« Soyons clairs. Si cet amendement est adopté, il n’y aura pas d’entente de libre-échange avec l’Europe », affirmait le ministre Jean-François Lisée, au micro, sur le plancher du Conseil national du Parti Québécois du samedi 11 mai.
Le ministre Lisée réagissait à l’amendement proposé par Marc Laviolette du SPQ Libre à la proposition de l’Exécutif national sur le traité de libre-échange du Canada avec l’Europe, dont on nous prédit qu’il pourrait faire l’objet d’une entente avant la fin du mois du juin.
La proposition se lisait comme suit :
« Le Conseil national recommande à l’aile parlementaire du Parti Québécois de réaffirmer l’importance de la conclusion de l’AECG, en faisant preuve d’une grande vigilance dans le but de préserver les intérêts et les pouvoirs du Québec, notamment dans les domaines de l’agriculture (la gestion de l’offre), des marchés publics, des politiques sociales, de la culture et du patrimoine. »
L’amendement Laviolette proposait d’étendre la vigilance à la présence éventuelle d’une disposition qui permettrait, comme dans le cas de l’ALENA, aux entreprises de poursuivre les gouvernements.
L’amendement se lisait comme suit :
« Après les mots ‘‘ du patrimoine’’, ajouter : ‘‘et que l’accord n’inclut pas de dispositions, tel l’article 11.10 de l’ALENA sur la protection des investissements, dans les accords négociés’’ ».
Pour appuyer la nécessité de cet ajout, Marc Laviolette a invoqué les propos de Jacques Parizeau, condamnant le Chapitre 11 de l’ALENA, et il a rappelé différents cas où les entreprises ont eu gain de cause contre les gouvernements canadiens.
Il a mentionné le cas de la compagnie Ethyl qui a obtenu, pour une plainte déposée en 1997, 13 millions de dollars en compensation du gouvernement canadien, parce que celui-ci avait interdit un additif dans l’essence qui endommageait les convertisseurs catalytiques.
Marc Laviolette a aussi cité le cas d’Abitibi-Bowater où le gouvernement canadien a dû verser 130 millions de dollars en dédommagement à la compagnie enregistrée au Delaware pour l’expropriation de ses actifs par le gouvernement de Terre-Neuve.
En appui à l’amendement, le député Daniel Breton a également mentionné le cas de la firme américaine Lone Pine Resources Inc. qui poursuit le gouvernement canadien et exige des compensations de 250 millions de dollars, par suite de la décision du gouvernement du Québec d’imposer un moratoire sur la fracturation dans l’exploitation du gaz de schiste.
Paul Crête, membre de l’exécutif national, a rappelé, toujours en appui à l’amendement, que l’appel à la vigilance était tout à fait approprié dans la perspective de la défense de la souveraineté des nations, étant donné que des multinationales avaient des chiffres d’affaires supérieurs au budget du gouvernement du Québec.
Deux ministres contre l'amendement
Les ministres Jean-François Lisée et Nicolas Marceau se sont pointés au micro pour faire battre l’amendement, en argumentant que les dispositions ayant présentement cours dans des traités internationaux pour protéger des investissements étaient moins contraignantes que le Chapitre 11 de l’ALENA et qu’une telle disposition était néanmoins importante pour protéger les investissements canadiens et québécois à l’étranger.
Reprenant la balle au bond, Pierre Dubuc a voulu faire valoir, en appui à l’amendement, que si le texte sur les investissements étrangers de l’entente Canada-Europe était moins contraignant que le Chapitre 11 de l’ALENA, les ministres Lisée et Marceau pouvaient appuyer sans problème l’amendement Laviolette, d’autant plus que les deux ministres étaient informés, de par leur position, de la teneur du projet d’entente.
La présidente d’assemblée est alors brutalement intervenue, en vertu d’on ne sait trop quelle logique, pour interrompre Pierre Dubuc, en déclarant hors d’ordre toute référence à « des négociations secrètes dans lesquelles des ministres étaient impliqués » (!?!).
Les interventions des ministres, particulièrement celle de Jean-François Lisée déclarant qu’il « n’y aura pas d’entente si cet amendement est adopté », et la très grande nervosité de la direction du parti qu’exprimait la présidente d’assemblée, ne font que confirmer que tout porte à croire qu’une disposition similaire au chapitre 11 de l’ALENA est présente dans le projet d’entente du traité de libre-échange Canada-Europe.
Des présentations euphoriques
L’assemblée a voté aux deux tiers contre l’amendement. Comment expliquer ce vote? L’intervention de la députée Jeannine Richard des Îles-de-la-Madeleine contre l’amendement l’explique en grande partie. Elle a déclaré qu’elle voterait contre l’amendement parce qu’elle n’en comprenait pas les enjeux. Nul doute que plusieurs des délégués étaient dans la même situation.
Malheureusement, les présentations ministérielles précédant le débat sur ces propositions n’avaient rien pour éclairer la lanterne des délégués. Le ministre des Finances Nicolas Marceau y allé d’un laïus complètement euphorique, sans aucune mise en garde, en faveur de l’AÉCG.
Après les considérations générales habituelles sur le « plus grand accès à un marché de 500 millions d’habitants », il a cité deux exemples d’exportations manufacturières qui seraient favorisées par cette entente.
Les exportations de motoneiges et de l’aluminium brut bénéficieraient de l’abolition d’un droit de douane de 7% et 3,7% respectivement. L’Europe est sans doute un grand marché potentiel, dont on ne soupçonnait pas l’existence, pour nos motoneiges, mais permettez que l’on s’étonne de voir un ministre des Finances élevé au rang de produits manufacturiers les lingots d’aluminium!!!
De plus, il serait étonnant que l’abolition d’un tarif de 3,7% ait un effet majeur sur l’exportation des produits de nos alumineries. Plus important, et de loin, est l’appréciation de plus de 40 % du dollar canadien par rapport au dollar américain au cours des dix dernières années, à cause en grande partie de l’exploitation des sables bitumineux!
Moins de « flattage de bedaines »
S’ils avaient voulu vraiment faire œuvre de pédagogues, les ministres Lisée et Marceau auraient expliqué aux délégués les véritables enjeux de cet accord.
Le ministre Marceau a évoqué le fait que l’accord permettrait une plus grande mobilité de la main-d’œuvre. Mais on aurait aimé qu’il en explique la signification concrète pour le Québec, alors que des millions d’Européens cherchent présentement à fuir le chômage qui atteint des sommets inégalés dans plusieurs pays.
Parmi les autres dispositions qui auraient mérité des explications, on peut mentionner celles qui, selon les derniers rapports, font l’objet de négociations intenses.
Par exemple, quel serait l’effet sur l’industrie fromagère naissante du Québec de la volonté du gouvernement Harper de laisser entrer au Canada et au Québec plus de fromages européens en échange d’une plus grande ouverture du marché européen au bœuf de l’Ouest?
On aurait pu aussi expliquer quelle serait la position du Québec si Ottawa cède aux revendications européennes sur les brevets pharmaceutiques, ce qui aurait pour effet d’entraîner une sérieuse augmentation du prix des médicaments.
Ce ne sont là que deux exemples. Nous pourrions en citer plusieurs autres.
À ce Conseil national, moins de présentations de « flattage de bedaines » sur nos succès au plan international, et plus d’informations sur les enjeux concrets actuels auxquels le Québec aura à faire face aurait été de mise.
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