Comme Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Chevènement a annoncé soutenir Emmanuel Macron
En 2002, alors lycéen, j’étais déjà persuadé que l’immigration était la grande affaire, l’unique sujet politique important. Le lénifiant discours des membres de la gauche dite plurielle me rendait fou. Quand, à la télé, j’entendais les journalistes moquer le « sentiment d’insécurité » éprouvés par les Français, j’avais envie de rentrer dans l’écran et de leur faire éprouver un sentiment de poing dans la gueule.
Je vous parle d’un temps où la mystique républicaine me faisait quelque chose
Du reste, en ce temps-là, j’étais républicain. Oh, pas celui qui parle de « valeurs » ; non, un vrai, genre 93. Je lisais les discours de Saint-Just, je me décrétai jacobin, je ne voyais rien de plus beau que la mort du général Marceau sur le Rhin. Dans le champ politique alors partagé entre le radical-socialiste Chirac, la gauche youpi-tralala et le Front national, un homme s’était soudainement imposé : Jean-Pierre Chevènement. J’aimai son franc-parler, sa stature, l’amour de la France qu’il revendiquait contre ceux de son camp, cette gauche qui assimilait la nation à Auschwitz et le peuple, à la consanguinité. Je n’avais pas encore lu Péguy mais c’était très précisément la « mystique républicaine » qui m’emballait. J’avais l’impression que Chevènement était en mission, qu’il avait compris qu’à force de les mépriser, de leur dire qu’elles ne vivaient pas ce qu’elles vivaient, les classes populaires finiraient par passer au Front national – en fait, ce processus était déjà presque achevé. Lors des négociations sur l’autonomie de la Corse, je collai en catimini, dans tout mon bahut, des feuilles A4 rappelant d’indivisibilité du territoire français. A l’approche de l’élection, je franchissais le pas : j’adhérai au Mouvement des citoyens (MDC).
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Tandis que Chevènement était présenté comme « le troisième homme » par les sondeurs, je me rendais souvent au local du MDC de X. J’y retrouvai une drôle d’équipe, composée de communistes et de socialistes en rupture de ban et retraités. Moi qui m’attendais à trouver des partisans d’une troisième voie, j’étais déçu. Quand j’évoquai la possibilité d’une union avec les figures de l’autre rive – Pasqua et Villiers –, je provoquai une consternation dont, deux décennies plus tard, je me souviens encore. J’ignore si ces gens pensaient sérieusement l’emporter en comptant sur leurs propres forces, très limitées ; sans doute que, pour la plupart des militants, un parti est d’abord une sorte d’amicale. Chevènement lui-même – et ce fut le moment décisif de sa campagne – refusa, non sans morgue, l’alliance que lui proposait le RPF. Au « sentiment d’insécurité », il ne répondait pas du tout. Or, fort logiquement, la campagne s’était cristallisée autour de ce thème. Mauvais tribun et débatteur, un tantinet lunaire, ringardisé par les médias, l’ancien ministre dégringola au fil des semaines. J’étais accablé. Je cherchai un nouveau Clemenceau ; je trouvai un nouveau Pompée. Le soir du premier tour, mes camarades pleuraient. D’autres camarades, ceux du lycée, étaient, eux, désespérés. Le « fascisme » risquait de vaincre ; les trains étaient déjà prêts qui emporteraient les Arabes et les Noirs vers la Pologne… La quinzaine anti-Le Pen était lancée. Nos professeurs nous demandèrent d’aller manifester à Y, la grande ville. Ce jour-là, moi, j’allai faire un foot. Par la suite, je n’ai plus milité.
Natacha Polony, Michel Onfray, le Printemps républicain, Causeur: c’est à peu près tout ce qu’il reste du chevènementisme
Les socialistes reprochèrent longtemps à Chevènement – et dans une moindre mesure à Taubira – d’avoir fait perdre le lymphatique Jospin. Même s’il répondit souvent que l’homme de Creil devait sa défaite à la nullité de sa campagne – il la devait surtout, en vérité, à un déni d’un réel dont, deux décennies plus tard, la gauche ne veut toujours pas entendre parler –, le coup porta. Le « Che » de Belfort se fit discret. Vers 2006, il doucha rapidement les espoirs de ceux qui l’encourageaient à se présenter à la primaire socialiste. Ensuite, il devint une conscience, celle de la gauche d’avant, d’avant Maastricht, intervenant de plus en plus sporadiquement pour dire, jamais trop fort, tout le mal qu’il pensait de l’Union européenne, des traités, de la désindustrialisation, de l’impérialisme américain. Plus personne, dans son camp, ne l’écoutait. Ses partisans, on les trouvait et on les trouve encore dans le champ intellectuel. Natacha Polony, Michel Onfray, le Printemps républicain, Causeur dans une large mesure : c’est à peu près tout ce qu’il reste du chevènementisme. Ce n’est pas rien, oh non, mais ça n’intéresse toujours pas la gauche, qui accepte Polony depuis qu’elle s’est bien radoucie, qui traite Onfray et Elisabeth Lévy de fascistes, et qui se moque du Printemps républicain, lequel a – on est bien obligé de le dire – trente ans de retard au moins. La gauche est partie et ne reviendra pas ; elle est désormais relativiste, vivrensembliste, multiculturaliste ; la République qu’elle continue d’invoquer est parfaitement désincarnée, peuplée seulement de « valeurs » ; elle préfère que les autres crèvent pour l’Autre plutôt que d’admettre un lien, même ténu, entre immigration et délinquance, islam et islamisme. La gauche, doublée sur sa gauche par un wokisme qu’elle finira par faire sien, promeut les « mamans » lesbiennes qui vont louer des ventres en Inde ou en Ukraine au nom du délirant « droit à l’enfant », elle fait voter la monstrueuse IMG, elle soutient les « hijabeuses » au nom de l’« inclusion » et les garçonnets de huit ans qui veulent devenir des filles au nom d’un « genre » fantasmatique. Elle est le porte-parole du fanatique mouvement de déconstruction qui, sis sur les universités, les milieux économiques et l’industrie culturelle, vise à détruire – et détruit effectivement – les nations occidentales, les peuples occidentaux et, plus grave encore, infiniment plus grave, la conception occidental de l’être. Audibles, les chevènementistes susnommés le sont, certes. Mais auprès de qui ? C’est surtout à droite qu’on les écoute. Leur gauche est morte et enterrée depuis longtemps.
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L’espoir est taquin : durant le mouvement des Gilets jaunes, j’ai cru un instant qu’il était encore possible d’unir les souverainistes des deux camps. Présent dix samedis sur les Champs, je vis, à côté des drapeaux de nos vieilles provinces, se dresser celui de l’an II. Main dans la main, Bonchamps et Kléber allaient prendre l’Elysée et y attraper l’homme de Davos. Hélas, très vite, les frictions se multiplièrent. Moi qui parlai à tous, je constatai que si, pour les patriotes – très majoritaires dans les rangs –, une alliance était envisageable, pour les vieux républicains, en revanche, elle était impensable – « J’manifeste pas avec des fachos ! ». Les deux camps poursuivaient certes le même but, mais pas pour les mêmes raisons. Les « fachos » voulaient continuer l’histoire de France ; les vieux républicains voulaient en recommencer une autre. Et le désaccord le plus flagrant – et qui rend en effet impossible l’union des deux souverainismes –, c’était l’immigration – seuls BFM et ceux qui ne battaient pas le pavé ignorent que parmi les principales revendications des manifestants, il y avait le refus du Pacte du Marrakech. Depuis une dizaine d’années, Chevènement pantouflait médiocrement, profitant goulûment de cette République qu’il prétendait autrefois relever. Récemment, il s’était distingué dans un débat avec Eric Zemmour, manifestant une hostilité digne d’un militant d’SOS Racisme. Son ralliement à Macron n’est que le dernier de ses reniements. Face à « la menace populiste », c’est-à-dire au réveil des peuples européens refusant de disparaître, il se fait, comme tout bon homme de gauche, castor. La grande affaire, l’unique sujet important, c’est, aujourd’hui plus encore qu’hier, l’immigration, et donc l’identité. De sorte que l’on peut se demander si le souverainisme de gauche n’est pas, tout simplement, un oxymore.