Ainsi donc, La Presse, par la bouche de son éditorialiste en chef, considère que le guide canadien pour les immigrants constituerait un « bon travail ». « L’ouverture et la générosité du Canada excluent les pratiques culturelles barbares qui tolèrent la violence conjugale, les meurtres d’honneur, la mutilation sexuelle des femmes ou d’autres actes de violence fondée sur le sexe », affirme le manuel. André Pratte se félicite que le guide « rappelle en termes clairs que les valeurs fondamentales de la majorité doivent avoir le dessus ». Un peu plus et on sabre le champagne en l’honneur du gouvernement, ce grand protecteur des « valeurs canadiennes ».
Malgré les ressemblances entre les deux guides, André Pratte a considéré Hérouxville comme l’envers du Québec qu’on aime, c’est-à-dire « inquiet, frileux et mal informé ». Alain Dubuc, éditorialiste tellement détesté à Montréal qu’il a dû s’exiler à Québec, a aussi offert une collaboration spéciale à La Propagandiste de la rue Saint-Jacques: « Hérouxville, c’est très clairement une manifestation de racisme ordinaire, où se sont exprimés les deux ingrédients de base qui nourrissent l’intolérance: la peur et l’ignorance ». Patrick Lagacé, lui, parlait de « puantes normes de vie ». Pierre Foglia palabrait sur les morrons (sic) de Hérouxville.1 Yves Boisvert, guère mieux, parodiait ces normes en parlant de talibans avec des cailloux pleins leurs valises et n’ayant comme seul but de lapider les femmes. La Presse était déchaînée: Hérouxville et ses normes de vie, c’était l’ennemi à abattre.
Or, personne ne s’y lève aujourd’hui pour parler des méchants talibans avec leurs valises pleins de couteaux servant à exciser les femmes, pour dénoncer les « morrons » d’Ottawa, le guide « puant » sur les immigrants, de la peur et de l’ignorance du gouvernement canadien ou du pays « inquiet, frileux et mal informé » qui impose ce guide. Non, non. Quand ça vient du Québec, quand ce sont des Québécois qui veulent imposer leurs valeurs aux immigrants afin de créer un meilleur vivre-ensemble, on parle de racisme et de xénophobie. Quand c’est Ottawa qui fait la même chose, on félicite le gouvernement pour ce « bon travail ». Deux poids, deux mesures.
En fait, cela rejoint les propos de Jean-François Lisée sur son blogue: on peut insulter un immigrant ou un fils d’immigrant québécois en lui reprochant de ne PAS voter de manière ethnique – c’est-à-dire d’appuyer les fédéralistes ou ceux qui négligent la protection du français – mais on ne peut surtout pas lui faire de reproches s’il décide de voter de manière ethnique. Bref, il est possible pour Christine St-Pierre d’invectiver Pierre Curzi en lui rappelant son origine ethnique sans que personne ne réagisse, mais on ne peut pas souligner le fait statistiquement vérifiable que le référendum de 1995 a été perdu largement à cause du vote monolithique des anglophones et d’immigrants qu’on n’a pas réussi à intégrer. On part du principe que le souverainiste est un raciste potentiel qui doit de disculper, alors que le fédéraliste serait orné d’une auréole de bonne volonté que ne pourrait même pas troubler de véritables propos racistes.
On m’objectera peut-être que les normes de Hérouxville faisaient figure de règlement alors que le guide canadien ne constitue qu’une recommandation de lecture. Qu’on me dire, alors, que constitue la valeur d’une « recommandation » si personne n’est tenue de la respecter? En d’autres mots: on peut vanter un « bon travail » jusqu’à Pâques comme le fait André Pratte, mais si ce guide n’a pas de valeur coercitive, à quoi sert-il véritablement? Hérouxville a eu le courage de ses convictions: les recommandations ont fait force de loi. Peut-être maladroitement, mais avec la volonté d’imposer ce qui constitue, à nos yeux, la meilleure façon de vivre dans le respect des valeurs qui nous rassemblent et qui assurent un minimum de cohésion sociale.
Quand la catin de la rue Saint-Jacques décide, volontairement, de féliciter l’approche d’Ottawa immédiatement après avoir dénoncé celle de Hérouxville, elle nous affirme donc deux choses. D’abord qu’elle considère que ce sont seulement des fédéralistes qui sont aptes à parler de normes de vie pour les immigrants. Ensuite, qu’on peut bien en parler autant qu’on en veut, en autant que ce ne soient que des paroles vaines sans conséquences pour ceux qui ne les respectent pas. Bref, on félicite le vent de faire tourner le moulin et on se fout de savoir ce que celui-ci produit d’utile en retour. La roue tourne, et peu importe dans quel but!
On en dira ce qu’on en veut, mais le problème des accommodements raisonnables n’est pas réglé. Le gouvernement Charest a caché la poussière sous le tapis en espérant que d’autres se chargeraient de la dissimuler sous le canapé. Ne soyons pas dupes: La Presse et le gouvernement du Canada possèdent la même croyance, c’est-à-dire celle que les francophones ne constituent qu’une ethnie parmi d’autres et qu’en tant que tel ils ne sont pas dignes de se questionner sur la place des immigrants dans la société. C’est à la majorité, aux vrais habitants de ce pays, les anglophones, qu’il appartient de décider pour nous. Et ce guide, qui n’indique nulle part que les immigrants doivent envoyer leurs enfants à l’école française au Québec, même si la Chambre des Communes a reconnu ce droit, n’en est que l’expression la plus fétide.
Est-ce qu’au moins La Presse aurait l’honnêteté de cesser de se qualifier de « grand quotidien français d’Amérique » pour enfin épouser entièrement entièrement ses idéaux et finalement publier ses âneries dans la langue de Shakeaspeare, la seule qui resterait si on appliquait ses recettes identitaires?
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé