Pendant que les positions se polarisent dans le cadre du débat sur l’article premier du programme du Parti Québécois, des militants ressortent de leurs cartons une proposition publiée dans L’Action nationale du mois de mars 2010, sous la signature de l’avocat en droit constitutionnel André Binette.
Intitulée Une autre stratégie d’accession à la souveraineté du Québec, la « proposition Binette », comme on la désigne familièrement, aurait l’avantage selon certains de concilier les vues des indépendantistes et des autonomistes.
Ayant appris qu’André Binette avait raffiné la position développée dans L’Action nationale, l’aut’journal l’a rencontré pour faire le point.
Le « plan A »
D’entrée de jeu, André Binette tient à préciser que sa stratégie alternative est un « plan B ». « Mon ‘‘ plan A’’, nous confie-t-il, est toujours la stratégie du référendum de 1995, mais avec certaines bonifications qui découlent du jugement de la Cour internationale de justice sur le Kosovo. »
Dans une analyse de ce jugement – disponible sur le site de l’aut’journal – André Binette démontre le précédent majeur favorable à la légalité d’une future déclaration unilatérale d’indépendance du Québec que constitue ce jugement. Il écarte complètement la pertinence de la Constitution canadienne ou de la Loi sur la clarté dans l’évaluation d’une éventuelle déclaration unilatérale d’indépendance au regard du droit international.
« Avec le jugement sur le Kosovo, la reconnaissance de l’indépendance du Québec n’est plus une affaire interne au Canada, mais bien de la communauté internationale. Il est donc important d’internationaliser le processus, comme Gilles Duceppe a entrepris de le faire avec son discours à Washington et sa rencontre avec les ambassadeurs à Ottawa », nous précise André Binette qui a été fonctionnaire au Conseil exécutif du gouvernement du Québec pendant l’année référendaire (1995) et membre d’une équipe de fonctionnaires chargée de la réalisation technique de la souveraineté.
À son avis, une deuxième bonification nécessaire par rapport à 1995 est la nécessité de poser une question uniquement sur la souveraineté. « Je dis cela, non pas à cause de la Loi sur la clarté, mais parce que cela faciliterait la reconnaissance internationale. »
Le « plan B »
Pourquoi alors un « plan B » ? « Parce qu’il faut tenir compte de certaines réalités », nous répond le constitutionnaliste qui est aussi un fin observateur de la scène politique. « Les sondages donnent de 40 à 45% d’opinions favorables à la souveraineté. C’est remarquable dans le contexte actuel. Ça témoigne de la vitalité de l’idée. Cela nous impose deux obligations : 1) nous avons le devoir de continuer; 2) nous n’avons pas le droit de manquer notre coup. »
Il poursuit : « Nous avons le devoir de reprendre l’initiative et de rompre avec l’‘‘attentisme des conditions gagnantes’’ . Et le débat en cours – qui est très sain – montre qu’on en est en train de reprendre l’initiative. »
Alors que faire lorsqu’il n’y a pas de majorité pour l’indépendance? Que faire avec 40% de souverainistes, 40% de fédéralistes et un 20% qui vacille entre les deux?
André Binette nous fait remarquer qu’il n’y a pas de majorité pour le statu quo. « Ce 20% entre les deux, il est autonomiste. Les sondages démontrent qu’on peut rallier une majorité de 60% favorable au rapatriement de certains pouvoirs importants pour le Québec, comme de conférer à l’Assemblée nationale la possibilité de créer une citoyenneté du Québec, d’exercer une pleine compétence en matière de langue et de culture ou encore en matière de fiscalité et de taxation. »
Il enchaîne : « Nous sommes des démocrates. Nous voulons exprimer la volonté populaire ». Et, dans cette perspective, pour rallier indépendantistes et autonomistes, il propose le plan suivant.
Une Assemblée constituante
« Après l’élection d’un gouvernement du Parti Québécois, il y aurait mise sur pied d’une Assemblée constituante formée des 125 députés de l’Assemblée nationale et des 75 députés du Québec à Ottawa. »
Cette assemblée serait chargée de recueillir l’opinion des Québécoises et de Québécois sur les pouvoirs à réclamer d’Ottawa. La forme que prendrait cette consultation reste à définir. Mais elle pourrait, selon André Binette, s’inspirer de la Commission sur l’avenir du Québec mise sur pied par Jacques Parizeau en 1995.
« Au terme de la consultation, l’Assemblée constituante pourrait formaliser une série de revendications adressées au Canada et appuyer ses demandes par la tenue d’un référendum », précise-t-il.
André Binette insiste sur la différence qui existerait alors avec le contexte des référendums de 1980 et 1995. « Ottawa ne pourrait rejeter a priori toute négociation. Dans son Renvoi sur la sécession, rendu en 1998, la Cour suprême impose au gouvernement canadien une obligation de négocier », déclare celui qui a été le principal rédacteur du mémoire de l’amicus curiae, Me André Joli-Cœur, sur les questions de fond en droit constitutionnel et international lors de l’audition de cette cause.
Bien que la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit un délai de trois ans pour la négociation – comme ce fut le cas lors de l’Accord du Lac Meech – André Binette est d’avis qu’il faudra éviter de se laisser entraîner dans des négociations sans fin et fixer un délai d’un an.
« Après un an, si les négociations n’ont rien donné, on tient un référendum sur la souveraineté. Bien sûr, il faudra changer la loi sur les consultations populaires qui n’autorise la tenue que d’un référendum par mandat, mais ça se fait. »
« Cette négociation aura permis au Québec de démontrer sa bonne foi au monde entier en exprimant ses aspirations légitimes et sa volonté d’en arriver à un règlement négocié à l’intérieur de la fédération canadienne avant de se résoudre à passer à la souveraineté », tient à ajouter un André Binette qui considère comme capitale l’opinion de la communauté internationale.
Pendant cette année de négociations, qu’est-ce qu’on fait? On regarde le temps passer en se croisant les bras? « Au contraire, affirme-t-il, l’Assemblée constituante siège en permanence et prépare la Constitution d’un Québec souverain et toutes les études nécessaires à l’accession à la souveraineté en s’inspirant possiblement de la Commission Bélanger-Campeau », explique celui qui a été membre du secrétariat de cette commission.
Pourrait-il arriver qu’Ottawa réponde favorablement aux demandes du Québec? André Binette n’y croit pas trop. « Et même si cela se produisait, je ne pense pas que ça briserait l’élan vers la souveraineté. C’est une aspiration trop profonde. »
Mais la perspective la plus probable, selon lui, est que la machine fédéraliste soit paralysée. « Utilisons les techniques du judo, lance-t-il. Servons-nous de la paralysie constitutionnelle que Trudeau a imposée à l'ensemble du Canada pour reprendre et conserver l'initiative des événements jusqu'à l'accession à la souveraineté. »
« L'incapacité de l'État canadien de répondre favorablement aux demandes légitimes et consensuelles du peuple québécois, souligne-t-il, découle en grande partie de la rigidité de la Constitution de 1982, qui a rendu le fédéralisme renouvelé presque impossible à réaliser. Le rejet prévisible des demandes du peuple québécois justifiera la tenue d'un ultime référendum sur la souveraineté. Pour ma part, je crois le fédéralisme renouvelé conforme aux attentes des autonomistes québécois plus difficile à réaliser que la souveraineté, ce qui explique d'ailleurs l'absence totale de proposition de réforme constitutionnelle dans le camp fédéraliste depuis de nombreuses années. Les fédéralistes n'ont plus rien à offrir sinon la marginalisation du Québec et la négation de la souveraineté. »
La « proposition Binette »
André Binette aimerait bien que sa stratégie soit mise au jeu lors des délibérations qui vont mener au congrès du Parti Québécois. Aussi, nous lui avons demandé de formuler une proposition en ce sens qui serait recevable comme amendement à la Proposition principale.
Il s’est prêté au jeu et en voici la teneur.
« Un gouvernement du Parti Québécois s’engage, au lendemain de son élection, à mettre sur pied une Assemblée constituante formée des 200 députés du Québec (125 de l’Assemblée nationale et 75 au Parlement fédéral).
« Cette Assemblée constituante aurait pour mandat de définir, après consultation avec la population, les pouvoirs que le Québec veut rapatrier d’Ottawa, si besoin est en appuyant ses demandes par un référendum.
« Pendant les négociations avec Ottawa, l’Assemblée constituante siègerait en permanence et préparerait la Constitution d’un Québec indépendant et les études, travaux et lois nécessaires pour assurer la transition vers la souveraineté.
« Au terme d’un délai d’un an, si les demandes du Québec sont rejetées, l’Assemblée constituante proposerait la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Québec. »
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M. Binette est membre du C.A. des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), mais ses propos constituent une prise de position personnelle dont il prend l'entière responsabilité.
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