Lu hier sur le compte Twitter d'une organisation de jeunes Libyens: «Ceux qui dénoncent aujourd'hui l'intervention militaire étrangère en Libye, où étaient-ils donc quand Kadhafi faisait venir des milliers de mercenaires au pays?»
La veille, une jeune femme avait écrit, également sur Twitter: «Nous, les Arabes, nous ne sommes pas habitués à ce que la communauté internationale vienne à notre secours et nous aide à devenir libres.»
Des réflexions de ce genre, il en pleut sur le web depuis que le Conseil de sécurité a voté la résolution qui l'autorise à recourir à «tous les moyens nécessaires» pour protéger la population libyenne contre la férocité de Mouammar Kadhafi.
Entendre des voix arabes se réjouir alors que des avions français et américains bombardent un pays du Moyen-Orient, voilà un phénomène unique dans l'histoire. Et c'est l'une des raisons qui distinguent l'opération appelée pompeusement «l'Odyssée de l'aube» d'autres interventions militaires de la dernière décennie.
Ce n'est pas la seule. Car contrairement à l'Irak, où l'on avait plaidé la présence des armes de destruction massive et des liens jamais avérés avec Al-Qaïda pour justifier la guerre, la menace qui pèse sur les insurgés libyens est non seulement réelle, mais aussi clairement affirmée par le «guide» libyen.
Cette fois, l'action a aussi une légitimité internationale, avec le vote du Conseil de sécurité. Et puis, les insurgés dans l'est de la Libye, et même la Ligue arabe, avaient appelé le monde à intervenir pour sauver des vies. On n'avait vu ça ni en Irak ni en Afghanistan, où plusieurs ont acclamé après coup la chute de leurs tyrans - mais n'avaient rien tenté, ni demandé, avant.
Mais de là à conclure que nous sommes devant une nouvelle sorte d'intervention militaire, juste et sans risques de dérapage, il y a un grand pas. Déjà, quelques principes qui devaient sous-tendre cette intervention ont été ébréchés au cours du week-end.
Les États-Unis étaient censés jouer un rôle discret en Libye. Ça n'a pas été le cas. Leurs missiles Tomahawk se sont massivement abattus autour de Tripoli. Trop, clame la Ligue arabe, qui avait appelé à l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne pour protéger les civils - et qui trouve que les alliés vont trop loin. Et craint de se retrouver en pleine guerre, avec des victimes civiles des deux côtés.
Les armées occidentales en ont-elles vraiment trop fait? C'est difficile à dire en ce moment. Y a-t-il eu des pertes civiles à Tripoli? C'est ce que prétend le régime Kadhafi. Mais au moment d'écrire ces lignes, aucun média d'information digne de ce nom n'avait pu vérifier cette allégation. En revanche, un responsable de la coalition a confirmé hier soir qu'un complexe de Kadhafi en plein centre-ville de la capitale a été touché, supposément parce qu'il abritait un centre de commandement militaire. Ce qui augmente la probabilité de victimes chez les civils.
Les jours qui viennent permettront de mieux évaluer les critiques de la Ligue arabe - qui pouvaient aussi répondre à des raisons diplomatiques internes. Chose certaine, la solidarité internationale qui avait légitimé cette opération militaire est extrêmement fragile.
Cela dit, il y a des risques inhérents à cette intervention - qu'elle soit plus intense que prévu ou pas. Des questions graves se posent aujourd'hui. L'une de ces questions porte sur l'objectif poursuivi par les alliés. Selon la résolution du Conseil de sécurité, on cherche à protéger les civils et à établir un cessez-le-feu.
Mais peut-on atteindre cet objectif sans renverser Mouammar Kadhafi? Les alliés ne seront-ils pas entraînés, par la force des choses, à poursuivre un autre but: celui d'un changement de régime à Tripoli?
Et s'ils n'y arrivent pas, que feront-ils? Si le régime se replie sur l'ouest du pays, va-t-on se contenter de «sauver» la population de l'Est, et livrer les insurgés de l'Ouest à l'homme qui les voit comme des coquerelles et serait ravi de les écraser? Va-t-on accepter que le pays se casse en deux? Et comment les intérêts pétroliers influenceront-ils alors les décisions internationales?
Bref: quand donc «l'Odyssée de l'aube» aura-t-elle atteint sa cible? C'est loin d'être clair. Et le risque d'enlisement est réel.
L'autre question porte sur l'impact de l'intervention sur la garde rapprochée de Kadhafi. Plus on frappe fort, plus celle-ci pourrait être tentée de resserrer les rangs autour de son «guide», croient plusieurs experts. Mais l'effet contraire est également possible...
«Il est facile de savoir pourquoi nous faisons tout ça, mais plus difficile de savoir où ça va nous mener», a dit hier Robert Malley, responsable du programme du Moyen-Orient au sein de l'International Crisis Group, dans une entrevue à CNN. Puis il a ajouté: «Nous savons ce que nous voulons prévenir, mais nous ne savons pas vraiment ce que nous voulons réaliser.»
Difficile de mieux résumer la situation.
Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca
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