Son nom a fini par devenir public : Bernard Trépanier. Un nom que la grande majorité des Montréalais ignorent, mais qu'une poignée d'hommes d'affaires ne connaît que trop. Jeudi, l'ancien chef de l'opposition à l'hôtel de ville, Benoit Labonté, a dit à Radio-Canada qu'il avait déjà parlé de son rôle trouble avec le maire Gérald Tremblay.
Au cours d'une longue enquête, La Presse a reçu des extraits de conversations faites au téléphone. Ils montrent que M. Trépanier agissait en effet comme intermédiaire entre le parti du maire, des dirigeants de la Ville et des firmes qui voulaient, et obtenaient, de lucratifs contrats. Il huilait les relations, notamment entre Frank Zampino, alors président du comité exécutif, et des hommes d'affaires connus. M. Trépanier allait jusqu'à annoncer à des dirigeants d'entreprise que des contrats allaient leur être attribués. Celui qui s'est fait connaître pour ses ristournes de 3% était au coeur d'un obscur réseau d'influence.
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Nous avons aussi appris qu'un important dirigeant d'une firme d'ingénieurs est allé en croisière sur le luxueux yacht de Tony Accurso, alors que les deux hommes étaient officiellement des concurrents pour obtenir le plus gros contrat de l'histoire de la Ville de Montréal, celui des compteurs d'eau.
Un contrat au groupe SM
À la fin de 2006 ou au début de 2007, Bernard Trépanier a téléphoné à Bernard Poulin, président du groupe d'ingénieurs SM, pour lui annoncer qu'un contrat allait lui être donné. Il portait sur la décontamination du Faubourg Contrecoeur, un vaste terrain que la Ville de Montréal s'apprêtait à vendre à Construction Frank Catania par l'entremise de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM).
La Presse a obtenu l'étude réalisée par le groupe SM, et commandée par la SHDM. Cette étude a largement surévalué le niveau de contamination, comme l'a montré le rapport du vérificateur général de la Ville de Montréal.
«Ça va bien, es-tu après te reposer ?» demande M. Trépanier. «Ça marche», répond M. Poulin. M. Trépanier lui indique ensuite qu'il a participé à une réunion avec Frank Zampino, Daniel Gauthier (un urbaniste d'une filiale de Dessau), Martial Fillion (directeur général de la SHDM) et Michel Lalonde (patron du groupe d'ingénieurs Séguin).
«On va te donner un petit mandat, annonce M. Trépanier à Bernard Poulin. On va te donner un mandat sur la décontamination, même si... Dessau est là, dans l'urbanisme. On va donner un contrat indépendant à quelqu'un sur... Je vais te revenir avec ça, mais je sais que, mon chum a dit : " Pourquoi on donnerait pas un mandat de même pour couvrir "... en tout cas, on s'expliquera ça en chemin, mais on a pensé à toi à matin.»
«C'est un petit mandat ou un moyen mandat ?» demande Bernard Poulin. «Bien, un mandat, répond Bernard Trépanier. Il y a pour 12 millions (de dollars) de terre contaminée.» «Je comprends où ça va», dit M. Poulin. «Fait que, on s'organise», réplique M. Trépanier.
Le groupe SM a affirmé à la SHDM que la décontamination pourrait coûter jusqu'à 14 millions. S'appuyant entre autres sur cette étude, la SHDM a déduit 11 millions de dollars du prix de vente des terrains du Faubourg Contrecoeur à Construction Frank Catania et associés. Mais, dans son rapport d'enquête publié le printemps dernier, le vérificateur général écrit que la décontamination a pu coûter seulement sept millions.
Une croisière sur le bateau d'Accurso
À la fin de cet entretien, Bernard Trépanier pose cette question à Bernard Poulin : «T'as parlé à Tony?» «Oui, oui», répond M. Poulin. «Je vais le voir à soir, conclut M. Trépanier. Je vais lui demander...»
À la même époque, M. Trépanier parlait d'un voyage qui s'organisait, soit une croisière sur le bateau de Tony Accurso, le propriétaire de la firme Simard-Beaudry. Le yacht, amarré dans les îles Vierges, navigue d'île en île. Quand il accoste dans les ports, M. Accurso aime faire des marches. Frank Zampino a voyagé sur ce bateau à au moins deux occasions.
«Frank Minicucci (le secrétaire de Construction Louisbourg, une des firmes de Tony Accurso) a téléphoné pour acheter des Adidas ou je sais pas quoi, pour la marche», indique Bernard Trépanier à Frank Zampino, dans une autre conversation. «Quand est-ce qu'il a appelé ?» demande M. Zampino. «Il a appelé... j'étais chez Bernard, l'autre après-midi.»
Selon notre enquête, Bernard Poulin a en effet participé à une croisière sur le bateau de Tony Accurso à la fin de 2006 ou au début de 2007. Le printemps dernier, quand La Presse a pour la première fois posé des questions à M. Trépanier, M. Poulin a lui-même pris l'initiative de prendre contact avec nous. «M. Poulin tient à ce que vous sachiez qu'il n'est jamais allé en croisière avec un élu de la Ville de Montréal», nous a dit sa secrétaire. Ceci est exact. Mais, selon nos sources, il y est allé avec Rosaire Sauriol, vice-président du groupe Dessau.
Le Groupe SM, de Bernard Poulin, avait formé un consortium avec Construction Frank Catania et associés pour obtenir le contrat des compteurs d'eau de la Ville de Montréal. Il était alors un concurrent direct de GENIeau, le consortium formé par Simard-Beaudry, une entreprise dirigée par Tony Accurso, et le Groupe d'ingénieurs Dessau. La Presse a posé des questions à ce sujet au bureau de M. Poulin, cet automne, mais il n'a rien répondu. Il a dit à un de ses amis que ses voyages ne regardaient en rien les journalistes.
«Tony (Accurso), il aime faire de la marche, effectivement, le matin, ajoute M. Zampino, au cours de sa conversation avec M. Trépanier. Oui, oui, c'est ça. Il fait une marche dans les montagnes, etc., alors ce serait une bonne idée d'apporter des runnings, si Bernard (Poulin) en a, si tu veux les accompagner... Oui, c'est ça, on a fait ça, une couple de fois, c'est bien le fun.»
Joint il y a deux semaines, M. Trépanier a dit qu'il n'avait jamais fait ce voyage. «Il a pu y avoir des annulations, a-t-il dit. Je ne suis pas allé. Je ne sais même pas si Rosaire Sauriol (vice-président de Dessau) et Bernard Poulin sont allés. J'aurais peut-être pu être invité, mais je ne suis pas allé.»
«Le maire, il voit rien»
Dans une autre conversation, Bernard Trépanier et Rosaire Sauriol parlent du maire Gérald Tremblay. En juin 2006, le maire a choisi Claude Léger pour remplacer Robert Abdallah comme directeur général de la Ville (il a dû remettre sa démission cet automne). «Marc-André Fabien, le génie (un avocat actif dans Union Montréal, le parti du maire), lui, il dit que la plus belle affaire que le maire a faite, ç'a été de choisir Claude Léger, toute la bébelle, puis que ça allait pour le meilleur des mondes», confie M. Trépanier à M. Sauriol.
«Tant mieux, répond M. Sauriol. Tant mieux si le maire a choisi un bon gars, c'est parfait, ça. Ha, ha, ha !» «Très content», commente M. Trépanier. «Oui, bien content, ha !» répète M. Sauriol. «Tu sais, explique M. Trépanier, le maire, il voit rien. Il voit rien venir.» «L'important, renchérit M. Sauriol, c'est que ça soit comme ça, Bernard, tu sais, les affaires de même.»
Dans une autre conversation, Frank Zampino et Bernard Trépanier parlent des transactions de la SHDM, et manifestement du projet du Faubourg Contrecoeur, ce projet résidentiel confié à Construction Frank Catania et associés.
«J'ai mis Claude Léger, puis Martial (Fillion) sur le téléphone, dit Frank Zampino. On va finir par s'entendre. Je vais faire une rencontre de l'état-major. Je vais demander à Claude Léger d'être là, peut-être en début de semaine, je vais demander à Paolo (Catania) de venir, Claude, Martial, Robert Cassius, les avocats, etc. Moi, j'aime pas laisser traîner les affaires. On va les régler vite.»
(Tout comme Claude Léger, Robert Cassius de Linval, le directeur des affaires corporatives de la Ville, a dû démissionner cet automne, après le rapport du vérificateur général sur les compteurs d'eau. Avant eux, Martial Fillion, ancien chef de cabinet de Gérald Tremblay, a dû démissionner de son poste de directeur général de la SHDM.)
Puis M. Zampino ajoute : «Dans la rencontre que tu fais avec mon frère, demain, moi je sais pas le prix que Magri (un promoteur) paye. Je trouve que c'est un peu... on n'avait peut-être pas le bon chiffre quand il parlait de 30 $ (le pied carré), il me semble que c'est un peu exagéré, avec les services. Mais dans le fond, il y a une règle, une règle de trois là-dedans. Il faut que le message soit passé à Paolo que, minimalement, il faudra que ce soit inférieur à ce que Magri paye.»
«Bien, c'est sûr», opine M. Trépanier.
«Et puis, sans le dire à Magri, on le dira jamais, c'est quoi qu'il paye, on peut lui dire que c'est le même prix, poursuit M. Zampino. Il s'agit juste de voir c'est quoi l'escompte. C'est-tu 20% de moins, c'est-tu 25% de moins...»
Selon notre enquête, Paolo Catania devait revendre une partie des terrains du Faubourg Contrecoeur à d'autres promoteurs, notamment à une société dans laquelle Joe Zampino était actif. Cette transaction n'a finalement pas eu lieu.
Trépanier nie
Nous avons tenté de joindre Frank Zampino et son frère, mais sans succès. Nous n'avons pas réussi non plus à parler à Antonio Magri, président de Construction Magri. Nous avons tenté à de nombreuses reprises d'avoir les commentaires du directeur général d'Union Montréal, Richard Mimeau, mais en vain. Sa directrice des communications, Geneviève Hinse, a seulement confirmé que M. Trépanier avait été directeur du financement du parti de 2004 à 2006.
«Bien qu'il soit toujours militant de notre parti, M. Trépanier n'occupe plus de poste à Union Montréal depuis 2006», a indiqué Mme Hinse dans un courriel. De son côté, Benoit Labonté affirme que M. Trépanier a continué à rester actif après avoir officiellement quitté ses fonctions de directeur du financement. Il était d'ailleurs présent à un cocktail-bénéfice organisé pour Union Montréal, en novembre dernier, qui s'est tenu au Club de golf Métropolitain Anjou, propriété du constructeur Antonio Di Lillo.
«Pendant des années, M. Trépanier a joué un rôle très important d'intermédiaire entre Union Montréal et les entrepreneurs», nous a dit l'un d'eux, en demandant de taire son nom. Âgé de 71 ans, M. Trépanier nie cette affirmation avec véhémence. «Je suis un simple citoyen, a-t-il dit à La Presse. J'ai été directeur du financement à Union Montréal jusqu'en 2006, mais mon rôle se limitait à vendre des billets pour des levées de fonds. C'est tout.»
Il a dit qu'il connaissait bien Frank Zampino, Bernard Poulin, Rosaire Sauriol et Paolo Catania. «Ce sont des gens que je connais depuis 30 ou 40 ans, a répété M. Trépanier à plusieurs reprises. Je le connais, Bernard Poulin. Qui ne connaît pas Bernard Poulin ? Paolo (Catania), je le connais, c'est sûr, on le connaît. J'ai connu son père (Frank) quand il était en affaires. J'ai souvent rencontré Catania, il y a souvent des événements et on rencontre des gens. J'ai le droit d'être dans un milieu et de rencontrer des gens. Je suis un citoyen. J'ai été... je suis encore avec Astral Média.»
M. Trépanier affirme qu'il est consultant chez Astral Média Affichage, une entreprise qui place des panneaux publicitaires, depuis une quinzaine d'années. Pourtant, les employés de l'entreprise joints par La Presse ont dit qu'ils n'ont jamais entendu son nom. Le dirigeant de l'entreprise, Jean-François Lorrain, ne nous a pas rappelé. MM. Poulin et Sauriol n'ont pas plus répondu à nos demandes d'interview. M. Catania, lui, refuse systématiquement les demandes d'entretien avec La Presse, contre qui il a déposé une poursuite judiciaire.
- Avec la collaboration de Bruno Bisson et André Cédilot
Bernard Trépanier, monsieur 3%
Montréal - élection 2009
André Noël30 articles
André Noël a étudié en géographie à l'Université de Montréal et en journalisme à Strasbourg. Après avoir été rédacteur à la Presse canadienne, il est entré à La Presse en 1984. Il a toujours travaillé dans la section des informations générales, où il a men...
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André Noël a étudié en géographie à l'Université de Montréal et en journalisme à Strasbourg. Après avoir été rédacteur à la Presse canadienne, il est entré à La Presse en 1984. Il a toujours travaillé dans la section des informations générales, où il a mené des enquêtes très variées.
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