Le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui.
Proverbe arabe
Le texte de Marc Chevrier publié en page A-7 dans le journal Le Devoir du 29 janvier 2013 nous invite à réfléchir sur le sens et la portée de la possession territoriale comme principale source du pouvoir.
En géopolitique, un pouvoir est complètement dans ses communications, toutes ses communications : territoriales, techniques et intersubjectives.
En conséquence, quiconque veut le pouvoir accapare un et souvent plusieurs territoires, prend le contrôle sur toutes les techniques et adopte un langage que ne connaissent pas la vaste majorité des gens.
Car le pouvoir est aussi un langage. Par exemple, en Europe, après l’invention de l’imprimerie et la traduction de la Bible par Martin Luther, les princes allemands se sont accaparés de cette nouvelle langue formelle qu’on appelle le Hochdeutsch, le haut allemand ou allemand savant, pour en faire une langue d’État que les gens ordinaires comprennent difficilement.
Le français est aussi une langue formelle, de même que l’hébreu et le mandarin. L’anglais, issu du bas allemand, le Plattdeutsch, langue des Saxons, encore parlée en Allemagne notamment dans le nord, est devenu langue formelle sous la domination normande qui débuta avec la victoire de Hastings en 1066. Le latin, le grec classique et le français ont alors pénétré l’anglais, qui est devenu langue d’État comme le français.
Une langue d’État est formelle. C’est une langue écrite. Comme la vaste majorité des gens ne sait pas écrire, alors le pouvoir reste réservé aux quelques « élus » qui savent écrire ou à défaut, ce qui arrive assez souvent, se servent des lettrés qu’ils accaparent et mettent à leur service. J’en sais quelque chose, ayant été officier d’État-major dans l’armée.
Ces quelques considérations vont mieux nous permettre de cerner les assises du pouvoir réel dans l’Empîre britannique et le Commonwealth qui l’a suivi. A Ottawa, on commence à se rendre compte que la reconnaissance du français est en passe de devenir une importante source de pouvoirs additionnels, parce que le français est une langue plus formelle que l’anglais.
Le veto symbolique et réel, de Sa Majesté, la reine Élizabeth Deux, reine d’Angleterre, du Canada et du Commonwealth, dont parle Marc Chevrier dans son article, occupe une position centrale en géopolitique. Il s’agit du droit de regard et de désaveu du possédant de droit (de jure) du domaine, ceci par opposition aux droits et non pouvoirs des occupants du territoire, qui demeurent des squatters, quelle que soit la somme de travail fournie pour changer leur statut collectif et devenir possédants en titre à leur tour.
Sauf que cette situation n’est pas impossible. La conquête du statut de possédant de jure comme de fait est possible pour le Québec comme aux autres provinces d’empire qui évoluent dans l’espace continental canadien. Les facteurs qui influencent ce devenir sont brièvement expliqués dans Géopolitique et avenir du Québec.
On peut comparer le pouvoir du possédant de jure au pouvoir du propriétaire en titre face à son locataire. Que le locataire ait des droits, ce qui est indiscutable maintenant avec la croissance de la démocratie, ces droits ont pour but de protéger ses privilèges en tant que locataire. Le pouvoir est détenu par le propriétaire, qui peut toujours décider ce qu’il veut pour son profit sans consulter son locataire.
Mais les choses changent, direz-vous. Certes, l’État, à mesure qu’il devient plus démocratique, adopte des mesures qui protègent davantage les droits de l’occupant du domaine ou du territoire. Mais les pouvoirs essentiels demeurent entre les mains du détenteur des titres, de la Reine et de ses « représentants », en l’occurrence la bourgeoisie et surtout l’oligarchie en place, qui l’exploitent à leur profit.
Prenons l’exemple de Mirabel au Québec. Une population locale est brutalement dépossédée par un ordre arbitraire en provenance d’Ottawa, donc de l’oligarchie, toujours au nom de Sa Majesté la reine.
La population n’y peut rien. Elle n’a aucun titre sur le territoire, même lorsque les habitants de la place sont propriétaires en bonne et due forme des propriétés dont ils détiennent les titres.
Sauf que ces titres ne valent rien lorsque le détenteur du seul titre qui compte sur tout le territoire arrive et s’impose. Ce détenteur des seuls titres valables sur tout le territoire, c’est nul autre que Sa Majesté Élizabeth Deux, reine d’Angleterre, du Commonwealth et du Canada.
Vous ne le croyez pas ? Regardez les effigies sur la monnaie canadienne et sur les timbres. C’est le visage de la Souveraine, le détenteur du seul titre qui compte sur le territoire, sauf que Sa Majesté, par l’entremise de son « bon » gouvernement, vous permet d’occuper un espace sur « son » territoire, par « bonté, candeur, grandeur et mansuétude ». Elle vous permet de vous y installer et y vivre. Bien entendu, de tels privilèges méritent une déférence de notre part.
En face de la Reine comme possédante de jure de tout le territoire, les habitants n’ont aucun recours juridique et ne pourraient non plus se présenter devant les instances internationales qui reconnaissent la Reine Elizabeth Deux comme possédante de jure du territoire du Canada.
Le Canada Act du 17 avril 1982 n’a rien changé à ces dispositions, sinon de renforcer les pouvoirs territoriaux de l’oligarchie canadienne, coiffés de l’euphémisme de « rapatriement de la Constitution » et croira qui voudra.
Originellement, le transfert des titres de la France à l’Angleterre sur le territoire du Canada date du traité de Paris du 10 février 1763. Il assure l’autorité et la continuité de la Monarchie anglaise devenue seule détentrice de ces titres, et par conséquent en pleine possession des pouvoirs politiques et économiques qui en résultent. Sauf que le Canada est un véritable continent avec une géographie qui commande des politiques qui ne sont pas nécessairement d’accord avec les titres officiels.
Ce n’est pas une question d’émotions ou de sentimentalité. C’est la Réalité qui s’impose comme un mur qu’on ne voit pas et dans lequel on se frappe la tête.
Ce système de domination par le moyen des titres territoriaux est cependant plus efficace que les autres, dont la « dictature du prolétariat », qui place entre les mains d’une nomenklatura inepte un pouvoir tout aussi arbitraire et potentiellement brutal à l’extrême et qui prétend gouverner pour le peuple et par le peuple.
En somme, si la domination que nous subissons depuis 253 ans est souvent perçue comme un mal, elle est un moindre mal et son pouvoir est demeuré limité par la géographie et l’histoire, notamment l’histoire des guerres de l’Angleterre contre les Yankees et plus tard contre les Américains, qui se sont ajoutées aux guerres européennes et aux guerres coloniales. L’armée britannique ne pouvait pas être partout.
Bien entendu, le salut du Québec viendra par le moyen d’une authentique République sauf que nous n’en sommes pas arrivés là. Il y a encore du travail à faire.
Une République n’est possible qu’avec une population instruite, avisée, déterminée, consciente et agissant d’un seul tenant. Car un État républicain EST une conscience que partagent tous ses citoyens.
Dans une Monarchie même « constitutionnelle », protectrice de l’oligarchie en place, la conscience émane du sommet de la société. Dans une authentique République, la conscience est partagée par tout le monde.
Les pouvoirs, qui partent de la possession territoriale de droit comme de fait ; la conscience qu’ils génèrent, ne sont écrits nulle part dans aucune langue. Ce sont des lois de l’existence et des exigences du progrès, qui sont écrites dans le cœur de chacun et chacune.
La stratégie exige que pour réussir, nous devons agir à partir de ce qui est fait, du fait accompli, dans son contexte. Marc Chevrier démontre que les pouvoirs de Sa Majesté la reine sont réels, sauf qu’ils ne sont pas perpétuels et demeurent limités et transitoires, dans le temps comme dans l’espace. À nous d’en faire notre affaire.
Comme beaucoup le savent, le pouvoir s’exerce discrètement et subtilement, parce qu’il fait appel d’une part à l’Esprit, inorganique par nature, en même temps qu’à l’univers concret et matériel.
Le pouvoir ne s’écrit pas : il agit et s’accomplit. En fait, tout pouvoir réel, comprenant le pouvoir des personnes sur les autres et sur les événements, ne s’exerce que dans la mesure de sa discrétion. Les écrits sont des à posteriori et non des à priori des pouvoirs existants. Exception faite des « Enactments » qui traduisent en Acte ce qui existe déjà comme potentiel.
Le texte de Marc Chevrier s’accorde avec les thèses de la géopolitique, portant sur les statuts de fait (de facto) et de droit (de jure) des peuples et des nations du monde, lesquels progressent lentement, souvent péniblement vers le statut reconnu d’État, de droit comme de fait.
JRMS
Territoires et pouvoirs de S.M. Elizabeth II
Tribune libre
René Marcel Sauvé217 articles
J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en E...
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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
13 février 2013Vous êtes partisan du serment du jeu de paume Me Cloutier.
Quest-ce qui est arrivé aux débuts la révolution, alors que le serment du jeu de paume devait
apporter avec la Constitution, un ordre nouveau et une paix nouvelle en France?
La Constitution devait apporter un ordre nouveau dans le pays. N'est-ce pas plutôt le contraire: l'homme nouveau d'abord, la Constitution ensuite?
Comme l'existence est relation en acte et en puissance, les statuts de fait précèdent les statuts de droit écrits dans une Constitution.
Et les statuts de fait procèdent des dispositions intérieures des peuples et des nations, non l'inverse.
De là l'importance de la géopolitique et des principes qui gouvernent la genèse, la croissance et la maturation des sociétés humaines vers les statuts reconnus d'États.
JRMS
Archives de Vigile Répondre
13 février 2013Monsieur Cloutier vous tenter de nous faire croire qu'Hitler a été élu démocratiquement sans tricherie et sans argent par les citoyens ???
C'est faux Hitler n'a pas été élu démocratiquement par le peuple, il a été mis en place par l'oligarchie!
Le maréchal Hindenburg, élu président de la République, en 1932, avec le soutien du Parti social-démocrate, a NOMMÉ Hitler au poste de Chancelier du Reich.
http://french.irib.ir/info/economie/item/242288-nazisme-et-grand-capital,-par-jean-pierre-dubois
Archives de Vigile Répondre
10 février 2013Tout ce pouvoir que vous décrivez tire sa source dans la constitution du Canada, qui regroupe un ensemble de lois votées par le Parlement britannique entre 1867 et 1982, au nom de sa Majesté, qui elle tient son pouvoir de Dieu. Que faire contre une personne qui tient son pouvoir de Dieu? Tout cela n'est que pure folie. Y-a-t-il déjà eu une société plus inégalitaire, bourgeoise, oligarchique que la société britannique?
Une constitution c'est le droit du droit et il appartient aux citoyens eux-même de l'écrire pour se protéger des abus de pouvoir des oligarchies financières, économiques et politiques (les élus).
Et il ne faut surtout pas confier le pouvoir d'écrire cette constitution aux élus qui ont toujours conservé jusqu'à maintenant ce pouvoir d'écrire les règles du pouvoir. Tant et aussi longtemps que les élus conserveront le pouvoir d'écrire le droit du droit, ils le feront pour eux-mêmes, pour préserver leurs privilèges et se maintenir au pouvoir, qu'ils s'appellent Harper, Mulcair, Charest, Legault ou Marois etc.
C'est ce que les Républicains français et américains (la nouvelle classe des riches marchands) ont fait il y a plus de 200 ans et on voit aujourd'hui le résultat dans cette fausse démocratie de merde dans laquelle nous sommes obligés de vivre.
C'est l'aspect le plus important de notre lutte de libération nationale : l'indépendance de la patrie, certes, mais également et surtout une constitution écrite PAR et POUR les citoyens à l'exclusion des élus.
Il ne suffit pas de proclamer la république. Il s'agit ici de construire ici une véritable démocratie dans laquelle les citoyens seront eux-mêmes au pouvoir et voteront eux-mêmes les lois auxquelles ils accepteront de se soumettre. Et tout cela ne peut se faire que par le tirage au sort, à l'exclusion de l'élection.
C'est la vieille question posée par Aristote : qui contrôle l'État et au profit de qui?
Moi je dis simplement que l'État doit être contrôlé effectivement - c'est le mot clef - par les citoyens et pour les citoyens et non pas par et pour des représentants élus qui finissent inévitablement par les trahir en dérivant à coup sûr vers l'oligarchie, qui est la collusion entre le pouvoir économique et politique. La source du mal c'est l'élection.
Vos thèses sur la géopolitique et l'État sont super intéressantes, mais il faut comprendre que l'État n'est pas une pure abstraction et qu'il est contrôlé de facto et de jure par une petite élite de représentants élus. Il ne faut jamais oublier que Mussolini (un ancien membre du Parti socialiste italien) et Hitler ont été élus et que les fascistes ont pris le contrôle de l'État par l'élection.
C'est surtout cela que je remets en cause. C'est ce dogme que j'attaque et c'est cette dimension qui manque dans votre analyse.
Il n'y pas de place, autre qu'électeur sporadique, pour les citoyens dans les institutions qu'on désigne faussement comme "démocratiques" et qui ne sont en réalité que des institutions oligarchiques. Il ne faut jamais confondre démocratie et gouvernement représentatif. Jamais, car c'est précisément ce que les oligarques ont fait en s'emparant, entre autres, du mot "démocratique" même pour le travestir et l'annexer avec le résultat que l'on connait.
Il faut remettre les citoyens au pouvoir et retourner les politiciens professionnels chez eux. Allez ouste, disparaissez!
Il en va de la survie d'une véritable démocratie authentique.
Ce sont les citoyens qui doivent faire eux-mêmes les lois, dont la plus importante est la "loi des lois", la constitution. Pas les politiciens professionnels élus.
Je ne veux pas être grossier, mais comme dirait la chanteuse acadienne Linda Leblanc : "Notre (fausse) démocratie, c'est de la marde". On le voit à tous les jours.
Pierre Cloutier