Avortement: péché ou progrès

S'assumer, comme croyant ou comme athée

Tribune libre

Sont nombreux qui se demandent pourquoi le cardinal de Québec ramène la question de l'avortement sur la table au lieu de laisser notre Justice s'en occuper. Certains se sont empressés à le condamner et sont montés aux barricades. Je les comprends. Cependant, à mon avis ils font fausse route.
Pourquoi s’en prendre à un religieux dont l’opinion est conforme aux dogmes de son organisation, une organisation légale, indépendante et millénaire? La question n'est pas de savoir que faire de différent en cas de grossesse non souhaitée ou à risque(s), plutôt questionner ce qui crée le besoin d'avorter. Je crois que toute société lucide doit toujours se remettre en question.
Comment en arrive-t-on à vouloir/devoir avorter? Les cas et causes sont multiples, chacun le sait, et complexes.
On parle souvent de viols. Mais ne déplace-t-on pas le problème en centrant le débat sur l'avortement que sur le viol? Je crois que la société doit envoyer un message clair au violeur: Prison à vie, sans droit au sexe. Et ce n’est pas suffisant.
Certains cas de viols sont associés aux guerres. Il serait utopique et stupide de vouloir punir des seigneurs de guerres pour les crimes de viols ou de destruction de la vie des femmes et des enfants. Ce serait refuser le viol et en s’accommodant de la guerre! La guerre est pire que le viol, elle n'a qu'un sens: détruire l'humain et les produits de ses mains. Tuer, violer, affamer, torturer, droguer, enrôler des enfants, etc, sont propres à la guerre et on ne peut les éviter sans éviter la guerre. La guerre est hélas une industrie florissante, qui crée ici et là des emplois, qui draine des richesses entre les mains de gens intouchables et d’autres ordinaires. Vous auriez ou vous avez un cousin salarié de l'armée ou d'une entreprise de production de cartouches, aurez-vous l'audace de lui dire de virer son patron?
On parle aussi de brèches dans la planification des naissances. La pilule, le condom et l'abstinence ne fonctionnent pas toujours comme sur des roulettes. Plus important encore, chaque parent voudrait avoir des enfants en bonne santé. Certains parents sont plus confortables avec l'idée de donner vie à un enfant sans vue qu'avec l'expérience de l'avortement. C'est normal. Le contraire aussi. Moi, je ne compte pas le nombre de fois que j'ai péché au sens du cardinal de Québec. Je m'estime chanceux d'être au Québec, et d'avoir pu réguler les naissances de nos enfants avec ultimement l'aide de l'avortement.
Le prélat a par contre raison de rappeler la morale. Comprenons-le, intellectuellement. Si ma conscience ne me juge pas, si je suis en harmonie avec moi-même et ma vie ou que je me suis réconcilié avec mon passé, c'est dire que l'enfer n'est pas proche de moi, peu importe les dires du cardinal. Les gens qui se sentent incriminés par la morale religieuse ne sont pas autonomes moralement lorsqu'ils posent des gestes conduisant à l'avortement. Les incriminer n'est pas une solution, pas non plus leur servir sur un plateau en or des ventouses et pilules du lendemain. Il faut mettre en aval l'information et la sensibilisation. C'est ce que je crois comprendre du rappel du cardinal de Québec.
Cependant, à ce niveau de l'effroyable effort d'éducation, il se pose un problème dont vous ne parlez pas, et qui se trouve à l'origine des difficultés à discuter clairement de l'avortement. Ce problème concerne la «culture du sexe». Le sexe est un produit de consommation, aux yeux et à la conscience de la majorité. Mais le sexe peut évoquer la fonction naturelle de reproduction. Selon cette dernière, nous aurions moins à nous soucier d'avortement, c'est évident. Étant un produit de consommation intense et anarchique, on trouve aberrant de dire aux gens de revenir à la modération, à la raison, à l'usage naturel des organes biologiques du corps humain. Je vous mets au défi de parler de modérer la consommation du sexe .... Dites-le, et votre estime populaire chutera. Ne trouvez-vous pas troublant que le sexe soit banalisé au point de rendre accessoire la fonction de reproduction qui pourtant est à l'origine de la vie? Il y a plus de place et de punch dans les médias à parler en faveur des libertés sexuelles et ébats publiques. Comment pouvons-nous arbitrer entre la banalisation du sexe et les dérives sexuelles tel le viol et l'inceste, sans replonger dans le bain de la morale?
S'il est vrai que les humains sont devenus des lapins, alors la morale arriverait trop en retard. Mais je crois que la surconsommation du sexe est amplifiée par les médias, les films et la télé, et qu'au fond il y a un fond de morale qui dort chez la majorité silencieuse des citoyens, et des fidèles. Je crois que le cardinal de Québec fait donc bien de nous réveiller. Autrement ce que nous voyons à la télé se transposera partout dans nos cours d'écoles, dans nos parcs, dans nos salles d'urgences, etc.
Il y a aussi des cas d'accidents naturels et incidents malheureux. Des enfants de 9 ans, 12 ans, ... apprennent à consommer le sexe. Les incitations sont omniprésentes et les occasions incontrôlables. Peut-on savoir pourquoi nos bébés s'amusent entre eux avec leurs pipis? Parce qu'il est tabou de dire que c'est une aberration sociétale. Il y a des cas d'incestes, ... Comme pour les cas de viols, mettons l'accent sur l'acte et les circonstances. Ainsi, la jeune fille ou la femme concernée cesse d'être la cible du jugement pour être considéré à juste titre comme une victime d'abords, et une actrice de la suite des événements qui aura besoin d’assistance diversifiée et appropriée.
Il est tout à fait logique et louable que l'ordre religieux nous dise de mettre la vie avant notre confort, nos peurs parfois justifiées, notre propre sécurité.
Mais c'est aussi notre devoir de savoir faire la part des choses, et assumer. Le pape n'excommuniera pas un protestant, un mormon, un athée, encore moins un catholique ne s'état pas confessé d'avoir péché. Le problème se pose quand on pose un geste et qu'on n'est pas confortable avec. Peut-on être religieux et dire à ses fidèles de pécher et être confortable avec? Ce serait la fin de l'humanité.
Je crois tout compte fait que vous, les faiseurs d'opinions, avez un rôle noble d'aider à l'éducation sociale et politique. Le faites-vous de façon irréprochable? Hélas j'ai l'impression que souvent vous surfez sur l'adversité et péchez par l'assurance de vos certitudes. Je parle de «vous», pour l'ensemble des chroniqueurs, réalisateurs et éditorialistes.

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François Munyabagisha79 articles

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Psycho-pédagogue et économiste, diplômé de l'UQTR
(1990). Au Rwanda en 94, témoin occulaire de la tragédie de «génocides»,

depuis consultant indépendant, observateur avisé et libre penseur.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2010

    Vous témoignez par vos réflexions beaucoup de sagesse.
    Merci!

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2010

    Le cardinal Ouellet et l'avortement...
    http://ruefrontenac.com/images/stories/caricatures/28mai2010.jpg
    [« Mgr Ouellet décrit l'avortement comme un crime. Comment décrit-on des prises de position qui ont pour effet direct d'augmenter le nombre de morts résultant d'avortements ratés, le nombre de morts en couches provoquées par des grossesses dans des contextes inappropriés, la mortalité infantile dans des sociétés incapables de nourrir leurs enfants, et le nombre de victimes du sida? »]
    Alain Dubuc,La Presse,31 mai 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2010

    Je trouve beaucoup de sérénité et de sagesse dans cette réflexion que nous livre l'auteur. Je voudrais toutefois ajouter, que la réaction de nombreux croyants et croyantes, tout comme moi, aux déclarations du cardinal Ouellet se justifient amplement du fait que le sujet en question n'appartient pas aux vérités révélées mais à une conception de la vie qui n'est pas partagée par tous les croyants. Il est donc important que ces derniers prennent également la parole pour faire valoir diverses manières de comprendre des questions comme celles de l'avortement, de la femme et de la vie. L'Église, contrairement à ce que l'on peut penser, est avant tout la communauté de tous les croyants et croyantes ayant à leur tête l'homme que Dieu a ressuscité et qui poursuit son oeuvre d'édification de cette grande communauté humaine. Nous n'en sommes plus à la pensée unique ni au messager unique.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mai 2010

    Réflexions très intéressantes !
    Merci M. François !