Débat: Ignatieff vs Pinocchio

2 mai 2011 - Harper majoritaire


Je vais vous dire sous peu pourquoi je crois que Michael Ignatieff a remporté le débat en anglais — et, oui, je sais que ma position est minoritaire parmi les analystes.

Mais d’abord, laissez moi vous dire ce que j’ai trouvé le plus, disons, remarquable, dans le débat: le sans-gêne avec lequel le premier ministre du Canada ment.
Dans les cinq premières minutes du débat, Stephen Harper a menti deux fois. Il a remis ça plusieurs fois ensuite.
1) “I dont’ have the report”.
Il a déclaré ne pas avoir le rapport de la vérificatrice générale sur les dépenses fédérales pendant le G20. Pourtant, la veille, son ministre John Baird avait déclaré avoir lu une version du rapport.
2) “The reality is very different”
En novembre 2008, juste après la réélection du gouvernement, le ministre des Finances a déposé un énoncé économique qui ne comportait aucune mesure de relance économique. À Gilles Duceppe qui rappelait ce fait historique incontesté, Harper a tenté de faire croire le contraire:

The reality is quite different, of course in November of 2008 we met — the G20 — and we all agreed that we would have stimulus plans that we rolled out around the world.

Or chacun sait que le gouvernement Harper a jeté son énoncé de novembre 2008 et a soumis un budget de relance en 2009 seulement parce que tous les autres partis ont menacé de le faire tomber.
3) “not based on any fact”
Un peu plus tard, sur la politique internationale et l’étranglement idéologique et financier qu’il impose aux organisations indépendantes comme Kairos et Droits et démocratie, il dit en réponse à Ignatieff:
The idea that we are shutting them down, this is simply, not based on any fact.

Soit dit avec le ton le plus raisonnable qui soit. L’aplomb d’un grand désinformateur, qui n’ose même pas assumer sa décision de se débarrasser de porte-paroles gênants de courants de pensée qu’il ne partage pas.
4) “that’s not how democracy should work”
Puis sur son alliance avec le NPD et le Bloc en 2004 pour former un gouvernement au cas où le Premier ministre Paul Martin veille déclencher une élection, il a affirmé:
I was very clear, I was not going to defeat the government and try and replace the government that had won the election. (J’étais très clair, je n’allais pas défaire le gouvernement et tenter de remplacer le gouvernement qui avait gagné l’élection).

The tradition in this country is that the party that finishes first forms the government. If we don’t do that we will have the third and fourth party decide who governs this country, that’s not how democracy should work. (La tradition dans ce pays est que le parti qui termine en avance forme le gouvernement. Sinon, c’est le troisième ou le quatrième parti qui décide qui gouverne, ce n’est pas ainsi que la démocratie devrait fonctionner.)
Le mensonge est total. La lettre qu’il a signée en 2004 faisait en sorte que le troisième et le quatrième parti choisiraient le gouvernement: un gouvernement Harper.
J’ai vu beaucoup de débats en 30 ans de journalisme. Je n’ai jamais vu quelqu’un affirmer avec autant de froideur le contraire de la vérité aussi souvent en aussi peu de temps.
Pourquoi Ignatieff a gagné
Certes, il n’est pas certain qu’Ignatieff ait frappé assez fort pour devenir premier ministre. Cependant je lui donne l’avantage parce qu’il est revenu plusieurs fois, de façon très convaincante, sur le point le plus vulnérable du chef conservateur: son mépris pour la démocratie.
Ignatieff a offert la meilleure tirade du débat:
Vous n’avez pas mérité la confiance du peuple canadien parce que vous ne faites pas confiance aux Canadiens. Il y a deux semaines à London, vous avez mis quelqu’un dehors parce que vous n’aimiez pas ce qu’il y avait sur leur page Facebook. [...] Ce n’est pas un leadership fort, mais faible. Pourquoi avez vous peur des Canadiens ? Pourquoi voulez-vous toujours contrôler ce que vous ne pouvez fermer?

Il est revenu sur ce thème plusieurs fois, de plusieurs angles différents, y compris dans sa déclaration de clôture. Il a clairement démontré qu’entre Harper et lui, sur ce plan central de la confiance, Harper était indigne alors que lui, Ignatieff, représentait le retour de la dignité.
Compte tenu de la position relative des autres chefs, j’estime que le chef libéral a le plus progressé, d’autant que c’était sa première réelle présence devant la majorité anglophone. Assez pour gagner ? Non. Assez pour garder avec lui ses électeurs ontariens tentés par l’aventure conservatrice. Assez, peut-être, pour empêcher Harper de devenir majoritaire.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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