Vérité et réconciliation

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Une vertu bien illusoire

Pendant des décennies, l’assainissement des moeurs électorales a été considéré comme une des grandes contributions du Québec au progrès de l’humanité, au même titre que Céline Dion ou le Cirque du Soleil. On célébrait la Loi sur le financement des partis politiques de René Lévesque dans les colloques internationaux, et les émissaires du Directeur général des élections (DGE) s’employaient à initier le reste de la planète aux bienfaits de la démocratie à la québécoise.
Le choc de la vérité est parfois brutal. Depuis l’automne, la commission Charbonneau avait déjà donné lieu à un impressionnant défilé de pommes pourries, mais le cas de Gilles Cloutier est quelque peu différent. Cet organisateur à la retraite qui était responsable du « développement des affaires » au Groupe Roche, puis chez Dessau, était un véritable technicien de la magouille électorale.
À l’entendre raconter sur le ton de la conversation comment il recrutait les prête-noms par centaines, transformait ni plus ni moins les municipalités en filiales d’une firme de génie-conseil, trafiquait la comptabilité, tripotait les bordereaux, on en avait des frissons. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si le gardien d’un camp de concentration expliquait en quoi consistait son travail aussi naturellement que s’il avait été plombier ou électricien.
Si Tony Accurso avait son yacht, M. Cloutier possédait une luxueuse résidence à Pointe-au-Pic, où défilaient - aux frais du Groupe Roche - maires, conseillers, directeurs généraux, souvent accompagnés de leurs conjointes, et autres invités de marque comme Guy Chevrette, alors ministre des Transports, ou encore Pierre Bibeau, de Loto-Québec.
Au Parti libéral du Québec, « personne ne savait qu’il était un organisateur clés en main », a soutenu le chef parlementaire du PLQ, Jean-Marc Fournier. Son collègue Sam Hamad, alors vice-président principal au Groupe Roche, devait quand même se douter des raisons pour lesquelles Marc-Yvan Côté, dont les méthodes étaient connues, l’avait recruté.
Sachant combien la famille libérale est tissée serré, comment Michelle Courchesne, que M. Cloutier dit connaître depuis les années 1980, pouvait-elle ignorer à quoi s’en tenir quand elle l’a invité à organiser la campagne de Guy Ouellette dans Chomedey en 2007 ?
Sans parler de Gérald Tremblay, qui demande à « Gilles » s’il est prêt à « donner un coup de main » à la campagne d’Union Montréal en 2001 et qui l’envoie voir « Frank » (Zampino), lequel s’empresse de lui réclamer une contribution de 100 000 $. De toute évidence, tout le monde savait de quel bois était fait « Gilles ».

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M. Cloutier a simplement dit tout haut et avec force détails ce qu’on sait depuis des années, c’est-à-dire que le financement populaire est devenu une fiction et que les partis politiques, qui comptent de moins en moins de membres, ont systématiquement recours au financement sectoriel.
Dans une entrevue accordée au Devoir en 2001, l’ancien ministre Yves Duhaime avait réclamé qu’on mette fin à « l’occultisme, pour ne pas dire la fraude, pour ne pas dire le vol ». Quand l’ancien DGE, Pierre-F. Côté, avait suggéré qu’on laisse les entreprises contribuer aux partis politiques plutôt que de fermer les yeux sur le viol systématique de la loi, sa proposition avait pourtant été accueillie par des cris de vierge offensée.
Dans le rapport qu’il avait publié en juin 2006, le juge Jean Moisan était arrivé à la même conclusion. « Au plan d’un sain réalisme, il est préférable de permettre des souscriptions corporatives [plutôt] que de fermer pudiquement les yeux sur une réalité évidente et se complaire dans une fausse vertu. Il me paraît clair que les personnes morales trouveront des moyens détournés pour contribuer au financement des partis qui soutiennent leur cause ou dont elles peuvent profiter pour la promotion de leurs affaires », pouvait-on y lire.
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Le Québec n’est évidemment pas la seule société aux prises avec la corruption, mais il s’est peut-être illusionné plus que d’autres sur sa vertu. La commission Charbonneau était indispensable, mais le choc de la vérité pourrait rendre plus difficile la réconciliation de la population avec son système politique, malgré les récents correctifs apportés aux règles de financement des partis.
Nos réactions collectives sont parfois excessives. La Révolution tranquille a indéniablement fait franchir un grand pas au Québec, mais le rejet de la « Grande Noirceur » a été si catégorique qu’une partie de notre héritage culturel et spirituel s’est perdue.
Au cours des dernières décennies, le Québec s’est doté d’un État qui lui a rendu de grands services et qui demeure essentiel à une nation dont la situation géopolitique est aussi exigeante. Il serait tragique que la population se désintéresse du service public sous prétexte que certains l’ont perverti. Il apparaît au contraire urgent de le réhabiliter.


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