La crise qui a secoué le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), sur fond d’accusations d’ingérence et d’intimidation de la part de Gaétan Barrette, ne marque que le début d’un «trip de pouvoir» du ministre de la Santé, croit Réjean Hébert.
Joint à Madrid, où il donnait une conférence sur les services aux personnes âgées, celui qui a dirigé la Santé dans le dernier gouvernement péquiste dit avoir suivi «de très près» la récente saga du CHUM.
«Ce n’est que le début, ça commence. Au 1er avril, le Dr Barrette aura tous les pouvoirs pour intervenir et s’ingérer dans les affaires des établissements», a souligné l’ancien ministre Hébert.
«Le connaissant, il ne se privera pas de ce genre d’ingérence», a-t-il ajouté, estimant que le Dr Barrette a bel et bien fait preuve d’intimidation au CHUM.
Barrette n’aura rien appris
Mercredi dernier, le directeur général Jacques Turgeon a repris son poste à la tête de l’hôpital à ses conditions après une semaine de crise où il a dénoncé que le ministre Barrette s’imposait dans la nomination du chef de la chirurgie.
Le Commissaire à l’éthique a ouvert une enquête à ce sujet et les partis d’opposition ont réclamé la démission du Dr Barrette. M. Hébert ne se prononce pas sur ce plan, mais il est convaincu que cette crise ne changera pas sa façon de travailler.
«Je ne pense pas que les gens changent. On l’a vu depuis qu’il est en poste et même avant. C’est un batailleur, il va continuer à avoir la même attitude, dit-il. Je ne crois pas qu’il ait appris quoi que ce soit. Mais, le premier ministre va peut-être l’avoir à l’œil de façon plus étroite.»
Le Dr Hébert a été ministre de la Santé sous le gouvernement péquiste de Pauline Marois durant 18 mois, jusqu’en avril 2014. Bien qu’il soit maintenant professeur en administration de la santé à l’Université de Montréal, il ne mâche pas ses mots à l’égard des bouleversements créés par la réforme dans le réseau.
Le système sera pire
«Tout ce que Barrette a de son côté, c’est une opinion publique un peu cynique qui croit que ça ne peut pas être pire. Mais oui, je pense que ça peut être pire. Et ce sera pire, prédit-il. Ce n’est pas une réforme basée sur la science. C’est dans la tête du Dr Barrette qui a un trip de pouvoir.»
Adoptée par bâillon il y a un mois, la loi 10 entre en vigueur le 1er avril. Elle vise à réduire la bureaucratie en fusionnant les directions des établissements. Selon le Dr Hébert, cette centralisation des pouvoirs va à l’encontre des tendances observées partout dans le monde.
« Des années à s’en dépêtrer »
«C’est une réforme qui n’est pas basée sur la science. Les expériences des autres pays nous apprennent que ce genre de gestion centralisée n’est pas efficace, dit-il. Ça va à l’encontre de tout ce qu’on connaît dans les fusions!»
«On va en avoir pour des années à se dépêtrer de cette réforme de structure», ajoute M. Hébert.
Et selon lui, le projet de loi 20 qui veut obliger les médecins à suivre un minimum de patients sous peine de pertes de revenus ne donnera pas un meilleur accès aux soins.
«Le patient n’y gagnera rien, il n’est pas au cœur de la réforme! déplore-t-il. C’est une réforme de structure, pas pour améliorer les services. [...] C’est de la poudre aux yeux.»
Il met en doute, par ailleurs, la méthode utilisée par le ministre Barrette, soit d’avoir légiféré sans avoir d’abord donné une chance aux négociations avec les différentes fédérations: «Il faut investir dans la première ligne et ça ne concerne pas juste les médecins de famille. Ça, Barrette ne l’a pas compris.»
Même avec un fouet...
«Pour les quotas de patients, on annonce déjà toutes sortes d’exceptions, tellement que les quotas ne donneront rien», ajoute-t-il.
Par ailleurs, l’ancien ministre souligne la réalité de la nouvelle génération de médecins, qui travaillent moins que leurs prédécesseurs.
«C’est un fait. Même si le ministre avait un fouet, il ne pourrait pas les obliger à travailler. Il faut trouver d’autres solutions que de les contraindre.»
Il n’écarte pas un retour en politique
Vous qui êtes particulièrement spécialisé dans les soins aux aînés, êtes-vous inquiet de l’impact de la réforme sur cette clientèle?
«Les personnes âgées ne sont plus du tout la priorité du gouvernement. Elles n’auront pas d’autre choix que de s’en aller en CHSLD et on n’a pas fini de voir les listes d’attente s’allonger et les situations en résidences se détériorer.»
Quelle est votre plus grande déception à la suite de votre passage en politique?
«De ne pas avoir eu le temps de régler l’assurance autonomie et la politique de prévention publique. J’aurais voulu faire plus vite, mais dans le contexte de gouvernement minoritaire, ce n’était pas possible et les élections ont contrarié les plans. Mais, après les dommages qui auront été faits au système, on y reviendra.»
Quelle est votre plus grande fierté durant votre passage au pouvoir?
«D’avoir rappelé les GMF à l’ordre. Il y avait eu un laisser-aller, certains ne respectaient pas leur contrat. On s’était aussi engagé à donner accès à un médecin de famille à tous les Québécois en quatre ans et je suis convaincu qu’on y serait arrivé.»
Que pensez-vous de la course à la chefferie au Parti québécois?
«Je n’ai pas d’opinion, je la garde pour moi. Je me suis retiré de la vie politique.»
Mettez-vous une croix sur un éventuel retour en politique active?
«Dans la vie, on ne doit jamais dire jamais. S’il y a des conditions qui font que je peux faire avancer le système de santé, je vais les regarder de façon attentive. Mais, pour l’instant, je ne suis plus en politique.»
Que pensez-vous de la prime de 215 000 $ accordée à l’ancien ministre de la Santé, le Dr Yves Bolduc, pour avoir pris en charge des nouveaux patients?
«C’était inacceptable. Il a utilisé une brèche dans l’entente pour prendre des patients et il en a profité. C’est inacceptable.»
Est-ce que votre perspective du réseau a changé après avoir occupé le siège de ministre?
«C’est une entreprise de 32 milliards $, mais c’est ce à quoi je m’attendais. C’est un réseau qui a besoin de ses cadres et de ses gestionnaires pour fonctionner. Je ne suis pas convaincu qu’il y a trop de bureaucratie. [...] Mais, il ne faut pas gérer avec un patron qui dicte les façons de faire.»
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