(Québec) Annoncée durant la période des Fêtes, la nomination de la présidente du conseil d'administration du CHUM-CHU Sainte-Justine, le plus important établissement hospitalier du Québec, fait grincer des dents dans le milieu de la santé.
Geneviève Fortier était présidente du conseil du CHU Sainte-Justine depuis 2010 avant que sa nomination à la barre du nouvel organisme fusionné ne soit annoncée, le 21 décembre dernier. Mme Fortier est aussi première vice-présidente de McKesson Canada, le bras canadien d'un géant international de la distribution de médicaments et d'appareils pharmaceutiques.
Au registre des lobbyistes, Mme Fortier est aussi responsable, pour sa firme, des relations gouvernementales avec Québec. À ce titre, précise son mandat, elle est susceptible d'avoir des contacts avec les ministres Gaétan Barrette et Carlos Leitao, et même avec le premier ministre Philippe Couillard.
Au cabinet de Gaétan Barrette, responsable de la nomination, on relève que Mme Fortier avait été choisie présidente par ses collègues au conseil d'administration de Sainte-Justine. De plus, « elle s'est engagée, dans son dossier de candidature, à quitter toutes réunions où son emploi au sein de McKesson pourrait la placer en conflit d'intérêts ou en apparence de conflit d'intérêts ». Elle avait fait de même quand elle avait pris la barre du conseil de Sainte-Justine. En outre, les établissements ne s'immiscent pas dans l'achat des médicaments sous la responsabilité de trois regroupements indépendants, explique Johanne Beauvais, porte-parole de Gaétan Barrette. Au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), Irène Marcheterre s'en remet aux explications du ministre.
«Potentiel de conflit d'intérêts permanent»
Des sources à Sainte-Justine soulignent que jamais son intégrité n'a été mise en doute. Sa nomination au conseil du CHUM s'explique davantage par sa capacité à composer avec Fabrice Brunet, un directeur général passablement autocrate, choisi par Gaétan Barrette. Mais dans le réseau, on observe qu'avec le rôle plus important des conseils d'administration d'établissement après l'adoption du projet de loi 10, la proximité de Mme Fortier avec la multinationale McKesson pose problème.
Selon Damien Contandriopoulos, professeur à l'Institut de santé publique de l'Université de Montréal, « c'est vrai qu'il peut être difficile de trouver des industries qui n'ont aucun lien avec la santé, même une personne issue des banques est reliée aux assurances, et là, on met un pied dans la privatisation ! » McKesson est dans la distribution de médicaments, d'appareils et de matériel médical ; si sa vice-présidente se retire des réunions chaque fois que les intérêts de sa firme peuvent être touchés, « elle va passer son temps dans le couloir ». Le fait qu'elle soit présidente du conseil décuple le problème.
Informée de la situation par La Presse, Diane Lamarre, critique du Parti québécois en matière de santé et ex-présidente de l'Ordre des pharmaciens, s'insurge. « C'est un potentiel de conflit d'intérêts permanent. Je ne peux croire que c'est la seule personne qu'ils aient pu trouver pour diriger le plus gros conseil au Québec. » Le regroupement d'achats de médicaments de Montréal a confié un mandat à McKesson pour trois ans ; « quand cela devra être renouvelé, Mme Fortier devra se retirer de ses fonctions ? Pour moi, c'est un exemple d'inégibilité ! », souligne la députée péquiste de Taillon. Les coûts des médicaments représentent le tiers des dépenses des hôpitaux, rappelle-t-elle.
Lobbyiste
Selon Manon Lambert, directrice et secrétaire de l'Ordre des pharmaciens, « ces situations de conflits d'intérêts potentiels ne sont pas rares, mais il faut s'assurer que les garde-fous nécessaires soient mis en place. Il faut s'assurer qu'il y ait des déclarations d'intérêts signées, mais surtout qu'elles soient mises en application. Surtout qu'on parle de la présidente du conseil d'administration, le ministre Barrette a la responsabilité de s'assurer que les établissements prévoient ces situations, il en va de la confiance du public ».
Mme Fortier est inscrite comme lobbyiste de sa firme au Registre, responsable des relations avec le gouvernement du Québec. Ses « démarches visent à promouvoir McKesson Canada comme un conseiller expert dans le domaine de la santé afin que le gouvernement fasse appel à l'expertise de McKesson Canada dans d'éventuelles réformes législatives impactant la chaîne d'approvisionnement pharmaceutique ».
Les déboires de McKesson
McKesson n'a pas toujours été une bonne entreprise citoyenne. Dans une entente à l'amiable survenue l'an dernier avec la Régie de l'assurance maladie, la firme a accepté de remettre 40 millions au gouvernement du Québec pour avoir versé des ristournes illégales à plus de 200 pharmaciens. Le syndic de l'Ordre des pharmaciens a récupéré en septembre dernier 1,6 million auprès de 326 pharmaciens contrevenants.
Comme grossiste, McKesson participe aussi aux appels d'offres ; le fait d'avoir potentiellement accès à des informations qui circulent dans le plus important établissement de santé au Québec peut donc être utile. Les pharmaciens en chef des établissements importants se retrouvent aussi aux comités régionaux de services pharmaceutiques, où soumissionnent les grossistes. En vertu du projet de loi 81, McKesson devra aussi participer à des appels d'offres en dehors des regroupements d'achats. Finalement, la firme vend des robots et de l'équipement aux hôpitaux directement, sans passer par les regroupements d'achats.
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