Rare spécialiste de la question nucléaire et de la politique étrangère de la Corée du Nord, Benoît Hardy-Chartrand est rattaché à la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM. Il a été joint au Japon, où il poursuit ses recherches pour discuter du coup de théâtre annonçant l’organisation, peut-être en mai, d’un sommet entre le président Donald Tump et le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, signe d’une surprenante ouverture de l’État totalitaire et nucléaire.
Comment expliquer ce développement-surprise de la Corée du Nord ?
Parler des motivations de Pyongyang implique bien entendu une certaine dose de conjectures, mais les sanctions et la pression internationale ont certainement joué un rôle important dans ce revirement de situation. Durant la dernière année, la pression avait atteint un niveau jamais vu et, selon toutes les indications, les derniers trains de sanctions ont été appliqués beaucoup plus rigoureusement par Pékin, qui craignait que Washington procède à des frappes préventives sur la Corée du Nord. On a su, grâce à des marchands et des gens d’affaires chinois qui font régulièrement des affaires en Corée du Nord, que, dans les derniers mois, les échanges commerciaux et les passages à la frontière ont été limités. Le régime de Kim Jong-un commençait vraisemblablement à en souffrir.
Faut-il conclure que Donald Trump avait raison de faire des pressions ? C’était donc la bonne attitude après des années de conciliation avec le régime de la Corée du Nord ?
Donald Trump avait raison de chercher à exercer une pression maximale sur Pyongyang, bien que le discours guerrier qu’il a tenu à plusieurs reprises n’ait pas aidé la situation. Il est important de mentionner cependant que son approche n’était pas très différente de celle d’Obama, malgré ce qu’il disait. Son prédécesseur cherchait également à mettre de la pression sur le régime de Kim Jong-un tout en restant ouvert au dialogue, mais Trump a intensifié les efforts visant à renforcer les sanctions et à convaincre la Chine de les appliquer. Ses efforts semblent avoir forcé la Corée du Nord à changer son approche, à tout le moins temporairement.
Est-ce du bluff ou une vraie volonté de dénucléarisation, selon vous ?
Je ne crois pas que nous pouvons encore parler d’une réelle volonté de dénucléarisation. Kim Jong-un cherche probablement avant tout à faire baisser la pression, et rien de mieux pour y parvenir que d’entamer le dialogue avec son ennemi juré. Rappelons-nous que la dynastie des Kim a investi énormément de ressources et de capital politique dans son programme nucléaire, qu’elle a toujours considéré comme une garantie de survie. Après près de 40 ans d’avancées nucléaires, peut-on réellement croire que la Corée du Nord soit prête à se départir du seul outil qu’elle a, sans lequel elle ne serait qu’un petit État pauvre et insignifiant ? Même si la volonté déclarée de dénucléarisation s’avérait, d’immenses obstacles restent à surmonter avant d’en arriver à une entente.
Que va demander la Corée du Nord lors des prochaines négociations ?
La Corée du Nord avance depuis longtemps que les États-Unis doivent fournir des « garanties de sécurité » et laisser tomber leur politique « hostile » à son égard. Essentiellement, Pyongyang pourrait exiger au minimum la fin des exercices militaires conjoints effectués chaque année avec la Corée du Sud ainsi que le retrait des troupes américaines sur le territoire sud-coréen. Les États-Unis y comptent actuellement 28 500 soldats. Il est difficile d’imaginer les États-Unis accéder à ces demandes sans des concessions importantes de la part de Pyongyang ainsi que des gestes concrets vers la dénucléarisation. De plus, il est difficile d’imaginer quelles garanties de sécurité pourraient être considérées comme satisfaisantes par Pyongyang. Par le passé, le président Bill Clinton avait déjà fourni des garanties de sécurité par écrit, donc ces demandes ne sont pas nouvelles.
Que vont exiger les États-Unis ?
Les États-Unis ne demandent rien de moins que la dénucléarisation totale de la Corée du Nord. À tout le moins, avant de s’engager dans des négociations avec la Corée du Nord, Washington exigera que le régime de Kim prenne des mesures concrètes pour prouver sa bonne foi. On pourrait exiger par exemple que Pyongyang détruise certains réacteurs nucléaires ou d’autres installations liées à son programme. Les États-Unis seront très prudents et ne voudront pas s’engager dans un autre cycle de pourparlers sans être certains des intentions de Kim. Il y a énormément de méfiance des deux côtés, ce qui mettra certainement du sable dans l’engrenage des pourparlers. Les négociations sur le nucléaire, si bien sûr on se rend à cette étape, pourraient s’étirer sur de nombreuses années. Rappelons-nous que les pourparlers à six sur la dénucléarisation, impliquant les deux Corées, la Chine, le Japon, la Russie et les États-Unis, ont eu lieu entre 2003 et 2009, et que les deux principales ententes signées en 2005 et 2007 ont fini par être déchirées. La fin du nucléaire nord-coréen n’est donc pas pour demain.
L’annonce de la possible tenue d’un sommet prochain entre les États-Unis et la Corée du Nord signale une volonté de réchauffement des relations dans une guerre froide qui dure depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale dans la péninsule asiatique. En voici les principaux événements.
1945 La défaite du Japon, qui occupait la Corée, entraîne la partition du pays en deux zones divisées par le 38e parallèle, le Nord soutenu par les Soviétiques, le Sud par les Américains. Un régime stalinien s’installe dans le Nord sous le contrôle de Kim Il-sung, qui va créer la première dynastie communiste héréditaire.
1950 La Corée du Nord envahit le Sud le 25 juin avec le soutien de l’URSS et de la Chine nouvellement basculée dans le camp des maoïstes. Une coalition internationale de 16 pays (dont le Canada) reprend Séoul et la zone septentrionale de la péninsule. Près de 27 000 soldats canadiens sont engagés dans ce conflit et 516 y perdent la vie. Un armistice est accepté le 27 juillet 1953, mais aucun accord de paix n’a été signé depuis.
1994 L’ex-président Jimmy Carter visite Pyeongchang en juin. En octobre, trois mois après le décès de Kim Il-sung, son fils Kim Jong-il s’engage à démanteler son programme nucléaire militaire tout en poursuivant ses recherches civiles.
1998 Début de la politique étrangère dite du rayon de soleil, par laquelle la Corée du Sud tente des rapprochements avec le Nord. Cette détente va durer une décennie.
2002 Le président George W. Bush inclut la Corée du Nord, avec l’Irak et l’Iran, dans son « axe du mal », accusant Pyongyang de violer l’accord de 1994 avec un programme secret pour enrichir de l’uranium. Les sanctions se musclent.
2006 Premier essai nucléaire nord-coréen.
2008 Nouvel accord avec les États-Unis en échange d’un contrôle des installations nucléaires du régime communiste.
2017 En juillet, l’armée du Nord procède à deux tirs de missiles intercontinentaux. Le 8 août, date anniversaire de la bombe de Nagasaki, Donald Trump menace le Nord d’y déclencher « le feu et la colère ». En septembre, Pyongyang réalise un sixième essai nucléaire et affirme avoir testé une bombe H.