La lettre en question, datée du 10 mars 2015 et dont CBC/Radio-Canada a obtenu copie, est adressée à Jacques Chagnon, président de l'Assemblée nationale du Québec. Elle a été transmise à ce dernier par l'ambassadeur saoudien à Ottawa, Naif Bin Bandir Al-Sudairy.
Dans cette missive qui tient sur une page, et dont copie a aussi été envoyée aux Affaires étrangères, à Ottawa, le gouvernement saoudien exprime « sa forte surprise et sa consternation vis-à-vis de ce qui est dit dans certains médias sur le cas du citoyen Raïf Mohamed Badawi et le jugement prononcé contre lui ».
Rappelons que Raïf Badawi est cet opposant et blogueur saoudien à qui le régime saoudien a infligé 50 coups de fouet en janvier dernier. Raïf Badawi a été arrêté en 2012 pour diverses infractions et notamment pour insulte à l'islam, cybercriminalité et désobéissance à son père.
Il a été condamné l'an dernier à 10 ans de prison, une amende et 1000 coups de fouet pour blasphème.
Sa situation a suscité un tollé dans le monde entier.
Au Québec, où vivent son épouse et ses enfants, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une motion revendiquant sa libération. Denis Coderre, le maire de Montréal, ancien ministre de l'Immigration à Ottawa, a fait de même.
En Europe, également, les députés ont qualifié la peine de M. Badawi de « cruelle » et « d'acte scandaleux ». À leur tour, ils ont adopté par une écrasante majorité une résolution dans l'espoir de le faire libérer.
Or, pour l'Arabie saoudite, ces mobilisations pour le « citoyen Raïf Mohamed Badawi » sont des « attaques » contre son royaume et contre son système judiciaire.
Dans la lettre, Riyad souligne « qu'il n'accepte aucune forme d'interférence dans ses affaires internes et rejette l'empiétement sur sa souveraineté ou la remise en question de son droit judiciaire et de son intégrité ».
Le royaume saoudien souligne aussi le fait qu'en son pays, « toutes les causes judiciaires sont traitées sans distinction ni exception ».
« Le Royaume n'accepte pas du tout quelque attaque que ce soit au nom des droits de la personne, spécialement du fait que sa constitution est basée sur la loi islamique qui garantit les droits de la personne et protège son sang, son argent, son honneur et sa dignité. »
— Extrait de la lettre envoyée par l'Arabie saoudite à Jacques Chagnon, président de l'Assemblée nationale du Québec
Riyad va même plus loin en soutenant avoir été « l'un des premiers pays à soutenir les droits de la personne et à respecter les conventions internationales en accord avec la charia ».
Pourtant, poursuit le régime saoudien dans sa lettre, en dépit des « efforts visibles et évidents » qu'il déploie pour les droits de la personne, certaines agences internationales et certains médias ont tenté de politiser et d'exploiter ces droits « selon des standards qui ne peuvent être décrits que comme étant sélectifs et partiaux et qui sont destinés à servir leurs buts politiques, ce que le Royaume ne permet ni n'accepte ».
« Une différence sérieuse d'opinions »
Selon Kyle Matthews, directeur général adjoint de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne, l'Arabie saoudite exprime dans cette lettre que ce qui se passe à l'intérieur de ses frontières ne regarde personne d'autre qu'elle.
Cet expert ne croit pas qu'il s'agisse d'un accroissement de tension entre Riyad et Québec : « Ce n'est pas une escalade, dit Kyle Matthews, mais une manière diplomatique de dire : "Ce n'est pas de vos affaires." »
« L'Arabie saoudite est pratiquement en train de dire que le cas de ce blogueur, qui a été fouetté, est devenu une source d'embarras pour elle parce que le monde entier a repris l'histoire. Alors l'Arabie saoudite réplique et tente d'imposer le silence sur cette histoire. »
— Kyle Matthews, directeur général adjoint de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne
De l'avis de M. Matthews, il est choquant pour l'Arabie saoudite de constater à quel point le Québec a montré un front unifié pour s'opposer au sort réservé à Raïf Badawi. « L'Arabie saoudite a le sentiment qu'elle doit répondre et elle tente d'argumenter en appuyant ses dires sur des bases légales et morales ».
Kyle Matthews explique que l'argumentaire du royaume saoudien illustre à quel point il existe une sérieuse différence d'opinions entre ce qu'elle croit être juste et ce qui est convenu dans les règles internationales de respect des droits de la personne. « Ce pays dit respecter les droits de la personne pourvu qu'ils soient en conformité avec la charia; c'est un problème », affirme Kyle Matthews.
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