Québec -- À l'approche des élections, tous les yeux sont de nouveau tournés vers la ville de Québec, où l'ADQ pourrait faire une percée importante. Mais que veulent les gens de la capitale? On a parlé de mystère, d'énigme. Une chose est certaine, Québec n'est pas facile à séduire et aucun parti n'a intérêt à tenir la ville pour acquise.
Quand on lui demande ce que les candidats devront faire pour gagner dans Québec, le sociologue Michel Lemieux répond que «c'est la question que tout le monde se pose».
Auteur d'une série d'articles sur le fameux «mystère de Québec», ce spécialiste des sondages prévoit en conséquence que les batailles vont se jouer «comté par comté». «Le PQ tire de l'arrière, mais il va y avoir beaucoup de luttes à trois. C'est sûr que beaucoup de choses peuvent arriver. C'est une boîte à surprises.»
Après avoir donné sa chance à l'ADQ dans Vanier en élisant Sylvain Légaré, chassé le Bloc québécois de ses terres et ouvert les bras aux conservateurs, la capitale reçoit plus d'attention que jamais, comme en a témoigné cette semaine le déplacement du ministre de la Santé, Philippe Couillard, de Mont-Royal vers le comté de Jean-Talon.
Car les péquistes ne sont pas les seuls à être menacés à Québec. Cette semaine, un sondage Léger Marketing plaçait l'ADQ trois points devant les libéraux dans la région avec 34 % des voies contre 31 %. Une donnée d'autant plus étonnante que, selon le même sondage, Mario Dumont n'obtient que 21 % ailleurs dans la province.
Mais à quoi tient donc la popularité de Mario Dumont? Ancien président de la Chambre de commerce des entrepreneurs, André Di Vita a de la difficulté à s'y retrouver. «Je fais partie des gens qui ont de la difficulté à comprendre comment les électeurs de Québec pensent, concède-t-il. «On est une population qui réagit, mais, si on réagit, on réagit à quoi?»
Parce que, en apparence, tout va bien à Québec. Les investissements pleuvent à cause du 400e (modernisation de l'aéroport, revitalisation de la rivière Saint-Charles, promenade Samuel-de-Champlain, projet au massif de la Petite-Rivière-Saint-François... ). Le taux de chômage est le plus bas du Québec. Une certaine paix sociale prévaut. Alors, de quoi se plaint-on?
«Je n'arrive pas à voir.» M. Di Vita s'étonne d'autant plus de la popularité de Mario Dumont que ce dernier n'a aucun «projet» pour Québec. «Qu'est-ce que Mario Dumont a promis à la ville de Québec?», se demande-t-il. Pour l'heure, aucun dossier régional ne semble destiné à se transformer en véritable enjeu électoral. Même celui du jardin zoologique, note-t-on, n'émeut presque plus personne.
Contre Montréal et contre les élites
Dans un rapport interne du Bloc québécois sur le fameux «mystère de Québec», la vice-présidente du parti, Hélène Alarie, suggère que la capitale est en train de prendre sa revanche sur Montréal. «Le moment est venu [...] d'admettre publiquement, sans en faire une séance d'autoflagellation, que certaines attitudes et une certaine mentalité prévalant à Montréal, pas seulement au Bloc mais au Bloc aussi, sont blessantes pour les gens de Québec. Comme le "chien d'or" qui ronge son os, gravé dans la pierre à l'entrée du bureau du Vieux-Poste du Vieux-Québec, cette population a fini par mordre qui l'a mordue.» Trop centralisée à Montréal, la direction du Bloc aurait perdu le contact avec les préoccupations des militants locaux. De même, il est devenu coutumier à Québec de dénoncer le déplacement progressif des activités du gouvernement vers la métropole.
Ces tensions sont réapparues récemment avec le parachutage dans Louis-Hébert du bloquiste Guy Richer, un humoriste et animateur montréalais. Ce dernier n'a pas été très bien accueilli dans la région, rappelle l'animateur de radio Sylvain Bouchard, dont l'émission est très populaire auprès des adéquistes. «Peut-être qu'on a de bonnes raisons d'être parfois fâchés. Guy Richer a déjà dit à Canal Évasion qu'il avait Montréal tatoué sur le coeur et là, il se pointe à Québec et nous dit qu'il n'aime pas Montréal, qu'il préfère Québec!» Et d'en remettre sur les maladresses de Gilles Duceppe. «Moi, j'ai déjà eu Gilles Duceppe en entrevue parce qu'il se disait favorable au sauvetage du zoo. Il réclamait des sous pour la "phase II" du projet. Quand je lui ai demandé ce que c'était, il ne le savait visiblement pas. Il avait vraiment l'air d'un politicien qui venait à Québec pour récolter des votes sans savoir de quoi il parlait.»
Sylvain Bouchard anime l'émission du matin au FM 93, station qui lançait cet automne une campagne de parrainage des soldats de Valcartier. D'aucuns voient en lui un nouveau Jeff Fillion. Comme Fillion, Bouchard vient du Saguenay. L'animateur dit en avoir soupé du «mystère de Québec». Tout en s'en prenant à ce qu'il considère comme une propension à traiter les gens de Québec «comme des rats de laboratoire», il confirme le degré d'animosité à l'endroit de Montréal. «C'est vraiment condescendant, c'est comme si les gens de Montréal nous disaient: voyons, pourquoi vous ne votez pas comme nous? [...] On n'a pas voté pour le Parti Rhinocéros au fédéral. On a quand même voté pour le parti qui a recueilli le plus de votes au Canada.» Quand on lui parle de la prétendue influence des animateurs de radio à Québec, il ne mâche pas ses mots: «Dire que les gens de Québec ont voté conservateur ou parfois ADQ en raison de la radio, c'est traiter les gens de Québec de cruches vides qui se font remplir chaque matin. [...] C'est évident que les idées de droite circulent bien à Québec, mais ça ne veut pas dire que les animateurs poussent ça chaque matin.»
Conjoint de la députée bloquiste Christiane Gagnon, le sociologue Michel Lemieux croit également qu'on aurait tort de surestimer l'influence des animateurs de radio, lesquels seraient plutôt des reflets de la mentalité locale. «Je viens de finir une série de groupes de discussions sur les médias dans la région de Québec et on constate qu'à Québec, les gens ressentent très vivement la montréalisation des médias. Les jeunes en particulier remarquent qu'Internet et les nouvelles chaînes de télévision sont quasiment exclusivement montréalaises.»
Le syndrome des Plouffe
Et Mario Dumont n'a certes rien de particulièrement montréalais. Or ses partisans ne réagiraient pas seulement à Montréal mais aussi à ce qu'ils considèrent comme une élite. «Il y a un mouvement profondément anti-élitiste à Québec, dont l'une des variantes est antimontréalaise. En résumé, les gens en ont contre la Grande-Allée et contre le Plateau Mont-Royal. C'est très clair et, à la limite, ça n'a pas de rapport avec la politique.»
Fait intéressant, les seuls comtés péquiste et bloquistes à avoir survécu au balayage des dernières années se trouvent dans un territoire qui est à Québec ce que le Plateau est à Montréal. C'est le comté Taschereau de la péquiste Agnès Maltais et une partie du comté de Québec de la bloquiste Christiane Gagnon.
Pour comprendre le phénomène, Michel Lemieux nous renvoie aux oeuvres de Roger Lemelin -- Les Plouffe, Au pied de la pente douce... -- dans lesquelles on sent bien la distance séparant la Haute-Ville et la Basse-Ville. «Dans Les Plouffe, il y a le personnage d'Ovide, l'écrivain qui accède à la Haute-Ville, à la rue des Braves. À mon avis, c'est une des choses les plus symboliques à Québec, fait-il remarquer. De l'autre côté, vous avez les gens de la Basse-Ville qui en ont contre la Haute-Ville. Le mouvement créditiste, c'est exactement ça, et ç'a déjà été très fort à Québec. Dans la vraie vie, le père de la famille Plouffe aurait probablement été un créditiste et Ovide, un libéral.»
Aujourd'hui, ce n'est plus vraiment une affaire de sous. «Vous savez, il y a de fichues de belles maisons dans Limoilou et dans Vanier aussi», fait remarquer Sylvain Bouchard. Plutôt une question de goûts, une réaction aux 16 ans de l'administration L'Allier, où on a fait beaucoup pour la culture au centre-ville. L'organisation des Fêtes du 400e pâtit d'ailleurs énormément de ces perceptions. «Le 400e, ce sont des bourgeois qui s'organisent un gros party», nous disait cette semaine André Arthur.
Au fond, la population de la capitale a peut-être toujours été plus à droite. Dès lors, sans être fondamentalement «anti-Montréal» ou «anti-élites», elle reproche maintenant au premier et aux seconds de ne pas avoir été à l'écoute de ses préoccupations depuis trop longtemps.
«Pour moi, l'histoire des élites, ce n'est pas une affaire de riches et de pauvres, soutient Sylvain Bouchard. C'est autre chose. Moi, je suis un gars de sport et de rock. Je ne peux pas comprendre pourquoi la mairesse et les autres me disent que jamais ils ne vont mettre une cenne d'argent public dans le Colisée, par exemple. Par contre, mettre 30 millions dans le Palais Montcalm pour 900 personnes [ndlr: 23 millions y ont été investis], c'est correct, parce que ça, c'est de la culture.»
Or, évoquer la fracture, c'est la faire vivre, craint-on. Selon André Di Vita, il manque surtout à Québec des leaders qui sauraient transcender les divisions. Pour regarder vers l'avenir, vers l'extérieur et vers l'international. À côté d'un Di Vita qui ne comprend pas, d'un Sylvain Bouchard qui ne voit pas ce qu'il y a à comprendre, M. Lemieux souligne que peu d'études et de sondages ont été effectués sur les valeurs politiques des gens de Québec. Il se demande si les préoccupations d'une bonne partie de la population n'auraient pas tout simplement été «occultées» depuis dix ans. Au-delà des résultats électoraux, la grande victoire de la ville de Québec aura consisté à faire en sorte qu'on s'intéresse à elle.
Collaboratrice du Devoir
À la conquête de Québec
Exaspérés par la «montréalisation» et fâchés contre leurs élites locales, les partisans de l'ADQ de Québec seraient les héritiers des Plouffe
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