La perspective d’un Brexit sans accord – le fameux « no deal » – prend jour après jour plus de consistance. Depuis l’échec annoncé de Theresa May et le choc psychologique qu’a représenté l’arrivée, à Downing Street, de Boris Johnson, l’hypothèse naguère regardée de loin prend corps. À la fois à l’intérieur du Royaume-uni, où la détermination de Bojo à « y aller » recueille un réel soutien dans les sondages (The Telegraph du 3 août). Mais aussi à l’extérieur, dans l’Union européenne, comme le montre le titre de la tribune de l’économiste Jean Pisani-Ferry publiée dans Le Monde : « Le “no deal” est devenu assez crédible pour que les Européens doivent s’y préparer. » Comme s’ils n’y avaient pas cru…
C’est un renversement majeur et l’on est surpris de l’étrange jeu qu’a joué l’Union européenne. En effet, son inflexibilité a amené le Royaume-Uni, avec Bojo, à envisager ce « no deal » que le charisme du même Bojo est capable de rendre populaire jusqu’à – ce serait son plan – envisager d’organiser et de remporter de nouvelles élections sur ce thème.
L’Union européenne a-t-elle vraiment intérêt à un Brexit sans accord ? La réponse est évidemment non.
Il est tout de même étonnant que ce même économiste « mainstream » qui salue la fermeté de l’Union face à Theresa May et loue « un sans-faute », avec « le respect scrupuleux de la procédure de sortie de l’Union prévue par les traités, l’impeccable unité des Vingt-Sept, le refus d’accorder à Londres le moindre traitement de faveur, une solidarité sans faille avec l’Irlande et le professionnalisme méticuleux de Michel Barnier », souligne qu’un « no deal » risque d’entraîner toute l’Union européenne dans la récession !
« Tandis que les économistes britanniques débattent encore de l’ampleur de la commotion attendue, le FMI la chiffre à quatre points de PIB pour le Royaume-Uni et à un demi-point pour l’Union européenne. Dans un contexte de ralentissement et de tensions internationales, c’est dangereux. Cela peut suffire à nous faire basculer dans la récession. »
Récession, tiens… Avec la croissance misérable que connaissent déjà la France et l’Union, ces derniers mois, cela pourrait faire très mal.
Jean Pisani-Ferry sait bien que le Royaume-Uni travaille désormais à pallier les conséquences de ce Brexit sans accord et qu’il dispose d’atouts majeurs : ses relations avec les USA et le Canada, voire la Chine, la dévaluation de la livre, déjà en marche.
Et de l’autre côté ? Il est bien obligé de reconnaître que « face à cette perspective, l’UE n’a pas beaucoup de cartes en main » !
Il faudra un jour m’expliquer la logique de cette Union, et des têtes pensantes, qui nous ont amenés là. Le même Jean Pisani-Ferry qui soutient pourtant ce processus de somnambules doit encore concéder que « l’Union a péché par manque de vision stratégique dans les discussions avec Theresa May ». Que c’est joliment dit. Et il invite à préparer une « négociation de dernière minute ». Somnambules, oui, nos fins négociateurs.