Le Sénégal compte 95 % de musulmans et quelques chrétiens. L'université Cheikh Anta Diop, à Dakar, rassemble 55 000 étudiants de 44 nationalités. Histoire de plaire à tout le monde, l'établissement a décidé de s'accommoder de toutes les fêtes du calendrier, qu'elles soient d'Allah ou de Dieu, et les deux sont grands.
«Chez nous, tout est prétexte à congé, a expliqué le recteur Abdou Salam Sall. Nous avons conservé les fêtes chrétiennes, ajouté les fêtes musulmanes, et nous étudions maintenant la possibilité d'incorporer les fêtes juives. Notre rapport au temps et au travail pose beaucoup de problèmes. Nous n'avons pas d'argent mais nous savons bien vivre.»
Cet étonnant exemple de générosité institutionnelle à l'africaine a été servi hier après-midi devant Gérard Bouchard et Charles Taylor, coprésidents de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles. Les deux universitaires québécois réputés étaient dans leur milieu, devant une vingtaine de recteurs de grandes universités du monde réunis au pavillon central de l'Université de Montréal.
Après la présentation du recteur Abdou Salam Sall, M. Bouchard a expliqué que deux chercheurs de la commission étudient actuellement la gestion de la diversité en Occident. «Il aurait aussi été très utile d'étudier des pays non occidentaux, a-t-il ajouté. Nous aurions beaucoup à apprendre de certains pays africains ou de certains pays en Orient.»
La rencontre, ouverte au public mais très peu courue, se déroulait dans le cadre de la journée inaugurale du Forum international des universités publiques (FIUP), un nouveau regroupement universitaire formé de 21 établissements provenant de quatre continents. Les recteurs de ces grandes universités (Fribourg, Buenos Aires, Bruxelles, Paris, Pékin, Bologne, etc.) ont signé hier soir un protocole de création encourageant la collaboration en matière de formation, d'enseignement et de recherche.
La fondation de la FIUP répond à la mondialisation du secteur universitaire. Selon des données de l'UNESCO, le nombre d'étudiants qui choisissent de poursuivre leur formation à l'étranger a augmenté de 41 % entre 1999 et 2004. On en compte environ 2,5 millions à travers le monde de nos jours. À l'UdeM, le nombre d'étudiants étrangers est passé de 3515 à 5248 entre 2000 et 2006 et la moitié des professeurs à temps plein ont obtenu leur doctorat à l'extérieur du Québec.
Mai 68, encore et toujours
«Les universités sont aux premières lignes en matière d'intégration», a résumé le recteur Luc Vinet, de l'UdeM. Ici comme ailleurs, des institutions font par exemple face à des demandes d'étudiants qui veulent obtenir des locaux de prière. «Au milieu des années 80, nous avons construit une mosquée au milieu des résidences étudiantes, a encore confié le recteur de l'université sénégalaise. Elle est maintenant dirigée par des intégristes. Il y a des bagarres. Mais globalement, l'Africain de l'Ouest est un non-violent. C'est surtout la pauvreté qui taraude nos institutions.»
L'université Cheikh Anta Diop est par ailleurs minée par les grèves. «Nous en avons beaucoup trop. Depuis Mai 68, chaque année, c'est 1968. La France nous a rendu un très mauvais service de ce point de vue.»
Les autres recteurs ont préféré parler de diversité linguistique. Mar Campins Eritja, vice-rectrice de l'Université de Barcelone, a rappelé que le bilinguisme (catalan-castillan) s'impose dans son institution. «Le professeur décide quelle langue il utilise pour son cours. Les étudiants peuvent aussi utiliser la langue de leur choix dans leurs communications. Pour la recherche, par contre, le catalan n'a aucun poids.»
À l'université Charles de Prague, fondée au XIVe siècle, longtemps incorporée à l'empire austro-hongrois et donc bilingue allemand-tchèque, l'anglais s'impose de plus en plus comme lingua franca. En médecine, par exemple, la formation peut se faire en anglais seulement pendant les six ans du programme.
Là encore, le recteur Sall a permis de relativiser le problème en rappelant la situation des langues de son pays. «Je vous parle dans une langue qui n'est pas ma langue maternelle, a-t-il terminé en français. En Afrique, nous nous demandons comment sauver nos langues maternelles, qui ne sont pas présentes sur Internet, dans les médias, au cinéma... »
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