Avec les «mini-BoTs», l’Italie sur le point de sortir de l’euro?

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L'Italie prépare-t-elle une sortie de l'euro sans le dire ? Tout porte à le croire !


L’Italie prépare la diffusion de «mini-BoTs», des bons du Trésor de faible montant qui lui servirait à compenser ses dettes auprès d’entreprises ayant répondu à des marchés publics. Mais il ne faut pas pousser très loin la logique de cet outil pour le transformer en monnaie parallèle. Au risque d’un clash avec Bruxelles?





La motion votée à l’unanimité par le parlement italien concernant la création de Bons Ordinaires du Trésor de faible montant nominal (dits «Mini-BoT») est une décision importante, mais ambiguë. Les Mini-BoTs peuvent être considérés comme un instrument de consolidation fiscale, aidant à financer un déficit public, alors que l’UE montre les dents contre l’Italie, tout comme ils peuvent être considérés comme la mise en œuvre d’un scénario à deux monnaies pour ce pays et le prélude à une sortie de l’Italie de l’euro. Le fait qu’elle survienne à la suite de la spectaculaire victoire de la Lega et de son dirigeant, Matteo Salvini, mais aussi à la suite de l’annonce de menaces de sanctions de l’UE contre l’Italie, est symptomatique. On peut y voir une réponse du berger à la bergère, mais aussi un peu plus que cela.

Une mesure et son contexte


On sait que la question de la dette italienne inquiète depuis longtemps certains milieux. De fait, la dette publique italienne a atteint 132,2% du PIB l’an dernier. Elle pourrait encore augmenter à 133,7% cette année du fait de l’entrée de l’Italie en récession et aller jusqu’à 135,2% en 2020, selon les dernières prévisions de la Commission. Cette même Commission européenne a donc officiellement demandé mercredi 29 mai à l’Italie de s’expliquer quant à la détérioration de ses finances publiques, comme on l’a appris de source officielle de l’Union. Dans ces conditions, cette démarche pourrait aboutir dès la semaine prochaine à l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre Rome. D’ores et déjà, ceci a fait monter les taux d’intérêt, provoquent la menace d’un étranglement de l’économie italienne. C’est ce qui, semble-t-il, a motivé la décision de recourir aux «Mini-BoTs». De fait, il ne faut pas oublier que les «Mini-BoTs» figuraient dans le programme initial de la Lega et de son allié le M5S.


De quoi s’agit-il?


Il faut dès lors comprendre de quoi il s’agit. L’État, qui doit de l’argent aux entreprises dans cadre des marchés publics (environ 50 milliards) émettrait des bons du Trésor de faible montant et ces bons pourraient être utilisés par les entreprises pour régler leurs arriérés d’impôts. Cela pourrait équivaloir à un système de compensation des dettes, qui de facto aboutirait à injecter dans l’économie italienne de l’argent qui est actuellement retenu par l’État. Pris dans cette dimension les «Mini-BoTs» ne seraient pas un mécanisme de paiement, mais purement un système de compensation. On aurait ainsi le cycle:


État ➔ Entreprise ➔ État



Pouvant utiliser les «Mini-BoTs» émis par l’État en paiement de ses arriérés, l’entreprise verrait sa trésorerie allégée et elle pourrait accroître ses investissements et sa consommation (en biens intermédiaires). Une compensation simple aurait déjà l’intérêt pour le gouvernement italien de libérer une bonne partie de ces 50 milliards d’euros gelés et de les réinjecter dans l’économie. C’est important, car l’Italie est depuis le 1er trimestre 2019 officiellement en récession. Ce système est parfaitement compatible avec les règles de l’Union européenne et celle de la zone euro. Mais faut-il créer des «Mini-BoTs» pour cela?

La nécessité du «Mini-BoT»


De fait, ces bons du Trésor à faible montant ne sont nécessaires que si l’on veut qu’ils circulent non seulement entre les entreprises et l’État, mais aussi entre les entreprises. Une entreprise peut recevoir plus de «Mini-BoTs» qu’elle ne pourra elle-même utiliser. Elle peut donc refuser les «Mini-BoTs» qui viendraient en plus de ses impôts, sauf si elle peut les transférer en paiement de biens et services à d’autres entreprises pour le paiement de leurs propres impôts. De fait, on voit que le système des «Mini-BoTs» n’est réellement efficient que si une circulation de ces «Mini-BoTs» non seulement entre l’État et l’Entreprise, mais aussi entre les entreprises elles-mêmes devient possible. Dès lors, le schéma de circulation s’écrit:


État ➔ Entreprise (a) ➔ Entreprise (b) ➔ État


Cela implique que le «Mini-BoT» ait un pouvoir libératoire pour les dettes entre entreprises, et pour l’achat de biens et services.


Que vaudrait le «Mini-Bot»?


Si l’on établit ce pouvoir libératoire, se pose alors la question de la «valeur» du «Mini-BoT». Cette valeur du «Mini-BoT» libellé en Euro sera la même que celle d’un billet en euros d’un montant équivalent tant que le montant des «Mini-boTs» émis sera inférieur ou égal au montant des impôts dus par les entreprises.


Ce système aboutirait dans les faits à assouplir les règles budgétaires pour l’État italien et, surtout, transférerait une partie du pouvoir de création monétaire de la Banque Centrale Européenne et de la Banque d’Italie vers le gouvernement et le ministère des Finances.


Si cela devait être mis en œuvre, il y aurait bien un début de circulation de «Mini-BoTs» comme moyen de paiement, hors de la simple relation entreprise —État. Ce qui permet, alors, d’imaginer qu’une entreprise ayant reçu des «Mini-BoTs» de l’État, en paiement d’une dette accumulée sur un marché public, pourrait payer ses salariés en partie ou en totalité en «Mini-BoTs», lesdits salariés les utilisant pour payer leurs impôts ou leurs cotisations sociales. On le voit, ce système pourrait rapidement se substituer, du moins en partie, à l’euro pour de nombreuses transactions. Le fait que le gouvernement italien prévoie d’émettre des «Mini-BoTs» de 200 à 5 euros va dans ce sens. La limite étant ici les transactions de consommations courantes des ménages.


L’enjeu politique pour les relations entre l’Italie est les institutions européennes



Si les «Mini-BoTs» devaient acquérir un pouvoir libératoire étendu, s’ils devaient être utilisés par les ménages pour payer les commerçants, alors on pourrait parler de la création d’une «monnaie parallèle», avec toutes les implications qu’un tel système aurait sur le maintien de l’Italie dans la zone euro. Il est donc probable que la BCE et l’Eurogroupe prennent des mesures de rétorsion. L’une de ces mesures pourrait d’être des restrictions dans l’alimentation en liquidité de l’Italie.

Une réplique possible du gouvernement italien serait alors d’étendre le pouvoir libératoire des «Mini-BoTs» en décrétant que tous les agents économiques, entreprises et ménages pourraient régler leurs impôts par le biais de cet outil. Cela étendrait alors largement la circulation des «Mini-BoTs», surtout si l’État décidait de les utiliser non seulement en paiement des contrats publics aux entreprises, mais aussi des salaires des fonctionnaires. Les entreprises pourraient alors payer une partie du salaire de leurs employés en «Mini-BoTs».


Nous n’en sommes pas (encore) là, mais il est clair que l’Italie s’engage sur ce chemin. Il convient de noter la déclaration, modérée, de Claudio Borghi, le président de la commission du bilan du Parlement italien. Il dénonce les «spéculateurs», en pointant le fait que le traitement de l’Italie sur les marchés est aujourd’hui pire que celui de la Grèce et demande que l’économie italienne puisse bénéficier d’un espace de liberté budgétaire afin de mettre en œuvre des politiques susceptibles de ramener la croissance. Notons qu’il affirme vouloir rechercher un compromis avec l’UE. Mais Borghi, qui est l’auteur d’un livre anti-euro, et un fort bon économiste, ne peut ignorer la dynamique qui s’annonce avec la création des «Mini-BoTs».


*Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.



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Jacques Sapir142 articles

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Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.

Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).

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