Affirmer, comme le font certains, que « les gilets jaunes sont antisémites », est à la fois une insulte et une sottise. Mais il y a des antisémites parmi eux. On notera que les expressions anti-juives sont devenues de plus en plus récurrentes à mesure que le mouvement s’est gauchisé.
Ce sera un chouette festival de proclamations républicaines. On se serrera les uns contre les autres, on répètera sur tous les tons que l’antisémitisme c’est mal et qu’on est contre. On dira en boucle qu’attenter aux juifs c’est attenter à la France. Les chaînes infos feront des « spéciales », les journaux titreront sur « le sursaut ». Les injures lancées à Alain Finkielkraut ont déclenché la mobilisation générale qui n’a pas eu lieu après l’assassinat de quatre enfants et d’un adulte juifs à l’école Ozar Hatorah de Toulouse en mars 2012. L’appel à « l’union contre l’antisémitisme » et à la manifestation de ce mardi a été publié quelques jours avant l’agression de l’académicien. Mais c’est l’émoi soulevé par celle-ci qui a sonné le branle-bas de combat. Ainsi, si le président a renoncé à ouvrir la marche, une grande partie du gouvernement sera présente derrière le Premier ministre. Il y aura même François Hollande qui avait tellement de mal à évoquer l’antisémitisme des quartiers. Le soir, tout le monde se félicitera de cette belle journée pour la République. Peut-être même parlera-t-on de « l’esprit du 19 février ».
L’alya de l’intérieur
Depuis des années, nous évoquons régulièrement – trop pour certains - la montée d’un antisémitisme qui a provoqué chez les juifs de banlieue une « alya de l’intérieur », beaucoup ayant quitté les villes islamisées pour se regrouper dans des zones plus sûres. Nous avons enragé du déni qui a recouvert cette tragédie à bas bruit que beaucoup ne voulaient pas voir. Nous devrions donc nous réjouir de ce que la haine des juifs devienne une grande cause nationale. Après tout, un excès de bons sentiments vaut mieux que les mauvais ou que l’indifférence. Sauf qu’il y a un loup et même plusieurs.
Il y a l’usure des mots, des slogans, des marches, des bougies et de l’indignation elle-même. Certains rêvent d’un petit 11 janvier.
Il est vrai que les foules sentimentales sont réconfortantes. On a envie d’en être, de marcher et de marcher. Seulement, on sait ce qu’il est advenu de l’esprit du 11 janvier et de nos belles promesses de défendre la liberté d’expression et la laïcité. Dans nos banlieues, la sécession islamiste a continué à progresser, s’appuyant sur les calculs politiques des uns, la résignation des autres et notre indifférence à tous. Alors j’ai de plus en plus de mal à croire aux phrases qui commencent par « nous n’accepterons pas », « nous ne tolérerons pas », « nous résisterons » car elles précèdent souvent les abdications en rase campagne. On déclare, la voix grave, que rien ne sera plus comme avant. Et tout est comme avant. Ou pire.
L’obsession de Rothschild et des sionistes
Et puis, c’est un peu délicat à écrire, mais on peut craindre que cette focalisation subite et exclusive sur le malheur juif finisse par lasser. D’accord, il y a ces tags et ces chiffres inquiétants. L’obsession de Rothschild et des sionistes qui dirigent le monde qui court les réseaux sociaux sur fond de désastre éducatif. Mais nombre d’autres groupes souffrent. Ne faudrait-il pas par exemple faire aussi place à la tristesse des catholiques qui voient des églises profanées ? Les images terribles d’autels souillés, de statues dégradées, de tabernacles déversés n’auraient-elles pas dû faire la « une » de nos journaux et tourner en boucle sur nos écrans ? On n’aimerait pas que des catholiques en arrivent, par délaissement, à penser qu’il n’y en a que pour les juifs. Comme le dit Alain Finkielkraut, « nous sommes dans le même bateau ».
Ce qui reste de la gauche (renforcée sur ce terrain qui ne mange pas de pain par la droite et la macronie) voudrait bien rejouer Carpentras et le bon temps de la lutte antifa. Rappelons pour la jeunesse qu’en 1990, après la profanation de tombes juives dans le cimetière de Carpentras, des centaines de milliers de manifestants ont défilé à Paris, derrière le président de la République soi-même. Contre le « F-Haine » et Jean-Marie Le Pen. Pas de chance, on découvrira des années plus tard que les néo-nazis qui ont fait le coup n’avaient strictement aucun lien avec le parti lepéniste. Ces jours-ci, on n’en a pas moins entendu beaucoup d’élus et de responsables de gauche invoquer cette scène fondatrice et appeler le président à participer au remake. Tous contre qui vous savez, on allait bien s’amuser. Ainsi, alors que même la France insoumise était finalement invitée après quelques atermoiements, le Rassemblement national et Debout la France ont d’abord été oubliés. Ce qui revenait à les désigner sinon comme fauteurs d’antisémitisme, comme suspects. La ficelle était un peu grosse et pas mal de voix se sont élevées pour dénoncer cette exclusion, comme celle de Jean-François Kahn qui a déclaré sur BFM : « Marine Le Pen a beaucoup de défauts, mais pas l’antisémitisme. » Olivier Faure, le patron du PS qui était à la manœuvre a finalement déclaré qu’elle était la bienvenue de même que tous les électeurs du Rassemblement national. Ce à quoi elle a répliqué qu’elle organiserait son propre hommage, ne voulant pas défiler avec tous les responsables de la montée de l’islamisme et de l’antisémitisme qui va avec. Elle se demande par ailleurs pourquoi le gouvernement ne fait rien contre les milieux d’extrême droite qui sont archi-connus.
Tous n’ont pas en tête le même antisémite
Derrière l’affiche unitaire et la pureté de la cause, les participants sont loin d’être d’accord sur la nature du fléau contre lequel ils prétendent lutter. En clair, tous n’ont pas en tête le même antisémite. Tandis que pas mal de commentateurs se réjouissaient de retrouver le vieil antisémite franchouillard qu’ils adorent détester, le gouvernement, par la voix de Benjamin Griveaux notamment, a lourdement exploité tous les dérapages pour essayer de discréditer le mouvement social qui se dressait contre lui.
Donc, «on» lynche des policiers, «on» chante la quenelle de Dieudonné à Montmartre, «on» reprend les codes des années 30 pour renverser la République, «on» décapite l’effigie du président…
Derrière ces «on », un seul visage, lâche, raciste, antisémite, putschiste.
Stop.
— Benjamin Griveaux (@BGriveaux) 22 décembre 2018
Toutefois, il ne les a pas inventés, ces dérapages. Au sein du mouvement et sur les réseaux sociaux où il s’exprime, on a vu se déployer les éléments de langage du conspirationnisme qui mènent toujours aux juifs. Affirmer, comme le font certains, que « les gilets jaunes sont antisémites », est à la fois une insulte et une sottise. Mais il y a des antisémites parmi eux. Il y en a aussi chez les bouchers-charcutiers ou les cégétistes. On peut cependant observer que ces expressions anti-juives sont devenues de plus en plus récurrentes à mesure que le mouvement s’est mélenchonisé et même nuitdeboutisé. Parmi les pionniers des ronds-points, beaucoup sont partis, lassés d’entendre parler de Palestine et de vegan. Les défilés sont de plus en plus noyautés par des groupuscules organisés d’extrême droite et d’extrême gauche, sans oublier quelques islamistes en colère, auxquels se joignent quelques bataillons indigénistes, ou les membres de Justice pour Adama et de quelques autres associations, tout cela reformant le fond de sauce haineux du « Jour de colère ».
Antisémites au nom de l’antiracisme
Nombre de commentateurs ont souligné triomphalement que les déclarations antisémites intervenues dans les marges de la mobilisation des Gilets jaunes n’avaient rien à voir avec les musulmans. Sans doute ont-ils raison, quoi qu’il n’y ait guère moyen de le savoir. De toute façon, que l’antisémitisme islamiste ne soit pas au cœur de l’actualité ne permet pas de conclure à sa disparition. Et le « on est chez nous » lancé à la face de notre plus cher mécontemporain jouait bien la musique du grand remplacement. Surtout, au lieu de se demander qui sont les antisémites, exercice voué à l’échec car ils ne forment pas un groupe homogène, on ferait mieux de s’interroger sur la nature de l’antisémitisme qui a cours aujourd’hui. On ne dénonce pas les juifs comme juifs, mais comme capitalistes, comme colonialistes, et comme sionistes. « L’antisémitisme s’exprime dans la langue de l’antiracisme », résume Finkielkraut qui l’avait vu venir en 2000 dans Au nom de l’Autre. Du coup, des députés En Marche se sont mis en tête de faire de l’antisionisme un délit. Une deuxième loi Gayssot, quelle brillante idée. Non seulement la première n’a pas fait taire le négationnisme, mais en instaurant un privilège juridique pour les juifs, elle a ouvert la course à la reconnaissance mémorielle. Certes, la haine d’Israël cache ou entraîne toujours la haine des juifs. Y répondre par la censure ne serait pas seulement contre-productif, ce serait aussi une défaite intellectuelle. En attendant, ce fatras qui séduit aussi bien des fachos que des gauchos est bien, d’un point de vue idéologique, la facette gauchiste de l’islamo-gauchisme. C’est de cette matrice, et pas des années 1930, que vient la haine des juifs déguisée en haine d’Israël qui se lâche aujourd’hui. Dans son inspiration, cette peste est plus rouge que brune. Beaucoup de ceux qui s’apprêtent à défiler préfèrent ne pas le savoir. Autant dire qu’on n’attend pas grand-chose d’une mobilisation qui a toutes les chances de rester sans lendemain, à moins qu’elle n’accouche d’autres billevesées du genre de la loi anti-antisioniste. « Tout de même, me glisse un ami, c’est quand même bien que les gens se réveillent, non ? » Peut-être. Je l’avoue, ce grand raout m’agace à l’avance, mais s’il n’y avait personne ça m’inquiéterait. Ces juifs ne sont jamais contents.