. De là, il faut environ six heures de route pour atteindre la ville de New York.
Surveiller la frontière à Derby Line est difficile parce que la petite municipalité américaine et la ville voisine de Stanstead, au Québec, forment une communauté où les maisons et les bâtiments sont coupés en deux par une frontière internationale.
La bibliothèque communautaire a été construite intentionnellement à cheval sur la frontière pour servir les citoyens des deux communautés. Les Québécois traversent simplement une frontière internationale délimitée à l'extérieur de la bibliothèque par des pots de pétunias. De temps en temps, des migrants clandestins franchissent la frontière à pied ou en voiture à proximité de la bibliothèque.
«C'est vraiment une ville traversée par une frontière invisible», illustre Matthew Farfan, un résidant de Stanstead qui a écrit un livre sur la vie le long de la frontière.
Dans le cadre d'une répression récente de l'immigration, l'agence frontalière américaine a mis en place des points de contrôle routiers dans le Maine, le New Hampshire et l'État de New York. Une personne a été appréhendée à New York après avoir été accusée d'avoir transporté quatre personnes en provenance du Canada.
L'entrée au Canada sans visa pour les ressortissants de pays comme le Mexique et la Roumanie contribue à rendre la frontière nord plus attrayante pour les personnes cherchant à entrer illégalement aux États-Unis, selon Mme Nolan. Un billet d'avion de Mexico à Montréal ou Toronto peut coûter moins de 350 $ US, dit-elle.
À la fin de 2016, le gouvernement canadien a levé son exigence de visa pour les ressortissants mexicains, dans le cadre d'efforts plus larges visant à resserrer les liens avec le Mexique. Une exigence similaire pour les citoyens roumains a été levée à la fin de 2017.
Le gouvernement canadien considère que les récents changements aux visas pour les ressortissants du Mexique et de la Roumanie ont un impact minimal sur la frontière, a déclaré Beatrice Fenelon, une porte-parole d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Au cours des deux derniers mois, des agents du Vermont ont pourchassé des suspects à travers les bois près de Derby Line. Il y a eu des poursuites en voiture et des incidents lors desquels des agents ont perdu de vue des suspects dans les bois, pour les appréhender quelques jours plus tard.
«Ils (les migrants clandestins) font un peu comme le long de la frontière sud, ils font une randonnée à pied et ils traversent les hautes herbes, a déclaré M. Ross. C'est quelque chose que j'aurais vu il y a des années quand je travaillais à Harlingen, au Texas.»
Les agents frontaliers ne veulent pas essayer de deviner combien de gens réussissent à traverser.
Le flux de migrants clandestins va dans les deux sens. Depuis que le président Donald Trump est arrivé au pouvoir, des milliers de ressortissants étrangers aux États-Unis ont fui vers le nord pour demander l'asile au Canada.