Un diplomate israélien a essayé de torpiller un ministre britannique et le gouvernement n’a pas réagi. S’il s’était agi d’un Russe, la réaction à un tel scandale aurait été dévastatrice
Tentons une expérience de pure imagination : l’ambassade russe vient de se faire prendre en flagrant délit en train de dresser une « liste noire » des députés britanniques qu’elle a décidé de « descendre en flammes ».
Allons plus loin : supposons que cette « liste noire » incluait un ministre important au ministère britannique des Affaires étrangères, connu pour la virulence de ses critiques contre Vladimir Poutine.
Et qu’un deuxième personnage sur cette liste n’était autre qu’un critique de la Russie, l’influent président de la Commission des affaires étrangères du parlement, une fois encore ciblé pour ses opinions hostiles à la Russie.
Supposons aussi qu’un fonctionnaire russe ait été filmé en train d’avouer au président des Amis travaillistes de la Russie avoir obtenu « plus d’1 million de livres sterling » pour payer le voyage en Russie d’un certain nombre de députés favorables du Parti travailliste.
Des enregistrements secrets révèlent l’influence israélienne sur le Parti conservateur britannique
Voilà qui aurait provoqué un joli pataquès. L’ambassadeur russe aurait été convoqué au ministère des Affaires étrangères et sommé de s’expliquer.
Ce fonctionnaire d’ambassade aurait été indubitablement embarqué sans autre forme de procès sur le prochain avion à destination de son pays d’origine.
On aurait entendu des menaces de sanctions et d’interruption des relations diplomatiques. Une crise diplomatique de grande envergure aurait éclaté. La Première ministre britannique, Theresa May, aurait exigé des explications et des excuses personnelles de la part de Poutine.
Substituez « la Russie » à Israël, et vous obtiendrez un tout autre dénouement.
Pas d’expulsion. Pas d’incident diplomatique. Aucune menace de sanctions. L’affaire est close. « Circulez, y a rien à voir ».
Comme s’il n’y avait rien là que de très banal, on nous a informés que l’ambassadeur israélien s’était excusé auprès d’Alan Duncan. Le ministère des Affaires étrangères britannique a publié une brève déclaration expliquant que le Royaume-Uni a « des relations fortes avec Israël et nous considérons que l’affaire est close ».
Nauséabonde, cette affaire-là. Il y a quelque chose qui cloche, et gravement. Ça ne colle pas.
Cet épisode soulève un certain nombre de questions brûlantes quant à la sécurité nationale britannique, et aucune n’a trouvé réponse.
Premièrement et avant tout, qui est vraiment ce Shai Masot, fonctionnaire d’ambassade israélien ? On nous dit qu’il est certes au service de l’ambassade israélienne, mais pas diplomate.
S’il n’est pas diplomate, il est quoi ?
Shai Masot, le Machiavel israélien pris la main dans le sac
L’ambassade israélienne prétend que le Commandant Masot (qui se décrit apparemment comme un officier des Forces de défense israéliennes) n’est rien de plus qu’une figure mineure ayant tenu des propos déplacés.
Nous ne devrions pas accepter aveuglément cette assertion. Je dirais même qu’il n’est pas question de l’accepter du tout.
Masot manie de très grandes sommes d’argent – plus d’un million en faveur des seuls Amis travailliste d’Israël, à en croire les enregistrements.
Ces bandes, fruit de plusieurs mois de tournage en caméra cachée effectué par Al Jazeera, prouvent qu’il s’immisce, de mèche avec des membres des deux principaux partis du pays, au cœur de la politique britannique.
Ses activités sont en totale harmonie avec le genre de campagne d’influence en sous-main dont la Russie a été récemment accusée aux États-Unis.
Cette ingérence dans la politique d’un autre pays est aussi inappropriée qu’inacceptable – qu’elle soit perpétrée par la Russie ou par un allié aussi fidèle qu’Israël.
En effet, la Grande-Bretagne et Israël sont de très proches alliés. Loin de minimiser l’affaire, cela la rend d’autant plus intolérable.
Les politiciens et diplomates israéliens jouissent de relations très privilégiées avec notre pays. Ils partagent avec nous toutes sortes de secrets et ont accès à toutes les personnalités qu’ils souhaitent aborder.
S’il s’avère qu’ils se livrent dans notre dos à des manigances visant à « descendre en flammes » les politiciens britanniques qui n’ont pas l’heur de partager leurs façons de voir, il s’agit d’une violation flagrante de notre confiance.
Hier, des députés britanniques de premier plan se sont manifestés et ont exigé une enquête gouvernementale sans concession.
L’un d’entre eux s’appelle Sir Nicholas Soames, petit-fils du grand chef de guerre Sir Winston Churchill et ancien ministre de la Défense.
Lors de notre entretien hier, Sir Nicholas a comparé les activités des Israéliens à celles du KGB.
« C’est une affaire aussi sérieuse que celles impliquant les services du renseignement soviétiques, qui se permettaient de suborner la démocratie et de s’immiscer dans son processus de fonctionnement normal », m’a-t-il dit.
Emily Thornberry, ministre des Affaires étrangères de l’opposition, a noté, fort justement, qu’il s’agit d’une affaire de « sécurité nationale » qui exige l’ouverture d’une enquête extrêmement sérieuse.
Nous avons besoin de savoir si Masot a pris des initiatives concrètes pour ébranler Alan Duncan, vice-ministre des Affaires étrangères, ainsi que Crispin Blunt, président de la Commission des affaires étrangères.
D’autres députés britanniques ont-ils été ciblés par les Israéliens ? Que savait l’ambassadeur israélien Mark Regev des activités de Masot ? Et s’il n’en savait rien, pourquoi donc ?
Il est crucial pour nous de savoir où Masot a trouvé ce million de dollars prodigué aux Amis travaillistes d’Israël. Combien a-t-il par ailleurs distribué aux organisations politiques britanniques ? D’autres députés, entre autres personnalités influentes, ont-ils eux aussi bénéficié de ses largesses ?
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Dans quelle mesure Masot a-t-il réussi à influencer le discours politique au Royaume-Uni ?
Si tout autre pays était impliqué dans ce genre d’opérations – même des alliés aussi proches que la France, l’Arabie saoudite ou les États-Unis –, il nous serait indispensable d’obtenir des réponses, et de toute urgence.
Israël est effectivement notre allié, mais on ne saurait lui concéder un traitement d’exception.
Un autre point, et de la plus haute importance, reste à considérer.
Si la Grande-Bretagne renonçait à enquêter sur ces malversations israéliennes, cela reviendrait à donner tout simplement le feu vert à d’autres opérations clandestines du même acabit sur le sol britannique.
Au final, la réaction du ministère des Affaires étrangères est auréolée du plus grand mystère. Quelques heures à peine après l’éclatement de cette affaire, la voici déclarée « close ».
Pourquoi ? Comment en est-on si vite arrivé à une telle conclusion ? Le gouvernement de Theresa May est-il complice de cette immixtion israélienne dans le processus démocratique britannique ?
Masot, nous le savons désormais, pense que le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, est un « idiot ».
C’est aussi mon avis. Si Johnson a une once de patriotisme, il a besoin de se réveiller très vite ; d’attaquer de front cette scandaleuse ingérence dans la démocratie britannique et d’annoncer une enquête sérieuse.
Peter Oborne a été désigné journaliste indépendant de l’année 2016. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph.
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