On ne peut pas reprocher à Colin Powell de ne pas reconnaître les erreurs des Bush. Quand le père s’était mis à comparer Saddam Hussein à Adolf Hitler, il s’en était plaint au secrétaire à la Défense, Dick Cheney, et au conseiller à la sécurité nationale, Brent Scowcroft.
«Même si Saddam est un véritable tyran, la stratégie de le diaboliser me mettait mal à l’aise», a écrit Powell dans ses mémoires, publiés en 1996. «Notre plan consistait seulement à évincer l’Irak du Koweït. Il ne prévoyait pas le renversement de la dictature de Saddam.» Il va sans dire que Powell n’avait pas réussi à convaincre le 41e président, qui avait fini par dire que Saddam Hussein était «pire que Hitler». C’était un de ses arguments majeurs pour justifier la guerre du Golfe.
La comparaison Hitler-Hussein a eu des conséquences évidentes sur la politique étrangère des États-Unis.
Dans la tête du 43e président, elle a même acquis une dimension personnelle. Le 26 septembre 2002, devant un auditoire texan, George W. Bush a déclaré, à propos du dictateur irakien : «Il n’y a pas de doute que nous (les États-Unis) sommes la cible principale de sa haine. (Saddam Hussein) est l’homme qui a tenté de tuer mon père.»
À titre de secrétaire d’État, Colin Powell a tenté d’avertir le fils des dangers d’un changement de régime à Bagdad. En parlant de l’Irak, il a prononcé cette phrase devenue célèbre : If you break it, you own it (si tu le brises, il est à toi).
Quand le président Bush lui a démontré que son opinion ne comptait pas, Colin Powell n’a pas offert sa démission. Il s’est rendu à l’ONU pour présenter le dossier américain sur les armes de destruction massives en Irak. C’était l’argument majeur de l’administration Bush pour justifier le renversement de Saddam Hussein.
Désormais, le diable personnifié est mort, l’Irak est brisé, et les États-Unis y engloutissent des milliers de soldats et des milliards de dollars. Pas de quoi célébrer. D’ailleurs, dans son ranch texan, George W. Bush est allé se coucher avant la pendaison de son ennemi juré. À 21h05 (heure de Crawford), il dormait donc comme un bébé alors que la trappe s’ouvrait sous les pieds de Saddam Hussein, qui est mort comme un homme.
Hier matin, à son ranch, le président des États-Unis a prononcé son allocution radiophonique hebdomadaire. Il n’a pas dit un mot sur l’exécution de Saddam Hussein, se contentant de saluer un autre mort, Gerald Ford. Il a dit voir dans le 38e président «l’un des plus valeureux hommes d’État que l’Amérique ait jamais eus».
L’éloge ne manque pas de piquant. Un an après le renversement de Saddam Hussein, Ford avait fait part au journaliste Bob Woodward de son «très vif désaccord» avec les raisons qu’invoquait George W. Bush pour justifier l’invasion de l’Irak.
«Je ne crois pas que je serais entré en guerre», avait-il déclaré, critiquant au passage deux de ses anciens protégés, Dick Cheney et Donald Rumsfeld.
Gerald Ford avait demandé à Bob Woodward de ne pas publier ses commentaires négatifs avant sa mort. Il fait penser à Colin Powell. Il est capable de voir les erreurs d’un Bush, mais il ne veut pas déplaire à son camp ou à ses amis. Alors il se tait en public.
Ford a également prononcé une phrase célèbre, au lendemain du Watergate, le scandale qui avait causé la perte de Richard Nixon : «Notre long cauchemar national est terminé.»
La guerre en Irak est en train de devenir un autre long cauchemar national. Dans quelques heures, si ce n’est déjà fait, le nombre des soldats américains morts en Irak atteindra le cap des 3000. Ce bilan ne tient pas compte des Irakiens tués. Ceux-là meurent par dizaines, presque chaque jour. Dans le seul mois de décembre, au moins 2139 civils ont perdu la vie.
Qu’à cela ne tienne. Aux yeux de George W. Bush, la pendaison de Saddam Hussein est «une étape importante sur la route de l’Irak vers une démocratie qui peut se gouverner, se suffire et se défendre, et être un allié dans la guerre contre la terreur.»
Le président tiendra probablement le même discours au début de l’année, lorsqu’il présentera sa nouvelle stratégie militaire en Irak. Il envisagerait d’augmenter de 17 000 à 20 000 soldats le contingent américain dans Bagdad et ses environs.
Son père qui n’est pas aux cieux regrette peut-être aujourd’hui d’avoir diabolisé Saddam Hussein. Mais il ne le dirait jamais en public.
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