Doug Ford a complètement écrasé ses opposants au sortir d'une campagne électorale anémique. Comment expliquer ce tour de force de la part d'un des premiers ministres les plus polarisants de l'histoire de l'Ontario?
Réponse : un parfait concours de circonstances.
Le moment propice
Si le scrutin avait eu lieu à pareille date l'an dernier, il y a fort à parier que le bilan pandémique de Doug Ford lui aurait nui davantage. Au printemps 2021, son taux d'approbation était en chute libre. Les écoles de l'Ontario étaient fermées et l'avaient été plus longtemps que partout ailleurs au pays. La troisième vague de la pandémie frappait de nouveau les foyers de soins de longue durée.
Un an plus tard, bien des Ontariens sont prêts à laisser la COVID-19 dans leur rétroviseur.
La réhabilitation de Doug Ford
Ce qui a scellé cette réhabilitation, entreprise il y a un an par des stratèges conservateurs appelés à la rescousse après la troisième vague de la pandémie, ce sont les annonces d'envergure que Justin Trudeau et son cabinet ont faites aux côtés de Doug Ford ces derniers mois, notamment pour le secteur de l'automobile et en ce qui a trait au programme national de garderies.
Justin Trudeau a restauré la crédibilité de Doug Ford aux yeux de bien des électeurs, particulièrement ceux du Grand Toronto, qui avaient donné une chance à M. Ford en 2018 mais qui ont voté pour M. Trudeau lors des trois dernières élections fédérales, et ce, au grand dam de Steven Del Duca.
Un chef libéral ennuyant
Bien des Ontariens ne pourraient toujours pas nommer le chef libéral Steven Del Duca. Incapable de se séparer de l'héritage du gouvernement de Kathleen Wynne, l'ancien ministre des Transports n'a pas pu regagner son propre siège. C'est la pire performance du Parti libéral de l'Ontario en un demi-siècle après celle de 2018.
À la fin de son discours monotone, il n'avait d'autre choix que de démissionner. Non seulement le Grand Toronto est demeuré bleu, mais la Ford Nation
s'est même étendue à Toronto avec l'élection du neveu, Michael Ford, dans York-Sud—Weston. Et les néo-démocrates ont conservé plusieurs sièges dans la Ville Reine qui étaient pourtant des bastions libéraux par le passé.
Le virage à gauche des libéraux, entamé par Mme Wynne mais accentué par M. Del Duca, a laissé le centre grand ouvert pour Doug Ford. Les promesses se collaient à celles du NPD, ce qui a contribué à la division du vote progressiste.
Après tout, 60 % des Ontariens n'ont pas voté pour M. Ford. Steven Del Duca a passé beaucoup de temps à attaquer Andrea Horwath dans l'espoir de s'approprier le vote anti-Ford. Pendant ce temps, M. Ford s'est fait discret.
Une campagne sans gaffes
Au début de son mandat, le bouillant Doug Ford était incapable de faire preuve de discipline. Il explosait lorsque les journalistes le critiquaient. Ça a été tout le contraire au cours de cette campagne, où il n'a fait aucune gaffe majeure. Il n'a été vulnérable qu'une seule fois, après la tempête meurtrière de la mi-mai, lorsque son bilan environnemental a fait couler de l'encre, mais ses opposants n'ont pas réussi à profiter du moment.
Autrement, l'équipe de Doug Ford a limité ses points de presse et touché les électeurs plus directement que par les médias traditionnels : de grands rassemblements, des appels automatisés ciblés et une armée de bénévoles aux portes. Doug Ford a aussi fait la tournée des radios privées dans le but de montrer qu'il est le leader du peuple.
Opération de séduction
Ce qui a été le plus crève-cœur pour Andrea Horwath et pour le NPD, qui a réussi à sauver les meubles et à former l'opposition officielle, c'est la perte de circonscriptions dans la région de Windsor et dans le Nord de l'Ontario aux mains du PPC.
Cette stratégie de longue haleine, pilotée par le ministre du Travail, Monte McNaughton, a consisté à courtiser les syndicats de la construction ainsi qu'à promouvoir et à financer la formation de la main-d'œuvre destinée aux métiers spécialisés.
Plus récemment, Doug Ford a inondé les deux régions d’investissements pour les industries automobiles et minières. C'est un exploit qui fait sourciller : Windsor-Tecumseh (et les circonscriptions de la région avant le découpage) n'avait élu aucun conservateur depuis les années 1920.
Gilles Bisson, le doyen de l'Assemblée législative qui a fait partie du gouvernement de Bob Rae, s'est incliné dans Timmins. Cette éventualité aurait été impensable il y a un an.
Doug Ford l'a souligné dans son discours : il a réussi à élargir la coalition progressiste-conservatrice. Si vous travaillez sur une chaîne de montage et que vous avez voté pour le NPD toute votre vie ou si vous avez voté pour les libéraux fédéraux, je veux que vous sachiez que tant que je serai ici, il y aura de la place pour vous dans ce parti.
Lorsqu'ils auront eu le temps de dégriser, le NPD et les libéraux devront réévaluer leur avenir.
Malgré la perte du contexte favorable de 2018, Andrea Horwath laisse tout de même le NPD en meilleure posture que lorsqu'elle avait pris les rênes du parti, il y a 13 ans. Son ou sa successeur(e) pourra compter sur de meilleures assises à Toronto mais devra trouver le moyen de percer dans les banlieues et auprès des jeunes.
Les libéraux auraient eux aussi intérêt à bien soupeser le choix de leur chef pour éviter une redite.
Pendant que ces deux partis se chercheront, le chef des verts, Mike Schreiner, qui a été réélu dans Guelph, occupera peut-être une place plus importante que prévu dans l'opposition.