L’aide financière promise aux médias par le gouvernement Trudeau mine leur crédibilité, selon la Fédération canadienne des contribuables, qui souhaite embaucher son propre «journaliste d’enquête».
«Les médias ont de moins en moins de reporters et maintenant ils ont 595 millions de raisons de détourner le regard sur le gaspillage gouvernemental, alors nous avons besoin de votre aide pour obtenir notre propre journaliste d’enquête pour fouiller plus profondément que jamais», affirme, en anglais, ce lobby proche du mouvement conservateur dans un courriel acheminé à ses donateurs intitulé «Trudeau ne peut pas acheter notre journaliste».
L’organisme, qui dénonce régulièrement le «gaspillage gouvernemental», prévoit un budget de 95 000$ pour embaucher un «journaliste d’enquête» et lui fournir un budget de recherche. L’offre d’emploi devrait être mise en ligne d’ici un mois et la personne pourrait commencer à travailler d’ici l’automne.
Indépendance des médias
Dans son courriel, la Fédération reprend deux arguments avancés récemment par le chef conservateur fédéral, Andrew Scheer, qui accuse le gouvernement Trudeau de «piper les dés en sa faveur».
Tout d’abord, l’organisme compare l’aide annoncée – un crédit d’impôt sur la masse salariale et la possibilité d’obtenir des dons de charité – à un sauvetage financier («bailout»). Pour cette raison, les journalistes seront dans une fâcheuse position au moment de couvrir une prochaine aide financière comme celle accordée à Bombardier, fait-il valoir.
La Fédération dénonce également la présence du syndicat Unifor, qui représente des milliers de travailleurs de l’information, sur un comité chargé d’établir les critères qui détermineront quels médias auront accès au crédit d’impôt.
Combler un vide
En entrevue, le président de la Fédération, Scott Hennig, affirme que l’initiative vise à combler un vide laissé par la réduction des salles de nouvelles au cours des dernières années. «Je dirais qu’il y a moins de journalisme d’enquête au Canada qu’il y a cinq ans, dix ans», estime-t-il.
Les trouvailles de la Fédération pourraient être publiées en ligne sur le site de l’organisme ou fournies aux médias sous forme de communiqué de presse. «Nous ne cherchons pas à lancer notre propre journal», affirme-t-il.
Approche américaine
Pour la professeure en journalisme à l’Université Laval, Colette Brin, les médias risquent fortement d’être critiqués durant la prochaine campagne électorale, en raison de l’annonce d’Ottawa.
Pourtant, fait-elle remarquer, les grands médias canadiens ont publié des informations dommageables pour le gouvernement Trudeau depuis l’annonce de cette aide fédérale, qui ne sera disponible qu’en 2020. Le Globe and Mail, par exemple, a fait éclater l’affaire SNC-Lavalin qui a terni l’image du gouvernement Trudeau à l’extérieur du Québec.
Mme Brin voit, dans la démarche de la Fédération, l’influence de certains médias de droite américains. «Ils engagent un journaliste, tout en disant : les autres médias, on ne peut pas leur faire confiance. Ça ressemble à une sorte de média un peu alternatif, qui se définit en opposition aux médias d’information», dit-elle.
Journalisme ou lobbyisme
Scott Hennig, lui, assure que la démarche de la Fédération est plutôt «complémentaire» au travail des médias traditionnels. «J’espère qu’on pourra déterrer des histoires que les autres journalistes vont pouvoir reprendre et poursuivre leurs propres recherches dans des domaines où ils n’avaient pas le temps ou les ressources pour fouiller», explique-t-il.
Du côté de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, on dénonce ce mélange des genres. La personne retenue aura forcément un rôle militant, estime son vice-président, Jean-Thomas Léveillé. «On ne peut même pas appeler ça un journaliste, dit-il. Ce n’est pas du journalisme, c’est du lobbyisme.»
– Avec la collaboration de Marie Christine Trottier