On pourra toujours demander à Stephen Harper s'il estime encore -- au vu de la mort violente de ressortissants canadiens sous des roquettes israéliennes -- que l'usage de la force par Israël au pays du Cèdre lui apparaît «justifié» et «mesuré», comme il le disait la semaine dernière...
On a assez insisté, dans cette affaire, sur la «disproportion» entre les fautes et les agressions des uns et des autres. Lorsque l'enlèvement d'un seul soldat israélien aboutit à la mort de centaines d'Arabes et d'une dizaine d'Israéliens -- pour la plupart des civils innocents --, l'hypothèse est plausible. Assez pour donner crédit à l'idée terrible selon laquelle une vie arabe, une vie palestinienne, cela ne vaudrait pas tout à fait autant qu'une vie israélienne...
On a constaté le dialogue de sourds qui enferme deux camps dans leur complexe autiste de persécution. Quel que soit le malheur infligé à cet Autre que l'on hait et que l'on méprise, ce ne sera jamais, disent-ils, que «légitime défense». Pour ces intransigeants, le malheur de l'Autre est toujours la faute de l'Autre, même lorsqu'il frappe d'innocents enfants qui ont croisé le chemin d'un kamikaze palestinien ou d'un missile Jéricho.
«Légitime défense»... Le monde, si prompt à dénoncer Israël pour son bras lourd et sa réponse démultipliée, oublie l'hostilité dont l'État juif est entouré. Il oublie aussi que les victimes civiles des Israéliens sont le plus souvent «collatérales»... alors que les victimes civiles (moins nombreuses) du Hamas ou du Hezbollah sont «intentionnelles». Distinctions oiseuses, ou essentielles ?
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Répétition sans fin, ou nouvelle étape dans la décomposition ? Malgré toutes les similitudes avec les épisodes précédents, il y a ici du nouveau.
Cette crise illustre l'effondrement de la capacité d'action des acteurs internationaux. Crise jamais résolue, mais tout au long de laquelle, au fil des décennies, subsistait tout de même l'espoir. Espoir d'un «processus de paix». Espoir d'une «négociation». Espoir de certains principes, comme celui de «la paix contre les territoires».
La guerre de l'été 2006 apparaît comme le clou définitif sur le cercueil de ces espérances. Le début de la fin, la fissure fatale dans l'armure du Titanic, ce fut l'assassinat de Yitzhak Rabin, en novembre 1995, par un extrémiste juif. Yitzhak Rabin : l'homme qui passa le plus près de donner vie au rêve...
À ces espoirs fous a succédé une guerre à finir, dans laquelle l'objectif est l'anéantissement de l'ennemi, ou sa réduction définitive à la portion congrue.
De là, le virage «unilatéraliste» de la stratégie israélienne sur les questions de territoire. De là, la doctrine militaire de la «force écrasante», à dix, cent, mille contre un, en réplique aux harcèlements des roquettes islamistes et des bombes humaines.
De là, également, le triomphe des extrémistes et des fascistes religieux, de Gaza au Sud-Liban. Alors que les forces du compromis et du pragmatisme (mêmes intimidées, même minoritaires) existaient -- elles existent peut-être encore -- et ce, au coeur même du pouvoir palestinien, s'insinuant jusque dans certaines franges d'un Hamas honni par la «communauté internationale».
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Emportée dans le tourbillon : l'influence et la crédibilité des États-Unis d'Amérique au Moyen-Orient. Les USA comme «arbitre» ou «médiateur» dans le conflit israélo-palestinien : telle fut longtemps la prétention, en bonne partie justifiée, de Washington. Telle était la demande, un peu désespérée, d'une Europe de toute façon impuissante.
Bill Clinton avait beau afficher son alliance avec l'État juif, on le croyait lorsqu'il tentait, en 1999, une ultime médiation entre les deux implacables ennemis. Il faillit d'ailleurs réussir. Mais aujourd'hui, les États-Unis de George Bush comme «médiateur» au Moyen-Orient, c'est une sinistre farce. Un peu comme si l'arbitre d'un match entre Montréal et Toronto troquait son chandail rayé pour celui des Maple Leafs !
Ne sous-estimons pas, non plus, l'effet désastreux de la guerre d'Irak, qualifiée d'«idéaliste» par on ne sait quels curieux politologues. Non seulement cette guerre a-t-elle renforcé la perception, écrasante dans l'ensemble du monde arabo-musulman, d'une hostilité états-unienne, mais elle a également -- et ça, c'est nouveau -- diffusé l'idée d'une vulnérabilité, voire d'une réelle impuissance américaine. Le magazine Time du 17 juillet titre d'ailleurs : «La fin de la diplomatie du cow-boy»... sans trop indiquer ce qui pourrait bien la remplacer.
Parions que la belle résolution «unanime» du G8, hier à Saint-Pétersbourg sur la crise au Liban, sera oubliée après-demain... Car à ce nouveau jeu international, l'impuissance, l'inanité et les effets pervers de toute initiative -- quelle qu'elle soit -- cela semble être devenu la règle. À ce nouveau jeu maléfique, les perdants apparaissent bien plus nombreux que les gagnants. Et les victoires, comme autant de victoires à la Pyrrhus.
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com
Décomposition
Géopolitique — Proche-Orient
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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