Si la rumeur ne ment pas, Gilles Duceppe quittera ses fonctions aujourd’hui. Il quitte certainement déçu. Il aurait probablement souhaité faire de cette élection un moment de la renaissance indépendantiste. Il n’a pas à quitter dans la honte. Son pari était peut-être impossible : convaincre les Québécois non pas de choisir ceux qui formeront le prochain gouvernement fédéral à un moment où cette question écrasait toutes les autres (en se formulant de la manière suivante : comment en finir avec Stephen Harper?) mais bien de renouer avec l’opposition systématique au régime fédéral en optant pour une formation souverainiste au moment même où la question nationale telle qu’on l’a connu s’épuise au Québec, pour ne pas dire qu’elle se décompose. Il visait 12 députés, il en a obtenu 10. C’est plus qu’honorable. Et les bloquistes peuvent se dire que s’il n’avait pas été là, leur parti n’aurait pas su rebondir.
Les députés de Bloc devront vite se poser une question : à quoi serviront-ils à Ottawa? Traditionnellement, ils misaient sur une stratégie de respectabilité parlementaire. Ils voulaient être les plus assidus parlementaires des Communes, les plus rigoureux, les plus attentifs à la bonne marche de la démocratie canadienne. Ils en tiraient même une grande fierté. Cela a pu en conduire certains, pas complètement à tort, à reprocher au Bloc de s’être laissé normaliser et neutraliser par le régime qu’il prétendait combattre, en se pliant à ce qu’on pourrait appeler ses critères de respectabilité. En un mot, les souverainistes faisaient la preuve aux Canadiens qu'ils n'étaient pas des diables et qu'ils étaient des démocrates comme les autres, dignes de respect. Convenons que cette manière d’envisager le combat souverainiste n’était pas exclusive au Bloc: à bien des égards, un homme comme René Lévesque ne voulait-il pas lui aussi apparaître comme un bon joueur dans la politique canadienne?
Mais les temps changent, et les dix députés du Bloc devront probablement changer de mission. Ils devront peut-être moins se fondre dans le paysage en se comportant comme des parlementaires exemplaires d’un régime qu’ils rejettent qu’à la manière de trublions indépendantistes cherchant à rappeler en toutes circonstances, de la meilleure manière possible, la question du Québec et l’actualité du combat souverainiste. Autrement dit, ils auraient moins à contribuer à la bonne marche de la politique fédérale canadienne qu'à se poser en témoins vibrants de l’idéal indépendantiste dans une enceinte où on le considère comme fondamentalement illégitime, et devant un premier ministre qui croit que la loi sur la clarté a donné la seule réponse qui convient aux nationalistes québécois. Pratiquement, il y aurait bien des manières de mener ce travail d’opposition nationale.
Une telle posture, faisant passer le Bloc d’une critique du fonctionnement du régime canadien à celle de sa légitimité, aurait le mérite de faire entendre leur voix dans un parlement qui au-delà de ses divisions, sera unanimement rassemblé dans la célébration de la grandeur du Canada. Elle poserait en toute franchise un conflit national que nos élites cherchent aujourd’hui à étouffer ou à nier. On ajoutera que dans les circonstances, une telle stratégie n’est pas inenvisageable. On ne sait évidemment pas qui dirigera le Bloc après Gilles Duceppe mais on notera que la plupart de ses élus proviennent de ce qu’on pourrait appeler la filière Mario Beaulieu. À ce qu’on en sait, ils se perçoivent moins comme des politiciens au service du nationalisme québécois que comme des croisés indépendantistes dans un parlement étranger. Une telle manière de définir leur mission, sans qu’ils n’aient l’air pour autant d’hurluberlus ou d’excités idéologiques, pourrait leur convenir et même leur plaire.
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