Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, paraît-il. De sorte que certains membres éminents du gouvernement et de la majorité se trouvent au-dessus de tout soupçon, du moins au regard de leurs déclarations et prises de positions passées sur les retraites. Marianne a ouvert la boîte à souvenirs pour une séquence "archives" quelque peu embarrassante pour les ministres concernés, à l'heure de défendre l'instauration d'un "âge pivot" de départ à 64 ans.
Sans grande surprise, c'est parmi les anciens socialistes passés à la macronie que l'on trouve les retournements de vestes sur la question des retraites. Et pour certains, il ne faut pas remonter bien loin pour trouver des déclarations témoignant d'une position diamétralement opposée au projet aujourd'hui défendu par l'exécutif.
C'est notamment le cas de Christophe Castaner. Le 13 octobre 2016, l'actuel ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, alors simple député des Alpes-de-Haute-Provence, commentait sur Twitter le premier débat de la primaire de la droite. "Moi pour la retraite c'est 63 ans", "Alors moi 64!" "Ben moi 65!"... qui dit 70 ? Alors... j'attends !!!", écrivait-il goguenard, moquant la surenchère des candidats lorsqu'il s'agissait de repousser l'âge de départ à la retraite. Soit peu ou prou ce que prévoit de faire le gouvernement, sans en avoir l'air - puisque l'âge légal de la retraite reste bien fixé à 62 ans –, en faisant passer l'âge minimum du départ à taux plein à 64 ans.
"Moi pour la retraite c'est 63 ans", "alors moi 64!" "Ben moi 65!"...qui dit 70? Alors... j'attends!!! #PrimaireLeDebat
— Christophe Castaner (@CCastaner) October 13, 2016
Autre figure du gouvernement, Marlène Schiappa ne mâchait pas non plus ses mots, il y a quelques années, contre l'idée d'un report de l'âge légal de départ à la retraite. Jeudi 12 décembre, le député insoumis Adrien Quatennens déterrait un tweet rageur de la secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes, daté du 23 mai 2015 : "Après 50 ans on ne t'embauche plus mais le Medef veut que tu partes à la retraite à 67 ans… Pendant 17 ans, tu fais quoi ?", écrivait Marlène Schiappa, encore adjointe au maire du Mans.
Après 50 ans on ne t'embauche plus mais le @medef veut que tu partes à la retraite à 67 ans... Pendant 17 ans, tu fais quoi ?
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) May 23, 2015
La même interrogation pourrait aujourd'hui s'appliquer pour les quatorze années qui sépareraient un chômeur de cinquante ans de l'âge de départ à taux plein. "On exhume des tweets militants de ma part des vingt dernières années en s'étonnant que j'aie produit des tweets de gauche. Ce n'est pas un scoop, je suis de gauche, je le suis toujours", s'est défendue Marlène Schiappa le soir-même sur Europe 1. C'était toutefois plus net en 2015, et carrément flagrant en 2010.
Je ne vais pas m’excuser d’être de gauche, d’avoir milité, et de défendre les droits sociaux des gens qui travaillent. D’ailleurs je continue à le faire aujourd’hui depuis le gouvernement. #retraites #tweets pic.twitter.com/HyNasby8n8
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) December 12, 2019
Comme Checknews l'a relevé, Marlène Schiappa signait en effet, le 27 mai 2010, à la veille d'une manifestation contre la réforme des retraites décalant l'âge légal de départ de 60 à 62 ans, une note de blog mettant en scène un dialogue entre la jeune femme et sa fille à propos de la grève du lendemain. Interrogée par son enfant sur l'objet de la grève, l'auteur de Maman travaille répondait : "Les retraites. Les gens veulent partir à la retraite avant de mourir de fatigue au travail, et si possible être assez bien payé pour ne pas aller balayer le McDo alors qu'ils marchent avec une canne." Ce vibrant plaidoyer pourrait lui aussi coller avec la situation de 2019 puisque, selon les données 2018 de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), l'espérance de vie en bonne santé était de 64,5 ans pour les femmes et 63,4 ans pour les hommes.
Si Marlène Schiappa n'en était, il y a dix ans, qu'aux prémices de sa carrière politique, Jean-Yves Le Drian était quant à lui déjà président du conseil régional de Bretagne à cette époque. Et l'ancien taulier de la hollandie, devenu ministre des Affaires étrangères en macronie, ouvrait la session des 21 et 22 octobre de l'exécutif local breton en demandant au gouvernement… de retirer son projet ! "Retirer un projet de loi quand l'équilibre d'une nation est au point de rupture, ça peut aussi s'appeler du courage politique", conjurait-il. "Prendre conscience que l'obstination à défendre une ligne, même si on la croit juste, peut provoquer des dégâts irréparables dans le corps social (…), ça peut aussi s'appeler de la responsabilité d'Etat." Effet d'écho garanti. "Je pense que le président de la République honorerait sa fonction, et sa mission de gardien de l'unité de la République, en demandant au gouvernement de suspendre le processus législatif", concluait celui qui a aujourd'hui quitté le PS.
En 2010, le parti pas encore moribond était vent debout contre la réforme, et ses membres avaient tout tenter pour faire obstacle au passage de l'âge légal de la retraite à 62 ans. Y compris saisir le Conseil constitutionnel. Le 2 novembre de cette année, 120 parlementaires socialistes, qui contestaient la conformité à la Constitution des mesures d'âge figurant dans la loi, déposaient en effet un recours devant les Sages. Ces derniers n'avaient fait droit à aucun des griefs que les socialistes leur avaient adressés, mais on ne peut toutefois s'empêcher de remarquer, parmi les signataires du recours, la présence du député Olivier Dussopt. Le même Olivier Dussopt qui occupe aujourd'hui les fonctions de secrétaire d'Etat à la Fonction publique, défendant mordicus la réforme.
En mai 2010, le jeune socialiste avait même interpellé dans l'hémicycle le ministre du Travail, Eric Woerth, lors d'une séance de questions au gouvernement. "Cette volonté de reculer l'âge de la retraite est doublement injuste", protestait-il alors. "Elle écarte d'emblée la recherche d'autres recettes, notamment la mise à contribution de l'ensemble des revenus et en particulier de ceux issus du capital." Et Olivier Dussopt d'ajouter que la réforme fera "porter l'effort sur les générations nées après 1970" : "À la précarité et au taux de chômage historique qu'ils connaissent, vous allez ajouter l'infliction d'une double peine aux moins de trente ans en éloignant toujours plus le moment de leur départ en retraite", redoutait-il. Que dire alors de la réforme envisagée aujourd'hui, qui n'entrerait en vigueur qu'à partir de la génération 1975 ?
Mais la médaille d'or du reniement revient à la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Dans sa jeunesse, cette dernière appartenait à la "Tendance refondation syndicale" (TDS) de l'Unef, représentant la minorité strauss-kahnienne au sain du syndicat étudiant, véritable pépinière du Parti socialiste. A l'occasion du 78ème congrès de l'Unef, en mai 2003, la TDS inaugurait sa revue "Refonder", en publiant un document de 14 pages qui désigne comme l'un des référents de la tendance la "camarade" Sibeth Ndiaye, alors âgée de 24 ans.
Là encore, la comparaison entre les écrits soutenus à l'époque par la future ministre et les propositions du gouvernement est dévastatrice. "La retraite à 60 ans doit être garantie et ceux qui ont rempli leur annuités doivent pouvoir partir avant 60 ans", réclamait alors la jeune garde strauss-kahnienne. Qu'il est loin, l'âge pivot à 64 ans… Le passage consacré aux retraites ajoute également que "les pensions ne doivent plus être calculées sur les 25 meilleures années mais sur les 10 meilleures." Soit… l'exact opposé du système à points de la réforme 2019. La porte-parole pourra toujours plaider l'erreur de jeunesse.