Après avoir écartelé la gauche en 2017, Emmanuel Macron a réussi à faire oublier la droite en 2019. Plus aucune opposition crédible ne s’oppose à lui. Il peut « marcher » en toute tranquillité…
Passés l’étonnement, la stupeur ou l’euphorie des résultats, selon que l’on soit de telle ou telle paroisse politique, une analyse sereine et réfléchie des résultats de l’élection européenne ne peut aboutir qu’à un seul constat : aucune famille politique française n’a vraiment gagné cette élection, mais la France, elle, a perdu ; et pas seulement dans sa future représentation européenne totalement éparpillée.
Personne n’a vraiment gagné les élections
Le Rassemblement national (RN) a fêté sa première place comme un triomphe, Marine Le Pen appelant même le président de la République à dissoudre l’Assemblée nationale. Mais est-ce vraiment gagner que de perdre un député (23 sur 79 contre 24 sur 74 dans la précédente législature) au Parlement européen, alors que le monde entier attendait une poussée des nationalistes européens ? Cette poussée, qui a eu lieu dans d’autres pays, comme l’Italie, n’a pas eu lieu en France. Est-ce gagner que de régresser en pourcentage de suffrages exprimés par rapport à la même élection précédente ? Certes, le RN a progressé de 12% en termes de voix mais, avec une participation en hausse de près de 20%, le RN perd 1,5 point par rapport à 2014. Enfin, si l’écart entre LREM et lui avait été conséquent (23%-19% par exemple), le triomphe affiché hier soir aurait été compréhensible, mais est-ce vraiment triompher que d’avoir à peine un point d’avance sur son principal concurrent ?
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Le simple fait que « l’Elysée salue le score honorable de la liste de Nathalie Loiseau » prouve que LREM s’attendait à un résultat bien pire que celui de dimanche soir pour le parti jupitérien. Mais terminer deuxième alors même que le président de le République s’est investi dans la campagne comme un vulgaire chef de parti, relayé par moult medias, montre bien que la dynamique En Marche consécutive à l’élection présidentielle a fait long feu. C’est une défaite pour la liste conduite par Nathalie Loiseau, c’est un désaveu personnel pour le chef de l’Etat, qui a délaissé sa fonction présidentielle le temps de la campagne, c’est une défaite pour LREM qui avait tout misé sur le rejet de l’épouvantail RN.
La comparaison avec 2014 pourrait laisser penser que les Verts ont réalisé un très bon score, que Yannick Jadot est, en effet, l’un des vainqueurs de cette journée électorale. C’est juste oublier que l’élection européenne est l’élection de prédilection de ce mouvement depuis 1999, et qu’en 2009 ces mêmes Verts d’EELV avaient rassemblé 16,3% des suffrages, ce qui leur avait permis d’envoyer 14 élus au Parlement européen, alors qu’ils n’en auront que 13 dans la prochaine législature. Certes, comme le RN par rapport à 2014, Les Verts progressent en nombre de voix par rapport à 2009 (+ 250 000 environ) mais régressent en pourcentage de 2,8 points. Est-ce, donc, là aussi une victoire…?
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Quant aux trois grands partis nationaux issus des mouvements politiques de l’après-guerre, et qui ont dirigé la France depuis 1945, n’ayons pas peur des mots : pour les gaullistes des Républicains, pour les socialistes, déchirés entre Place Publique et Génération.s, ou pour les communistes, divisés entre la France insoumise et le PCF, ce dimanche 26 mai 2019 fut une curée, une catastrophe, une Bérézina. Où sont les 20% de François Fillon, où sont les 19,5% de Jean-Luc Mélenchon ?
Ainsi, malgré des apparences trompeuses, aucun parti n’a vraiment gagné cette élection européenne en France. Mais au-delà des partis, s’il y a quelqu’un qui, non seulement n’a pas gagné, mais a même vraiment perdu avec le résultat de dimanche soir, c’est bien la France.
Droite, gauche, uppercut
Emmanuel Macron avait atomisé la gauche en 2017, il vient d’atomiser la droite, qui avait fait mine de résister encore un peu en 2017, aux élections sénatoriales, et en 2018, au gré des quelques élections législatives partielles.
La gauche traditionnelle d’aujourd’hui, c’est à peine 10% de socialistes (Glucksman et Hamon réunis) et pas plus de communistes (Aubry et Brossat réunis), même pas 20% atomisés en micro-partis qui se déchirent sur des questions philosophico-sociétales ou, plus simplement et plus sûrement, pour des questions d’ego de leurs chefs. Et ce ne sont pas les 15%, environ, de voix écologistes qui viendront changer la donne, chacun sachant que les élections européennes sont les élections de prédilection des Verts et que ce score ne se retrouvera pas dans une élection nationale.
Quant à la droite traditionnelle, phagocytée sur sa gauche par l’extrême centre libéral-mondialiste macroniste et déchiquetée par ailleurs à cause des querelles intestines d’ego des chefs de clans LR ou DLF, qu’en reste-t-il aujourd’hui, à part des lambeaux ? Emmanuel Macron vient d’achever son travail de déconstruction du paysage politique français.
Qui va s’opposer au « projet » d’Emmanuel Macron ?
Mais là où la chose devient grave pour la France, c’est que cette déconstruction du paysage politique vient accompagner la déconstruction du pays en lui-même, de ses traditions sociétales, de son contrat social.
Qui, aujourd’hui, en France, aura assez de poids politique pour s’opposer à la casse du modèle social français, initiée, entre autres, par les cinq « ordonnances Travail » du 22 septembre 2017 ?
Qui, aujourd’hui, en France, aura assez de poids politique pour s’opposer à la casse sociale et salariale (ça aurait pu intéresser la gauche) liée à l’ouverture massive des frontières pour attirer une main d’œuvre bon marché venue de pays plus ou moins lointains (ça aurait pu intéresser la droite), initiée par le tandem Merkel-Macron en 2017 ?
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Qui, aujourd’hui, en France, aura assez de poids politique pour s’opposer à la casse du modèle sociétal français, domaine qu’Emmanuel Macron n’a pas encore attaqué frontalement pour le moment, mais qui va rapidement s’inviter dans le débat national (si tant est que celui-ci puisse encore exister) avec, entre autres, la prochaine loi de bioéthique ?
Qui, aujourd’hui, en France, aura assez de poids politique pour s’opposer à l’atomisation de la société française, qui, d’une nation unie autour de valeurs communes ancestrales jusqu’au troisième tiers du XXe siècle, devient de plus en plus un patchwork de communautés vivant les unes à côté des autres, et non pas les unes avec les autres, et de plus en plus revendicatrices ?
Qui, aujourd’hui, en France, aura assez de poids politique pour s’opposer, tout simplement, à la négation de la nation française, à la négation de l’héritage historique national dans notre pays, où les écoliers ne savent plus, parce que l’Education nationale ne le leur apprend plus, qui sont Vercingétorix, Charlemagne, Saint-Louis, Ronsard ou même Napoléon ?
En avant, marche…
Plus personne, aujourd’hui, en France n’a un poids politique suffisamment fort, ni à gauche ni à droite, pour pouvoir contrarier « le projet » d’Emmanuel Macron. Plus personne sauf, bien sûr, le Rassemblement national. Mais dès que vous prononcez ce nom ou celui de l’un de ses dirigeants, la reductio ad hitlerum fond sur vous aussi sûrement qu’un nuage de sauterelles réduit à néant un champ de blé.
Ainsi, les partis politiques traditionnels pulvérisés, la seule opposition politique encore vaillante discréditée et ostracisée, Emmanuel Macron a maintenant les mains libres pour réaliser « son projet » qui consiste à continuer de déconstruire pierre à pierre l’héritage historique, culturel et sociétal de la France.