Le Syrien Samir Aïta est président du Cercle des économistes arabes. Selon lui, tant en Algérie qu’en Tunisie, le discours officiel ne peut plus masquer la réalité sociale.
La jeunesse algérienne ou tunisienne se distingue-t-elle de celle des autres pays arabes ?
Non. Comme dans la plupart des autres pays arabes, la croissance démographique est aujourd’hui en baisse. Ce qui est en hausse, c’est le nombre de jeunes qui arrivent en fin de scolarité, et qui sont sur un marché du travail atone. Ce sont des jeunes nés dans les années 70 ou 80, pendant les périodes de très forte démographie. Ce phénomène se conjugue avec celui de l’exode rural. Partout, les campagnes sont délaissées. On aspire à vivre en ville, signe de modernité, même si c’est sans avenir.
Avec quelles conséquences ?
Des villes de plus en plus grandes et des banlieues toujours plus pauvres… En Algérie, en Tunisie, ou encore au Maroc, l’habitat informel ne cesse de s’étendre. Ces zones grossissent sans générer la moindre perspective professionnelle.
Pourtant le taux de scolarisation est relativement élevé…
Mais la qualité n’est pas au rendez-vous. Ces pays, qui ont été confrontés à des déficits publics, ont, sous l’égide du FMI, appliqué des programmes qui se sont soldés par une diminution des budgets d’éducation par habitant.
L’accès aux nouvelles technologies a-t-il contribué à l’expansion de cette grogne sociale ?
Oui. L’Internet est présent dans toutes ces villes. C’est là, dans des cybercafés, chez les uns et les autres, que les jeunes parviennent à s’ouvrir sur le monde. A communiquer avec des diasporas lointaines. A voir le monde autrement. Et finalement à communiquer entre eux. Qui sait que les jeunes des pays arabes sont les champions des «proxy», ces logiciels qui permettent de contourner les sites interdits par les régimes politiques ?
Mais en quoi cela modifie-t-il l’attitude des jeunes ?
Il est indéniable qu’à mesure que se développe l’utilisation de ces technologies se développe aussi une critique à l’égard des pouvoirs en place. Pour ne prendre que l’exemple de l’Algérie, jamais la population n’avait mesuré à quel point elle ne profitait pas d’un taux de croissance aussi élevé. Et elle comprend mieux que jamais que cette rente pétrolière est essentiellement accaparée par une petite poignée de puissants. Cette dénonciation se retrouve de plus en plus sur la Toile algérienne, consultée et alimentée par les jeunes.
C’est donc le lieu qui cristallise les mécontentements ?
Ce n’est pas là que se fait un appel à la révolte. Mais c’est là que s’exprime le désespoir de ceux qui, par exemple, ne veulent pas rejoindre ces travailleurs qui comptent pour la moitié de la population active en Algérie, et qui n’ont pas de contrat de travail, pas de protection sociale, de retraite… En face, le discours officiel ne parvient plus à masquer cette réalité tant décriée.
Interview
«Avec Internet se développe une critique du pouvoir»
Samir Aïta, président du Cercle des économistes arabes, revient sur les raisons du mal-être des jeunes
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