Sauver ou pas

Crise mondiale — crise financière

Il aura fallu moins de quarante-huit heures aux représentants de JP Morgan pour éplucher les livres de Bear Stearns, quantifier les pertes, avant de faire une offre à un prix dérisoire. Un prix qui en dit long sur l'état de décrépitude dans lequel était plongée la cinquième banque d'affaires des États-Unis. Menée à la hussarde entre la fermeture des marchés vendredi et l'ouverture des places boursières asiatiques hier, l'opération, c'est à retenir, a été commandée par la Réserve fédérale américaine (Fed). Rien de moins.

La raison de ce sauvetage, on la devine, se résume en peu de mots: éviter que la panique ne se déploie à vitesse grand V. Mais voilà, en venant à la rescousse d'une manière inusitée -- la Fed participe au financement de l'acquisition --, les autorités concernées ont envoyé malgré elles un message empreint de pessimisme. Il se pourrait bien que d'autres firmes de Wall Street soient confrontées à une crise de liquidités analogue à celle de Bear Stearns. Certains murmurent déjà que Lehman Brothers serait la prochaine.
En attendant que cette prédiction se vérifie ou pas, on constate que le coup de main consenti par la Fed a passablement amplifié un débat. Si certains jugent que la Fed n'avait pas d'autre solution que de participer au sauvetage de Bear Stears, d'autres estiment immoral que l'État vienne au secours d'un établissement réputé notamment pour son usage éhonté d'instruments financiers non réglementés, de véhicules si complexes qu'ils sont regroupés sous la rubrique... exotique!
Ironie de l'histoire, la Fed et JP Morgan ont mis sous perfusion financière la seule banque d'affaires ayant froissé l'ensemble de l'industrie lorsqu'elle avait refusé de venir en aide à Long Term Capital Management en 1998. Que l'on évite aujourd'hui la faillite à une banque qui aimait faire cavalier seul davantage que les autres en plus de militer ardemment pour le commerce des subprimes révulse bien des analystes de la scène. On les comprend.
Cela étant, la rafale de réductions du loyer de l'argent décidées par la Fed combinée à des injections massives d'argent frais et à l'élaboration de programmes divers font craindre une crise dépassant le strict cadre de l'industrie financière. Entre les pressions inflationnistes, l'envolée du prix de l'or et un baril de pétrole à 108 $, on appréhende une récession... dure! Et ce, des deux côtés de l'Atlantique. Car le repli constant du dollar américain, plutôt que la hausse de l'euro, plombe comme jamais les exportations européennes.
Lorsque l'on pose un regard sur les cartes économiques en présence, on peut formuler l'hypothèse suivante: que les embrouilles financières des Docteur Folamour de Bear Stearns et autres entament sérieusement la santé de l'économie réelle. Car en toile de fond il y a ceci: le nombre ahurissant de faillites personnelles aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Espagne conséquentes à la création et à l'usage intensif de produits monétaires se transformant en confettis au moindre souffle.


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