Des indépendantistes sont tentés d’appuyer le NPD plutôt que le Bloc québécois aux prochaines élections. C’est à eux que je m’adresse ici et non aux électeurs fédéralistes, que le programme du NPD peut contenter, je suppose.
Le premier argument en faveur de cet appui d’indépendantistes au NPD est celui du vote « stratégique » pour renverser à tout prix le régime Harper et éviter que les conservateurs ne profitent de la division du vote pour se faufiler vers la victoire. Or, dans la plupart des circonscriptions du Québec, cette dernière possibilité est inexistante.
Les conservateurs ne sont arrivés au premier rang que dans 5 circonscriptions sur les 75 qui existaient en 2011. Le Québec en compte maintenant 78, et les 3 nouvelles ont été créées dans des régions à très faible électorat conservateur. Dans 8 autres comtés seulement, le candidat conservateur arrivait deuxième (souvent loin derrière le vainqueur). Dans les 65 circonscriptions restantes, le PC a dû se contenter de la troisième, quatrième ou cinquième position. Or, dans une course à trois partis ou plus, si ceux qui étaient les deux premiers conservent globalement leurs appuis, mais se les partagent différemment entre eux, celui qui était au troisième rang peut dans certains cas se faufiler au deuxième rang, mais jamais au premier. C’est une impossibilité arithmétique. À moins, bien sûr, que les appuis propres des conservateurs n’augmentent ; ce n’est pas ce que le plus récent sondage annonce au Québec.
Quand même, dans 13 circonscriptions sur 78, par contre, le vote bloquiste peut-il jouer en faveur des conservateurs ? Cela reste très théorique : on ne voit pas, par exemple, comment, même transféré entièrement au NPD, il pourrait empêcher la réélection du conservateur Maxime Bernier par la Beauce, qui a donné à ce dernier, en 2011, plus de voix qu’à ses cinq adversaires réunis. Ou influencer le résultat dans Mont-Royal, où la lutte se faisait en 2011 entre conservateurs et libéraux, avec le NPD très loin derrière et les bloquistes une rareté.
Personnellement, je crois préférable que chacun vote selon ses convictions, mais je peux comprendre les scrupules qui existent dans une poignée de comtés. Il appartient à ceux qui y résident de trancher leur dilemme, qui ne saurait inspirer un mot d’ordre adressé à tout le Québec. Dans l’écrasante majorité des circonscriptions, le slogan « Voter Bloc, c’est voter Harper » ne repose sur aucune réalité et doit être pris pour ce qu’il est : un attrape-nigaud.
Un deuxième argument se résume par la formule « l’indépendance se décidera à Québec ». D’abord, cela n’est pas vrai, et Jacques Parizeau l’avait bien compris, lui qui insiste dans son ouvrage La souveraineté du Québec sur le caractère crucial de la reconnaissance internationale pour le projet indépendantiste et qui n’a jamais ménagé son appui à la présence du Bloc à Ottawa, siège de toutes les ambassades et foyer de contact avec la plupart des organisations internationales.
Plus fondamentalement encore, le projet d’indépendance du Québec représente essentiellement la volonté que les Québécois gèrent eux-mêmes ce qui relève actuellement de la juridiction fédérale. Il serait paradoxal que le camp indépendantiste se désintéresse de ces mêmes questions au point de laisser en exclusivité à ses adversaires la capacité d’être informés des décisions fédérales avant même qu’elles ne soient prises, et de renoncer ainsi à pouvoir en alerter les Québécois et en débattre dans une perspective québécoise là même où se fait le débat, c’est-à-dire à la Chambre des communes. Au Parlement de Québec, on est la plupart du temps accaparé par les seules questions de juridiction « provinciale » et c’est normal.
Un gouvernement NPD, minoritaire ou majoritaire, ne sera pas sans risques pour le Québec. Songeons au passé assez troublant de son chef : Tom Mulcair ne fut pas simplement un avocat d’Alliance Québec, mais l’employé et conseiller juridique à temps plein de cet organisme voué à la destruction d’à peu près toutes les dispositions de la loi 101. Pensons à son attitude d’une ambiguïté éclairante sur le transit du pétrole albertain au Québec, inspirée manifestement par le désir de faire des gains électoraux dans l’Ouest. Les politiciens qui dans l’opposition combattent les riches et les puissants, mais changent de position rendus au pouvoir nous sont familiers. Que penser de ceux qui, même dans l’opposition, se montrent ambigus ?
En d’autres mots, il faut voir plus loin que le 19 octobre prochain : l’absence de tout point de vue québécois critique, indépendant d’intérêts pancanadiens, aux Communes, ne serait pas une bonne affaire pour la cause de l’indépendance ni, de façon plus générale, pour les intérêts du Québec. C’est sûrement ce qu’a conclu Gilles Duceppe et ce qui l’a amené à reprendre un combat dont, avec toute son expérience, il ne sous-estime pas la difficulté.
Dans une déclaration du 25 mars 2012, M. Mulcair présentait le rôle de son parti comme « un rempart contre la montée de l’option souverainiste au Québec ». Comme souverainiste, je ne vois pas en vertu de quelle logique je devrais participer à la construction de ce rempart.
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