Sottises et sophismes

La nation québécoise vue du Canada


Les libéraux fédéraux ont rendu un grand service à l'humanité en jetant aux orties leur propre résolution sur la "nation". Cela nous épargnera d'entendre d'autres sottises sur la question.
Car des sottises, dieu sait s'il s'en est dites depuis une semaine! Le malheureux public a dû assister aux douloureuses contorsions de Gilles Duceppe, il a dû écouter les propos incohérents du ministre Cannon, chargé d'"éclaircir" (!) à l'intention des francophones la motion sur la notion de nation, avant de se faire infliger un débat particulièrement infantile à l'Assemblée nationale sur le degré de plaisir qu'il faudrait ressentir à cette grande avancée dans l'univers subtil de la sémantique: faut-il s'en "réjouir", comme le veut M. Charest, ou simplement la "constater", comme le veut M. Boisclair? Grave question, mes amis.
Le malheureux public a également dû assister à la quatrième volte-face de M. Ignatieff, l'apprenti sorcier qui s'est brûlé les doigts en jouant avec les allumettes nationales.
Premier acte: M. Ignatieff se vante d'être à l'origine de la reconnaissance du Québec.
Deuxième acte: la marmite commençant à chauffer au Canada anglais, il se fait tout petit, en disant que ce n'est pas lui mais l'aile québécoise du parti qui a parti le bal.
Troisième acte: M. Harper présente sa motion sur la nation. Se croyant vengé, M. Ignatieff recommence à plastronner.
Quatrième acte, le clou: à la Chambre des communes, M. Ignatieff vote pour une définition ethnique de la "nation" (voir la version anglaise de la résolution), lui qui a écrit tout un bouquin (Blood and Belonging) pour dénoncer le nationalisme ethnique!
Mais l'on s'en voudrait de ne pas féliciter, également, MM. Rae et Dion pour leur beau programme. Tous les deux se sont prononcés en faveur de la résolution, même s'il y a des mois qu'ils proclament sur toutes les tribunes qu'il ne faut pas rouvrir la boîte de Pandore.
Et que dire du Parti libéral du Canada, qui fait semblant de croire (histoire de s'éviter d'âpres divisions internes) que la résolution Harper remplace celle que son aile québécoise voulait présenter, alors qu'il s'agit de deux résolutions absolument différentes?
Celle des libéraux allait plus loin en parlant du Québec (le territoire politique, pas seulement la communauté francophone) et en ouvrant la porte à un amendement constitutionnel. Mais les libéraux, trop contents de se faire extirper, grâce à Harper, du piège où Ignatieff et cie les avait précipités, ne voient pas la différence...
À Québec aussi, les sophismes abondent. Passons sur l'interprétation jovialiste d'André Boisclair, qui voit l'indépendance à nos portes, pour nous attarder sur la réaction de Jean Charest et de son intrépide sherpa Benoit Pelletier (l'autre apprenti sorcier qui a le premier allumé le cocktail Molotov de la "nation").
Les deux hommes ont en pleine face une résolution qui, en anglais, indique très clairement (par l'usage du mot "Québécois" plutôt que "Quebecker") qu'elle vise exclusivement les francophones de vieille souche. N'importe. Le sourire béat, M. Charest s'obstine à affirmer que la résolution englobe tous les Québécois, y compris les autochtones!
La nation québécoise, dixit M. Charest, englobe les Premières Nations. Ainsi donc, la seconde nation aurait avalé les premières. Beau cas d'anthropophagie.
Remarquez, et c'est bien le plus inquiétant, la confusion mentale abonde tout autant dans le cercle même d'où est sortie la motion sur la notion de nation.
Il était pathétique de voir la sénatrice conservatrice Marjorie LeBreton affirmer contre l'évidence que la résolution était inclusive, alors que le ministre Cannon, à ses côtés, confirmait qu'il s'agissait bien d'une définition ethnique, avant de se contredire, et finalement de disparaître à toute vitesse derrière le rideau. M. Harper, quant à lui, est silencieux, ayant eu la chance d'avoir été invité à la réunion de l'OTAN en Lettonie.
Une chose ressort clairement, cependant. Stephen Harper n'est pas Brian Mulroney. Ce dernier avait longuement réfléchi et mesuré ses coups avant de projeter le pays dans un débat existentiel. Et il respectait ses ministres et cajolait ses députés. Voyez, au contraire, la façon dont M. Harper traite les siens. Il a consulté le libéral Stéphane Dion sur le libellé de la résolution, mais ne s'est même pas donné la peine d'avertir à l'avance de ses intentions son propre ministre des Relations fédérales-provinciales. Rien d'étonnant à ce que ce dernier ait remis sa démission!


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