Février 1993. Le taux de chômage s’élève à plus de 13 %. Les revenus du gouvernement québécois sont inférieurs, de plusieurs centaines de millions de dollars, aux prévisions du ministère des Finances. « À ce moment-là, on est dans la dèche, pas à peu près ! » se rappelle un ex-membre du gouvernement de Robert Bourassa. « Il fallait explorer toutes les avenues possibles pour remédier à la situation. » Parmi elles : « fermer le gouvernement ».
« C’est cette solution ou la décote », lance le ministre du Revenu, Raymond Savoie, lors de la séance du Conseil des ministres du 17 février 1993. En fermant le gouvernement au rythme d’une demi-journée aux deux semaines, le gouvernement québécois pourrait dégager des économies de quelque 600 millions de dollars, ajoute le président du Conseil du trésor, Daniel Johnson, dont les propos sont rapportés dans les mémoires des délibérations du Conseil exécutif. Ces documents sont dévoilés à l’expiration du délai de 25 ans prévu en vertu de la loi québécoise sur l’accès aux documents.
Le ministre des Finances de l’époque, Gérard D. Lévesque, partage ses inquiétudes sur l’état des finances publiques avec ses collègues. « Pour janvier, les revenus ont été de 295 millions de dollars de moins que prévu et février s’annonce aussi désastreux », souligne-t-on. Désemparé, M. Lévesque « réclame l’aide de ses collègues » réunis autour de la table de la salle du Conseil des ministres — surnommée la « soucoupe volante » — du bunker de la Grande-Allée. « [Il] affirm[e] ne pas savoir quoi faire. » Dans son esprit, une chose est cependant claire : « il est nécessaire que tout le monde y passe ». « Jusqu’à présent, les seules clientèles qui ont été touchées sont les étudiants et les bénéficiaires de l’aide sociale », précise-t-il à ses collègues.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, le vétéran de la politique québécoise — qui présentera son 9e exposé budgétaire en sept ans le 20 mai — anticipe une amputation des paiements de péréquation du gouvernement fédéral en raison d’une surestimation de la population québécoise par Statistique Canada. Il appréhende un déficit de plus de 5 milliards de dollars.
Pour juguler l’hémorragie, M. Savoie y va d’une proposition étonnante. « Pour récupérer des sommes considérables, il suffirait de fermer le gouvernement pour une période de deux semaines », lit-on dans le compte-rendu des délibérations du 17 février. Une dizaine de länder en Allemagne et l’État de la Californie, aux États-Unis, ont opté pour cette « solution » radicale, fait-il remarquer.
L’idée « ne déplaît pas » au ministre délégué aux Affaires internationales, Guy Rivard. Le médecin soutient pour sa part que la Ville de New York est allée jusqu’à fermer les hôpitaux et les postes de police en 1980. Sans aller jusque-là, il se dit personnellement disposé à mettre la clé dans la porte des bureaux du gouvernement les vendredis durant les huit semaines de la période estivale.
M. Rivard propose également de resserrer le nombre de ministères et d’organismes publics et parapublics. Il cite en exemple la Société d’exportation des ressources éducatives du Québec (SEREQ), « dont il dit ignorer ce qu’elle fait, mais qui lui apparaît très utile pour caser du monde ».
Bourassa absent, mais contre
Le premier ministre Robert Bourassa, qui combat un cancer de la peau, est absent des délibérations sur le sujet. « Faut avoir travaillé avec M. Bourassa pour savoir qu’il n’aurait jamais [sérieusement envisagé de fermer le gouvernement,] un geste que j’aurais qualifié personnellement d’“extrême”, même 15 minutes. Tu ne fais pas ça. Ce sont des débats que tu as aux États-Unis », soutient son ex-directeur de cabinet, John Parisella, dans un bref entretien téléphonique avec Le Devoir, lundi.
« Aujourd’hui, quand on lit ça, c’est difficile de ne pas sourire », dit l’ex-ministre Raymond Savoie. Le président de l’entreprise pétrolière Gastem se rappelle des discussions « fréquentes » des membres du Conseil des ministres sur le budget. « On regardait beaucoup ce que les autres faisaient parce qu’on n’était pas le seul gouvernement dans cette position-là. Tout était sur la table en quelque sorte. Fermer le gouvernement, dans le temps, c’était possible. Aujourd’hui, j’en doute. Certainement pas les hôpitaux et les services de sécurité », souligne-t-il à l’autre bout du fil.
M. Rivard n’a pour sa part « zéro, zéro, zéro, zéro » souvenir d’avoir cautionné la suspension des services de l’État, même quelques jours par année. « Mais, c’était une période difficile, très très difficile », indique-t-il.
« Dette inacceptable »
Le Québec est alors dans le viseur des agences de notation. Le gouvernement dispose de deux mois pour agir pour éloigner le spectre d’une décote, avertit Daniel Johnson en février 1993.
Gérard D. Lévesque écarte finalement toute mesure controversée dans son discours du budget, le 20 mai. Il se rabat sur l’abolition ou la réduction de certains avantages fiscaux et une augmentation rétroactive de l’impôt des salariés ayant « une capacité de payer plus élevée ». Il réussit à contenir le déficit budgétaire du gouvernement du Québec à 4,1 milliards de dollars.
Néanmoins, les agences de notation Moody’s et Standard Poor’s revoient à la baisse la cote de crédit du gouvernement du Québec dans les semaines qui suivent. L’État québécois ne regagnera le terrain perdu qu’en 2017.
M. Lévesque convient que les gouvernements Bourassa I, Lévesque, Johnson et Bourassa II, qui se sont succédé aux commandes de l’État, ont obéré les finances publiques. « Nous avons construit une dette inacceptable depuis 20 ans.