La Chambre des communes a suspendu ses travaux mercredi soir pour le long congé des Fêtes, mettant un terme à ce que le premier ministre Justin Trudeau a lui-même, dans son bilan, qualifié de session « probablement la plus occupée depuis que [les libéraux] ont formé le gouvernement l’an dernier ». Mais si les projets de loi et les décisions majeures se sont succédé à un rythme effréné, aucun n’a réussi à s’incruster dans le paysage médiatique. Seuls les cocktails de financement libéraux semblent avoir réussi l’exploit de marquer les esprits — du moins ceux de l’opposition — cet automne.
Au chapitre des dépenses, le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé qu’il se porterait acquéreur de 18 avions de chasse Super Hornet en attendant que le processus d’acquisition d’une flotte permanente de remplacement des CF-18 soit terminé, quelque part d’ici cinq ans. Cette transaction avec Boeing pourrait coûter plus d’un milliard de dollars.
En matière d’environnement, Ottawa a approuvé — au grand dam des environnementalistes, de certaines communautés autochtones et même de quelques députés libéraux fédéraux — la construction de deux pipelines pour transporter le pétrole extrait des sables bitumineux albertains. Le Trans Mountain de Kinder Morgan, en direction de la côte sud de la Colombie-Britannique, consiste en un tuyau parallèle à un oléoduc déjà existant (sur 73 % de son parcours) afin d’en tripler la capacité. Quant à la ligne 3, il s’agit de remplacer une canalisation existante vieille de 48 ans.
Les libéraux font le pari que ces deux approbations passeront mieux la rampe puisqu’en parallèle, le Canada a ratifié cet automne l’Accord de Paris sur les changements climatiques et s’est engagé de ce fait à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 30 % par rapport à leur niveau de 2005 d’ici 2030. Pour y parvenir, Ottawa a réussi en décembre à rallier huit provinces autour d’un plan national sur les changements climatiques. Ce plan inclut l’imposition dès 2018 d’une taxe sur le carbone de 10 $ la tonne de CO2 aux provinces qui ne se seront pas dotées d’un plan suffisamment énergique de lutte contre les changements climatiques.
En matière de justice, les libéraux ont annulé la suramende compensatoire instaurée par les conservateurs que les juges devaient imposer même aux condamnés sans le sou. Ils ont déposé un projet de loi pour abolir les dispositions du Code criminel discriminatoires envers les jeunes gais pratiquant le sexe anal. Les libéraux ont aussi déposé un projet de loi annulant les embûches qu’avaient inventées les conservateurs pour compliquer l’ouverture de sites d’injection supervisée destinés aux accrocs de drogues telles que les opioïdes, qui font des ravages au Canada depuis deux ans.
À cette liste de mesures, on doit ajouter une réforme de la Loi électorale qui, non seulement défait les changements conservateurs, mais permet aux jeunes de 14 à 17 ans de se pré-inscrire à la liste électorale pour augmenter leur taux de participation. On pourrait aussi ajouter le nouveau mode de sélection des juges à la Cour suprême, l’interdiction de l’importation et de l’utilisation de l’amiante ou encore la garantie de prêt supplémentaire de 2,9 milliards offerte à Terre-Neuve pour achever son projet hydroélectrique embourbé de Muskrat Falls.
L’éthique à l’honneur
Pourtant, malgré cet automne des plus chargés, ce sont les questions éthiques qui ont taraudé les libéraux de Justin Trudeau. Le Globe and Mail a révélé successivement la tenue de cocktails de financement auxquels le premier ministre ou le ministre des Finances, Bill Morneau, ont été les invités vedettes.
Ces cocktails auraient pu être banals s’ils avaient été ouverts à tous. Mais voilà : le cocktail de Bill Morneau s’est déroulé en octobre dans une résidence privée d’Halifax. Seulement 15 personnes y ont assisté moyennant un don de 1500 $ au Parti libéral du Canada (PLC). Celui de M. Trudeau a eu lieu à Toronto, en mai, au domicile de Benson Wong, le président de la Chambre de commerce Canada-Chine. Les 32 convives (dont un riche homme d’affaires chinois qui a par la suite versé des dons à l’Université de Montréal et à la Fondation Trudeau, et le fondateur de la banque Wealth One, qui attendait un dernier feu vert pour se lancer au Canada) ont aussi payé 1500 $ chacun au PLC.
L’opposition a senti le sang. Le Nouveau Parti démocratique est le premier à avoir posé une question sur le sujet le 19 octobre, jour de publication du premier article du Globe and Mail. « Le ministre des Finances a laissé momentanément de côté l’élaboration du prochain budget pour tenir une collecte de fonds privée à Halifax auprès de fortunés promoteurs, de banquiers et de cadres supérieurs du secteur minier, a lancé le chef Thomas Mulcair. Chacun a payé 1500 $, le maximum permis, pour avoir le privilège de s’entretenir avec le ministre. C’est bien peu cher payé pour avoir l’attention de la personne qui contrôle des milliards de dollars en dépenses publiques. Le premier ministre sait que ce genre de versement de dons en échange d’un accès à un ministre est répréhensible. Je demande donc : pourquoi le premier ministre continue-t-il de permettre ces collectes et quand l’argent sera-t-il remboursé ? »
M. Trudeau lui a répondu que « les règles fédérales régissant le financement électoral sont les plus strictes au Canada ; elles sont plus strictes que celles des provinces et des territoires. Les Canadiens s’attendent à ce que nous suivions toutes ces règles et c’est exactement ce que nous faisons ».
Cette réponse est bientôt devenue la phrase-clé des libéraux, surtout celle de la leader du gouvernement à la Chambre, Bardish Chagger. Au point qu’il n’est plus rare de l’entendre se faire accuser d’être une cassette. Ce à quoi elle a répondu mardi, dans son français cassé, que « ce n’est pas une cassette, ce sont les faits ».
De fait, les libéraux n’ont enfreint aucune règle, mais la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mary Dawson, a expliqué que c’était parce que le code de bonne conduite destiné aux ministres ne tombe sous la juridiction de personne. Il n’y a donc personne, même pas elle, qui peut voir à son application.
Depuis que le Globe and Mail a publié sa première histoire, il y a eu 36 périodes de questions et l’accès monnayé privilégié y a été abordé 30 fois. Autrement dit, l’opposition a laissé un répit au gouvernement sur cet enjeu seulement six jours au cours des deux derniers mois.
Réforme compromise ?
Bardish Chagger n’est pas la seule à avoir eu un automne mouvementé à la Chambre des communes. Sa collègue Maryam Monsef, responsable de l’épineux dossier de la réforme électorale, a été interpellée plus souvent qu’à son tour. L’opposition a senti que l’engagement des libéraux envers une modification du mode de scrutin était flageolant.
C’est l’entrevue de Justin Trudeau avec Le Devoir qui a mis le feu aux poudres lorsque ce dernier a indiqué que les citoyens étaient peut-être moins avides de changement depuis que Stephen Harper n’était plus au pouvoir. Le gouvernement a voulu par la suite rassurer l’opposition en disant que sa promesse tenait toujours. Mais ses assurances ont volé en éclats début décembre, lorsque le comité parlementaire s’étant penché sur la réforme électorale a déposé son rapport. La majorité libérale à ce comité a soutenu que les Canadiens n’étaient pas prêts pour une réforme en profondeur. Et Mme Monsef s’est empressée de discréditer le comité parce qu’il ne lui avait pas recommandé un mode de scrutin spécifique.
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BILAN DE SESSION PARLEMENTAIRE
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