Augusto Pinochet est mort sans jamais avoir été traduit devant les tribunaux. C'est grâce à la bienveillance de ses amis britanniques et au manque de courage des autorités chiliennes que ce bourreau doublé d'un fraudeur a échappé à la justice. Le travail de deuil, celui des victimes évidemment, en sera d'autant plus douloureux.
Dix-sept ans durant, le dictateur chilien a symbolisé les dérives fascisantes, sanglantes, qui ont marqué l'histoire contemporaine du continent sud-américain. Sur ses ordres, des milliers de Chiliens ont été emprisonnés, torturés, assassinés. Son sentiment d'impunité était tel qu'il était allé jusqu'à commander la mort d'opposants en exil. Tout cela, on le sait.
De fait, on va s'attarder aux dernières années de sa vie pour mettre en relief les faveurs, du reste ignobles, qui lui ont été accordées par certains puissants de ce monde afin qu'il puisse couler une retraite tranquille. On pense évidemment à la mansuétude, soit dit en passant très sélective, dont le gouvernement britannique a fait preuve à son endroit.
Rappelons-nous, en octobre 1998: Pinochet (il n'est plus président du Chili depuis 1989) se rend à Londres pour se faire soigner, mais aussi, voire surtout, pour acquérir des armes. Il aime bien sa nouvelle profession d'intermédiaire en missiles, tanks et autres, car elle lui rapporte bien des espèces sonnantes. Toujours est-il que le juge Baltazar Garzón profite de cette escapade en sol britannique pour déposer une demande d'extradition.
Le magistrat espagnol croyait qu'aucune objection ne serait évoquée pour contrer sa requête, le gouvernement britannique ayant signé la Convention contre la torture en 1988. Des collègues belges, français et suisses de Garzón, certains que le 10 Downing Street respecterait sa signature, devaient imiter ce dernier. Tous devaient déchanter.
En effet, pendant des mois et des mois, le cabinet de Tony Blair allait multiplier des contorsions, aligner louvoiement sur louvoiement pour faciliter la sortie de Pinochet sans trop d'encombre. La parade choisie par les représentants de son auguste majesté britannique? L'état de santé de monsieur le dictateur. Il était, paraît-il, à l'agonie comme à l'article de la mort.
Pendant les six années qui allaient suivre le retour au Chili du grabataire (sic), celui-ci a fait preuve de suffisamment de lucidité pour effectuer de douteuses transactions financières dans le but, on s'en doute, de gonfler son trésor. Après avoir saigné son pays, l'homme a continué sur sa lancée: il est devenu un maître en affaires louches donc très rentables. Jusqu'au début de la présente année, le très-extrêmemement-malade Pinochet s'est employé à frauder.
Entre l'an 2000 et 2006, au Chili aussi, l'administration s'est évertuée à éviter tout procès. Lorsqu'on ne modifiait pas un texte de loi, on faisait ce qu'on fait toujours en ces cas-là, on laissait traîner. On feignait une volonté qui n'était en fait qu'une lâcheté. Dans cette histoire, on doit regretter l'aveuglement qui a habité les divers gouvernements pour tout ce qui a trait au devoir de mémoire. Et ce, pour des raisons d'ailleurs qui baignent dans le flou.
De toutes les réactions qu'a suscitées le décès de Pinochet, il faut retenir celle de l'ex-premier ministre britannique Margaret Thatcher. La mort du bourreau n'a pas attristé madame, mais l'a bien «profondément attristée». Cette réflexion n'est pas l'expression d'une peine mais du fanatisme. Le fait que tout le monde, y compris aux États-Unis, pays qui avait, comme on sait, soutenu avec force le renversement de Salvador Allende, déplore que Pinochet s'en soit tiré à si bon compte, n'a pas empêché Madame la baronne d'exprimer avec force sa sympathie. Nauséabond!
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé