(Ottawa) Du matériel informatique crypté et des informations sensibles liées à la sécurité de Justin Trudeau, comme le nom des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui assurent sa protection ainsi que leur numéro de passeport, ont été dérobés à un fonctionnaire canadien, à quelques jours de la participation du premier ministre à une rencontre au Rhode Island, en juillet 2017.
La Presse a appris que le véhicule de location d'un fonctionnaire d'Affaires mondiales Canada a été la cible d'un vol dans le stationnement d'un parc national au Connecticut, le 9 juillet 2017. L'employé en question, qui était accompagné de sa femme, était sorti pour une randonnée, selon des informations obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.
Le fonctionnaire participait à la préparation de la visite du premier ministre à Providence, au Rhode Island, le 14 juillet 2017, dans le cadre de la rencontre estivale de la National Governors Association. M. Trudeau avait décidé de participer à cette rencontre afin de rappeler aux gouverneurs des États américains les avantages d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. À l'époque, les négociations visant à moderniser l'Accord de libre-échange nord-américain s'enlisaient.
Un document interne du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, qui mène une enquête sur les événements, fait état, en détail, des «items personnels et professionnels» de l'employé volés dans le coffre de la voiture.
On y apprend notamment que le ou les voleurs ont fait main basse sur l'ordinateur portable «assigné» du fonctionnaire, une clé de cryptage, des dispositifs de BlackBerry et un jeton SecurID, un outil d'authentification pour accéder à un système d'information.
Une note diplomatique destinée aux autorités américaines pour l'autorisation du port d'arme des agents de la GRC sur le sol américain a aussi été subtilisée. C'est ce document précis qui comportait le nom des agents qui devaient assurer la sécurité de Justin Trudeau lors de sa visite au Rhode Island, leur date de naissance, leur rang ainsi que leur numéro de passeport canadien.
De la documentation liée aux préparatifs de la visite, comme le numéro des chambres d'hôtel des membres de la délégation canadienne et la date d'arrivée de l'entourage du premier ministre, a également été dérobée.
«Une cible permanente»
Les incidents rapportés sont loin «d'être anodins» et auraient pu avoir des conséquences graves, selon l'avis de deux experts en sécurité consultés par La Presse. «C'est de la sécurité du premier ministre dont on parle ici», rappelle l'ex-agent du contre-espionnage russe du Service canadien du renseignement de sécurité Michel Juneau-Katsuya. «Ce sont des informations de la plus haute importance pour un État.»
«Tu déplaces un premier ministre, c'est une cible permanente, illustre pour sa part Paul Laurier, ex-enquêteur de la Sûreté du Québec spécialisé en matière de renseignement criminel. C'est une brèche importante dans la sécurité.»
Évoquant des «raisons de protection à la vie privée», Affaires mondiales Canada n'a pas voulu commenter l'affaire, pas plus que le bureau du premier ministre et le Commissariat à la protection de la vie privée.
«Le gouvernement du Canada prend ces incidents au sérieux. Les mesures appropriées ont été prises dès qu'Affaires mondiales Canada a été mis au courant», écrit notamment Affaires mondiales Canada dans un courriel.
Selon nos informations, l'enquête, qui est toujours en cours, implique huit personnes, mais impossible de connaître leurs fonctions. Les informations contenues dans le matériel informatique volé ne sont pas non plus révélées dans le document que La Presse a obtenu.
Manque de «rigueur» et «laxisme»
Les experts interrogés s'expliquent mal comment des documents et du matériel de cette importance peuvent avoir été laissés dans un véhicule sans surveillance. «C'est frappant, lance Paul Laurier. Il faut que ce genre d'informations se trouve dans un lieu sécurisé, c'est certain. [...] Documents confidentiels et loisir ne vont certainement pas ensemble.»
Un avis que partage M. Juneau-Katsuya, qui rappelle par ailleurs l'existence de politiques et de procédures pour le transport de ce genre de documents.
«Si on veut être dans l'entourage du premier ministre, si on veut faire partie de ces gens de confiance, il faut démontrer une éthique et une rigueur professionnelles supérieures. C'est la rigueur professionnelle qui a manqué ici.»
Paul Laurier soutient de plus que les fonctionnaires fédéraux, surtout dans des ministères névralgiques, «sont sensibilisés» à ce genre de précaution. «Ce sont des gens qui peuvent être ciblés, qui peuvent être vulnérables», indique-t-il.
Questions en suspens
Le vol est survenu dans le stationnement du parc West Ridge State situé à New Haven, au Connecticut, à quelque 200 kilomètres de Providence, au Rhode Island, cinq jours avant le début de la conférence des gouverneurs. «On n'a probablement affaire qu'à des voyous», estime M. Juneau-Katsuya, mais d'importantes questions demeurent en suspens.
«Est-ce une demande? Un vol aléatoire? Qui a fait le vol? Et tout ça se trouve maintenant dans les mains de qui?», s'interroge M. Laurier. «Ce sont des renseignements très précieux», précise-t-il, qui peuvent servir à forger des identités «synthétiques» ou à recouper des informations. «À la base, il y a une brèche», réaffirme l'expert.
D'expérience, Michel Juneau-Katsuya et Paul Laurier croient que des «alertes» ont assurément été levées, notamment pour protéger l'identité des agents de la GRC dont les données personnelles ont été volées. Les autorités frontalières surveilleront, par exemple, si les numéros de passeport subtilisés devaient être réutilisés sous de fausses identités.
Il y a certainement une enquête de la GRC en cours aussi, croit M. Laurier. Une information que La Presse n'a pu confirmer. Il a été impossible également de savoir si le fonctionnaire victime du vol avait été sanctionné.
- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse