Citoyen du monde?

L'ouverture sur le monde peut être aussi une belle façon de se noyer dans le grand magma informe de la culture aseptisée. Quand international rime soudainement avec provincial.

Québec 2008 - l'art de détourner le sens la Fête

En prenant l'avion pour Montréal, j'ai croisé un groupe d'étudiants québécois. Leur bonne humeur communicative contribuait heureusement à adoucir ces véritables moments de torture que sont devenus les voyages en avion. La bande de joyeux lurons revenait d'une petite virée de fin d'année scolaire en France. Il faut dire que ces étudiants appartenaient à l'une de ces écoles dites «internationales» qui sont devenues la coqueluche du système d'éducation public québécois depuis quelques années.
Dans le bus qui roulait sur le tarmac de Roissy, j'ai machinalement demandé à mon voisin ce qu'il y avait d'«international» dans le programme de son école. L'adolescent insouciant a paru embêté par ma question. Après plusieurs secondes de réflexion, il m'a répondu: «Euh... Ah oui! On apprend l'anglais!» Devant mon air déconcerté, il a cherché encore un peu en se grattant les méninges. Après de longues secondes, il a fini par m'avouer que l'école offrait aussi des cours d'espagnol. «C'est ça. C'est ça. On apprend l'espagnol!», m'a-t-il dit rayonnant.
J'ai bien tenté quelques questions supplémentaires. J'ai ainsi appris que les élèves étaient tenus, je ne sais plus en quelle année, d'aller faire des travaux «communautaires» pour une bonne oeuvre locale, un peu comme ces délinquants condamnés à de petites peines. J'ai aussi appris que les étudiants devaient réaliser une recherche pompeusement baptisée «projet personnel». Mais en ce qui concerne l'international, il n'y avait que les cours d'espagnol... et d'anglais, évidemment!
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Quand le virus du «citoyen du monde» s'est-il abattu sur nous pour la première fois? Je crois que c'est au début des années 80, immédiatement après le premier référendum. Profondément déprimé par la défaite du OUI (même les fédéralistes avaient des têtes d'enterrement), tout ce que le Québec comptait de forces vives a alors choisi la fuite en avant comme stratégie de survie. «L'international» est alors devenu notre marotte, notre bouée de sauvetage devant un Canada jugé par trop «provincial» et un Québec qui étouffait dans des vêtements trop serrés.
L'idée correspondait justement à une période d'accélération de la mondialisation. Les entreprises se sont donc mises à exporter. Celles qui le faisaient déjà ont redoublé d'efforts. Les politiques se sont mis à parler de libre-échange. Le Cirque du Soleil est parti pour la Californie. Et nos artistes n'ont plus eu d'yeux que pour l'outre-mer. En quelques années, les héros de tous les romans québécois se sont mis à parcourir le Rwanda, le Séchouan et les banlieues trash de Berlin. Et c'était encore mieux lorsque l'auteur était lui-même immigrant! Pourquoi se contenter de simples copies?
Depuis 20 ans, le Québec carbure pour ainsi dire à «l'international». La chose a eu du bon. Le Québec existe aujourd'hui dans le monde et personne ne s'en plaindra. Mais cette belle machine à fabriquer de «l'international» tourne de plus en plus à vide, un peu comme ces superproductions du Cirque du Soleil à Las Vegas. N'y avait-il pas de quoi rire cette semaine en entendant nos élites municipales se flatter la bedaine en comparant la nouvelle place du Quartier des spectacles de Montréal à la Via Veneto de Rome?
Je me trompe ou cette belle fascination pour «l'international» ressemble de plus en plus à un subterfuge qui nous évite surtout de nous regarder en face? Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Robert Lepage dans sa dernière pièce, qui n'a pas encore été présentée au Québec. Le Dragon bleu met en effet en scène un artiste raté nommé Pierre Lamontagne parti en Chine pour oublier qui il était et d'où il venait.
L'an dernier, j'avais demandé à un responsable du Musée national des beaux-arts de Québec pourquoi, au lieu d'organiser avec le Louvre une exposition sans objet ni sujet véritable, on n'avait pas profité du 400e anniversaire de Québec pour explorer l'art du XVIIe siècle. La riche époque de Champlain comprend des noms aussi célèbres que Le Caravage, Georges de La tour et Nicolas Poussin. On m'a regardé de haut comme un paysan inculte en m'assénant que l'on souhaitait au contraire «une manifestation internationale» qui pourrait être vue «dans n'importe quelle grande ville du monde».
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Eh bien, nous y voilà. La programmation du 400e anniversaire de Québec ressemble parfois (pas toujours) à ce genre de superproductions sans saveur qui peuvent être vues n'importe où dans le monde. Au lieu de recruter des artistes, on achète des «trademarks». Peu importe qu'ils se nomment Van Halen, Paul McCartney ou même Le Louvre.
Nous voilà devenus tellement «international» que nous acceptons d'accueillir, le soir d'un anniversaire marquant les 400 ans de l'Amérique française, un vieux groupe de rockers américains des années 70. On a donc fêté sur les Plaines «la naissance d'une civilisation française en Amérique», pour reprendre les mots du premier ministre français François Fillon, avec des gens qui ne parlaient pas un traître mot de notre langue.
Nous voilà devenus tellement «international» que nous faisons tout pour cacher les couleurs du Québec dans ces festivités. Tellement cosmopolites que c'est un autre vieux rocker défraîchi qui viendra clore ces grandes célébrations: sir Paul McCartney. C'est que l'international coûte cher. On se paie ce que l'on peut.
Mais de quoi se plaint-on? Les colons français venus peupler la Nouvelle-France n'étaient-ils pas des immigrants comme les autres? C'est bien ce que veut aussi laisser croire l'exposition Passagers/Passengers (notez le titre bilingue), présentée à Québec. De simples immigrants de passage, eux que seule la Conquête arracha pourtant définitivement à la France.
L'ouverture sur le monde peut être aussi une belle façon de se noyer dans le grand magma informe de la culture aseptisée. Quand international rime soudainement avec provincial.
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crioux@ledevoir.com


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