Alors que le parquet national financier a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les pratiques d’optimisation fiscale du cabinet de conseil McKinsey, Jérôme Rivière se penche sur les pratiques de la Macronie qui actent la disparition de la politique.
Ils s’appellent Accenture, Bain, Boston Consulting Group, Capgemini, Eurogroup, EY, McKinsey, PwC, Roland Berger ou encore Wavestone. Toutes ces entreprises privées de conseil emploient environ 40.000 consultants en France. Entre 2018 et 2021, elles ont récolté plus d’un milliard d’euros d’argent public français (soit 2,4 fois plus qu’en 2018), quand une large part d’entre eux ont leur siège social à l’étranger et, pour certains, à l’instar du désormais tristement célèbre cabinet McKinsey, ne paient pas d’impôts en France. Le 17 mars dernier, le Sénat a rendu public un rapport de sa commission d’enquête, tout à la fois inquiétant et révélateur.
Chacun pourra lire ce rapport accablant, qui dénonce les coûts exorbitants, l’absence de résultats concrets, les exemples, qui sont légion, de prestations inabouties voire inexistantes, comme lorsque McKinsey est intervenu, en 2019 et 2020, à la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour préparer la réforme avortée des retraites, prestation qui aura couté à l’État 957.674,20 euros. L’utilisation des cabinets de conseil est coûteuse pour les contribuables, puisqu’ils font doublon avec la fonction publique. Mais parmi tous les problèmes soulevés par la commission d’enquête, certains illustrent de manière criante ce qu’incarne aujourd’hui la Macronie et posent de réels problèmes de souveraineté et de déontologie.
Le premier, c’est l’influence d’entreprises privées sur la décision publique. Dans leurs méthodes de travail, les consultants ont l’habitude de la discrétion. Ainsi, comme lorsqu’ils conseillent les entreprises, ils travaillent en équipe intégrée dans les ministères. Les agents de McKinsey, sollicités pour la gestion de la crise sanitaire dont on a pu constater les graves manquements, ont par exemple rédigé des notes administratives sous le sceau de l’État. Certains disposaient même d’une adresse électronique du ministère. Impossible, dès lors, de distinguer entre le travail de l’État et celui d’une entreprise privée. Qui sait jusqu’où cette méthode a pu permettre à des acteurs privés d’influencer les décisions publiques ? Ces pratiques sont juridiquement peu encadrées et offrent bien des possibles en termes de conflits d’intérêts. C’est une atteinte à la souveraineté de l’État, surtout quand les entreprises sont étrangères.
Le second, c’est la sous-traitance de la décision publique, dans une vision mercantile de la politique. Cette vision est une destruction de plus à l’actif d’Emmanuel Macron qui, non content d’adapter la France à la mondialisation, la dissout. Il y a une continuité criante entre la réforme de la haute fonction publique voulue par Macron, qui entraîne la disparition des grands corps (corps des préfets, corps diplomatiques, suppression de l’ENA...), et la gestion managériale d’un pays comme la France. L’innovation devient néfaste quand elle est toujours opposée et préférée à la tradition. Le savoir-faire de la fonction publique, l’excellence des grands corps de l’État sont considérés comme dépassés dans un monde désincarné axé sur la performance. Il y a là un écho finalement logique à la phrase de Macron affirmant qu’« il n’y a pas de culture française ». Il y a pourtant bien une culture d’excellence de l’administration française qu’Emmanuel Macron détruit sans vergogne. Sa vision de la société acte la disparition du politique et renforce le sentiment d’un népotisme presque assumé. Ce nouveau monde que l’on nous avait vendu comme plus heureux (comme souvent avec le progrès) ne fait que professionnaliser et technocratiser des tares anciennes.
Le cas particulier de McKinsey est éloquent et touche un sujet sensible, puisque ce cabinet a été chargé de la stratégie vaccinale. Ce cabinet est lié aux intérêts américains, le fils du président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius en est le directeur associé et, après avoir touché plusieurs millions d’euros d’argent public, le cabinet ne paie pas d’impôts en France. Le dirigeant de McKinsey n’a d’ailleurs pas hésité à se parjurer à ce sujet devant la commission d’enquête du Sénat. Un audit de la Cour des comptes devra faire la lumière sur cette affaire. On aimerait, par ailleurs, que le parquet national financier, si prompt à se saisir de certaines affaires, fasse preuve de la même célérité pour celle-ci.
Plus largement, cette vision managériale de la France et de ses 1.500 ans d’Histoire est un aboutissement pratique du conflit entre un progressisme fou qui veut s’émanciper de tous les déterminismes d’un côté et un conservatisme patriote et un populisme national de l’autre, qui cherchent à transmettre la France à leurs enfants comme un héritage. L’administration des choses a remplacé le gouvernement des hommes. Le premier privilégie l’Avoir, le second s’intéresse à l’Être. Le premier se soucie du prix de la baguette, le second s’attache au goût du pain. Aux prochaines élections, c’est aussi ce choix qu’il faudra poser dans les urnes.