Après l’attentat de Trèbes, Emmanuel Macron brise le silence

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Il ne suffit pas de nommer l'adversaire, encore faut-il le combattre...

Le président français aura donc brisé le lourd silence qu’il entretenait depuis son élection. Mercredi, dans la cour de cette nécropole militaire, rendant hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, Emmanuel Macron n’a pas déçu. Il a identifié comme rarement on l’avait fait avant lui ce qu’il nomme « l’hydre islamiste » qui sème la terreur en France.


Ces mots étaient attendus depuis des mois par une majorité de Français. « Ce ne sont pas seulement les organisations terroristes, les armées de Daech, les imams de haine et de mort que nous combattons, a-t-il déclaré. Ce que nous combattons, c’est aussi cet islamisme souterrain […] qui, sur notre sol, endoctrine par proximité et corrompt au quotidien. »


De belles paroles ?


La semaine précédant l’attentat, une centaine d’intellectuels venus de tous les horizons avaient signé une tribune dans Le Figaro dénonçant le « séparatisme islamiste » dans lequel ils disaient voir « un nouveau totalitarisme » qui « menace la liberté en général ». La veille du discours, même un journal de gauche comme Le Monde désignait l’islamisme comme l’« angle mort de Macron ». Et le journaliste de se demander : « [...] le silence d’Emmanuel Macron est-il tenable ? »


Pourtant, la poussière du discours n’était pas retombée que l’on apprenait que le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, venait de s’entendre avec celui des Cultes en Algérie, Mohamed Aïssa, pour la venue en France de cent imams algériens à l’occasion du ramadan. Les ministres assurent qu’ils seront triés sur le volet. Mais personne ne se fait d’illusion sur des religieux venus d’un pays où les athées sont persécutés, où l’apostasie peut être punie de cinq ans de prison et où des jeunes filles sont assassinées parce qu’elles ne portent pas le voile.


En juin 2017, lors d’une rencontre avec le Conseil français du culte musulman, Emmanuel Macron avait pourtant expliqué qu’il souhaitait mettre fin à la venue en France d’imams étrangers. Cet exemple pose toute la question de l’« indécision » du gouvernement sur un sujet où les Français attendent surtout des gestes concrets.


Car, au-delà du courage exceptionnel du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, le massacre de Trèbes a été ressenti comme un aveu d’impuissance. Il n’a fallu que quelques heures pour apprendre que, comme tant d’autres, le djihadiste était fiché S (pour « sûreté de l’État ») depuis 2014. Un rendez-vous était même prévu avec lui dans les semaines qui viennent.


Les mois passent, le groupe État islamique a été vaincu en Syrie, mais les Français constatent que la menace terroriste ne faiblit pas. Le quotidien Le Monde révélait cette semaine qu’entre celui de Trèbes et le précédent, à Marseille le 1er octobre dernier, les services de renseignement avaient déjoué pas moins de six projets d’attentat. Entre ceux qui ont échoué, ceux qui ont réussi ou qui ont été déjoués, la France aura donc connu pas moins de deux projets d’attentat par mois depuis un an.


Or, une étude récente de l’Institut français des relations internationales (IFRI) le confirme, le profil type du djihadiste est assez facile à dessiner. Il s’agit généralement d’un jeune des banlieues pauvres qui a frayé dans la petite délinquance. C’est souvent un multirécidiviste. Français ou pas, il est généralement issu d’une famille maghrébine de confession musulmane. Dans de nombreux cas, son nom est connu des services de renseignement. Leur efficacité n’est d’ailleurs pas en cause puisque, sur 78 projets d’attentat depuis le début du conflit syrien, 50 ont pu être déjoués.


Alors, que répondre aux 58 % de Français qui jugent que le président et le premier ministre ne mettent pas tout en oeuvre contre la menace terroriste ? Ils sont aussi 83 % à réclamer l’expulsion des fichés S étrangers. Et 87 % à plaider pour une forme de rétention administrative des plus dangereux, comme le propose le président des Républicains Laurent Wauquiez qui accuse Macron de « naïveté ».


La droite française continue en effet à réclamer cette mesure en dépit du fait que, le 17 décembre 2015, le Conseil d’État avait rappelé que « nul ne peut être détenu arbitrairement » et que toute loi visant à interner les personnes dites « radicalisées » serait jugée inconstitutionnelle. Sans compter l’opposition des responsables des services de renseignement, pour qui la possibilité de suivre les fichés S demeure une importante source d’information.


Interdire le salafisme ?


Cette semaine, l’ancien premier ministre Manuel Valls en a rajouté en proposant d’interdire ouvertement le salafisme. Cela permettrait, dit-il, de fermer plus facilement les mosquées qui propagent cette forme extrême de l’islam ainsi que d’emprisonner ou d’expulser ceux qui s’en réclament. Manuel Valls avait pourtant jugé impossible de mettre en oeuvre une telle interdiction lorsqu’il était premier ministre. « Ces organisations [salafistes] savent parfaitement échapper à la justice en dissimulant leur véritable nature, avait-il déclaré en 2015. Car vous n’ignorez pas que la liberté de conscience en France est une liberté fondamentale, consacrée par tous nos principes et nos textes. »


Sans recourir à de nouvelles lois, les tribunaux français pourraient néanmoins interdire du territoire français les étrangers qui commettent des crimes ou des délits graves, estime le président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, Thibault de Montbrial. Rappelons qu’Ahmed Hanachi, qui a égorgé deux jeunes filles devant la gare Saint-Charles à Marseille en octobre, avait été mis en cause pour port d’arme illégal, trafic de drogue et vol à l’étalage. Alors que son expulsion avait été requise à plusieurs reprises, elle n’a jamais été appliquée.


Dans Le Figaro, Montbrial souligne que la Norvège vient d’adopter le principe de la déchéance de nationalité pour les terroristes qui détiennent une double nationalité. En France, l’ancien président François Hollande avait proposé une mesure semblable après l’attentat du Bataclan. Mais il avait dû faire face à la fronde de son propre parti. D’aucuns rappellent aussi qu’après les attentats de Bruxelles, les autorités avaient décrété un réexamen serré de toutes les autorisations concernant les centaines d’associations sans but lucratif de Molenbeek, un quartier de Bruxelles gangrené par l’islamisme.


Un quartier en sécession


Les reporters qui se sont rendus sur place affirment que Radouane Lakdim a pourtant grandi dans un quartier qui ne ressemble en rien à Molenbeek. Depuis des années, les gouvernements ont en effet dépensé des dizaines de millions d’euros pour la rénovation du quartier Ozanam de Carcassonne. Immédiatement après l’attentat, les journalistes y ont pourtant été violemment accueillis par des jeunes qui applaudissaient aux meurtres de leur ancien coreligionnaire.


La presse française décrit un endroit où les policiers sont régulièrement menacés et ne peuvent intervenir. Un secteur où, en 2013, un incendie criminel avait failli détruire la chapelle et où les caillassages de voitures sont habituels. Des habitants témoignent d’une vie quotidienne où une minorité de petits trafiquants, dont faisait partie Lakdim, a pris le pouvoir.


> La suite sur Le Devoir.



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