Nous reproduisons un profil du personnage et une chronologie des événements inspirés d'un texte écrit par François Desjardins le 9 mars dernier et de l'Agence France-Presse.
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La description la plus fidèle de Conrad Black est sans doute celle du journaliste torontois Peter C. Newman dans un article du Financial Post Magazine, en octobre 1982. Newman y aborde sa mémoire. Phénoménale, écrit-il avec moult anecdotes. Dans l'exercice, Newman s'attarde ensuite à la tenue de Black, à ses sourcils, mais aussi à ses yeux. Faisant état d'un supposé débat sur la couleur du regard de Black, Newman finit par conclure que ses yeux sont «gris pervenche». Un gris, glisse-t-il à l'intérieur d'une parenthèse drôlement évocatrice, «qu'on trouve le plus souvent dans un canon de fusil».
Vingt-cinq ans plus tard, il devient traqué par la justice. Le personnage pompeux et cupide qu'est Conrad Black s'est retrouvé en Cour fédérale de Chicago, devant juge et jury, afin d'y subir un procès pour une affaire de détournement de fonds. L'ancien magnat de 62 ans, dont l'ex-empire de 500 journaux avait commencé avec le Sherbroopuke Record en 1969, faisait face, à lui seul, à 13 chefs d'accusation criminelle. «Pour les uns, c'est un fraudeur corrompu par sa propre cupidité, pour les autres, un hommes d'affaires trahi par ses plus proches alliés et persécuté par des autorités trop zélées», écrivait le magazine Maclean's.
À son apogée, l'empire de Conrad Black, troisième du monde occidental, comprend des dizaines de quotidiens nord-américains, dont le National Post, The Gazette, Le Soleil, Le Droit et le Chicago Sun-Times. Il y a aussi le Daily Telegraph de Londres et le Jerusalem Post. Un chiffre d'affaires de trois milliards. Et en parallèle, une vie de soirées mondaines, de déplacements en jet privé et de somptueuses résidences à Toronto, Palm Beach, New York et Londres. «Mon goût de l'extravagance ne connaît pas de limites», dit en 2002 son épouse, Barbara Amiel, au magazine Vogue.
On arrête la musique, la fête est interrompue. En mai 2003, un investisseur demande à Hollinger International -- contrôlée par une société de Black -- de faire enquête sur des paiements effectués à Black et à certains associés. Le p.-d.g. maintient son innocence, mais la compagnie met sur pied un comité indépendant. Six mois plus tard, le comité fait état de versements «non autorisés» de 32,2 millions $US. Conrad Black démissionne de son poste de président mais demeure président du conseil. «Je présume que c'est mon deux minutes de pénalité», dit-il à l'époque.
La tempête gagne en intensité. En janvier 2004, Hollinger retire à Black ce qui lui reste de ses responsabilités et le poursuit pour 200 millions $US. L'homme d'affaires réplique avec des poursuites de 850 millions $US contre la compagnie et certains cadres.
Le grand coup surviendra en novembre 2004. Les autorités américaines déposent des chefs d'accusation civile pour fraude contre Black et quelques proches. Les accusations criminelles viendront, neuf mois plus tard. Un des accusés, David Radler, associé de longue date de Conrad Black, signe toutefois une entente avec les autorités. En échange d'un plaidoyer de culpabilité et de collaboration, il écope de 29 mois de prison seulement. Et il devient le témoin clé de ce procès.
Ces accusations sont devenues le point tournant de cette saga entre M. Black, ses sociétés privées Ravelston et Hollinger, et Hollinger International. Un affrontement qui remonte à novembre 2003 et qui avait pour origine la découverte, dans les livres de Hollinger International, de cette somme de 32,2 millions $US versée à Conrad Black et à d'autres dirigeants sans l'accord du conseil d'administration et liée à des ententes de non-concurrence conclues au moment de la vente de quotidiens appartenant à Hollinger International. Ces versements ont été reconnus par M. Black, qui les qualifie de justifiés; tout au plus ont-ils été mal documentés, avait-il soutenu.
Le dépôt des accusations faisait suite à une enquête criminelle menée par le procureur général, le FBI et la division des enquêtes criminelles du fisc américain. L'enquête portait sur les activités de MM. Black et Radler lorsqu'ils étaient membres de la direction de Hollinger International, une filiale américaine de Hollinger ayant son siège social à Chicago.
Par ailleurs, en septembre 2004, un comité spécial mandaté par le conseil d'administration de Hollinger International déposait un rapport auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) dans lequel il était allégué que Conrad Black avait détourné, en sept ans, plus de 400 millions $US à des fins personnelles. Ce rapport est venu inspirer le dépôt de poursuites, intentées au civil par la SEC contre MM. Black et Radler, l'organisme américain de réglementation en valeurs mobilières soutenant que les deux intimés détournaient des fonds de Hollinger International à des fins personnelles.
Au final, M. Black et trois coaccusés ex-hauts dirigeants de Hollinger International devaient répondre à un total de 42 chefs d'accusation pour fraude, racketing, obstruction à la justice et évasion fiscale. La poursuite a tenté de démontrer qu'ils ont mis sur pied un stratagème pour empocher quelque 60 millions $US en paiements de non-concurrence versés dans le cadre de la vente par Hollinger d'une douzaine de journaux, une somme qui aurait dû revenir aux actionnaires. La poursuite a également allégué que M. Black aurait refilé à Hollinger International près de 20 millions $US en dépenses personnelles.
Conrad Black a refusé de signer une entente ou de plaider coupable. Il risquait jusqu'à un siècle derrière les barreaux et des amendes totalisant plusieurs centaines de millions de dollars. La justice voudrait aussi lui saisir des actifs totalisant 92 millions de dollars. Et c'est sans oublier l'humiliation. Car l'orgueil est un des traits les plus forts chez Conrad Black, écrivait Peter C. Newman dans ce même portrait de 1982. «Je peux faire des erreurs, disait Black à l'époque. Mais je suis incapable, en ce moment, d'en nommer une.»
Né à Montréal le 25 août 1944, ce diplômé en histoire de l'Université Laval, grand admirateur de Maurice Duplessis et du président américain Franklin Roosevelt, avait fait preuve, dès l'adolescence, d'esprit d'entreprise en se faisant expulser de son école privée pour avoir été impliqué dans une affaire de vente de résultats d'examens. À 25 ans, il achète avec un ami son premier journal, le Sherbrooke Record, petite publication en péril qu'il remet à flot. Deux ans plus tard, il acquiert la chaîne Sterling et sa vingtaine de journaux canadiens, puis il met la main sur Argus Corp., qui contrôle les machines agricoles Massey-Ferguson et lui sert de tête de pont pour bâtir l'empire Hollinger
Conrad Black s'est aussi frotté, au fil des ans, à la sensibilité sociopolitique du Québec. En 1993, par exemple, il affirme que le Québec pourrait faire l'objet d'une partition en cas de victoire souverainiste. En 1997, il s'en prend aux lois linguistiques dans un discours qui évoque par ailleurs le nazisme et la liberté d'expression. Alors que Le Devoir signe un éditorial intitulé [«Le mépris»->7697], le premier ministre Lucien Bouchard affirme que M. Black fait «de la provocation qui fait tomber les masques».
Arrogant et arriviste, sans pitié pour ses détracteurs, homme de culture doté d'un grand sens de l'humour pour ses admirateurs, lord Conrad Black a au moins le talent de ne pas laisser indifférent. Soucieux de respectabilité et d'honneurs, il avait tourné le dos à son pays d'origine pour pouvoir siéger à la Chambre des lords britanniques.
Le premier ministre de l'époque, Jean Chrétien, qui ne l'aimait guère, s'était opposé à son anoblissement par la Couronne britannique en invoquant une disposition interdisant à un Canadien d'accepter des titres ou privilèges d'un autre pays. Qu'à cela ne tienne: Conrad Black a renoncé à sa nationalité canadienne pour prendre son siège à la Chambre des lords en 2001 avec le titre de lord Black of Crossharbour. Dans la foulée du dépôt des poursuites contre lui aux États-Unis, iI disait souhaiter retrouver la nationalité canadienne.
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