S'effacer

Politique étrangère et Militarisation du Canada


Le Canada croit faire preuve d'une fermeté de bon aloi en se rangeant les yeux fermés derrière Israël et en condamnant en termes non équivoques le Hezbollah, comme l'a redit hier le ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay. Il ne voit pas le paradoxe que cela crée: en haussant le ton de cette façon, il en perd tout simplement la voix, sur la scène internationale comme auprès des électeurs.
La dépêche est tombée alors que Peter MacKay n'avait pas encore terminé sa prestation devant le comité des Affaires étrangères des Communes. Pendant que le ministre y allait de circonvulations à propos de la situation au Liban, ses 25 homologues européens en appelaient à une «cessation immédiate des hostilités», compromis en deçà d'un appel formel à un cessez-le-feu, mais demande plus ferme que les louvoiements canadiens.
Car si M. MacKay s'attriste comme tout le monde des bombardements, déplore les victimes que ceux-ci causent et souhaite un cessez-le-feu, la viabilité de celui-ci relève à ses yeux de l'illusion. Donc... Donc, le Canada n'a rien à proposer. Il attendra que les grands aient fini leurs discussions.
C'est de fait la seule position possible pour un ministre en culottes courtes et un premier ministre qui a fermé toutes les portes possibles dès le début du conflit, en saluant sans nuances la réplique «mesurée» d'Israël.
Sous prétexte qu'Israël est un pays ami, ce qui est vrai, le Canada s'est en fait abstenu depuis le début du martyre du Liban de remettre en question un quelconque geste israélien. Ce n'est pourtant pas nier la dynamique en cause, nourrie des provocations du Hezbollah, que de dire que certaines limites sont dépassées. Comme vient de le souligner, dans une lettre ouverte, l'ancien ministre libéral des Affaires étrangères, John Manley, l'amitié, c'est aussi de pouvoir dire à son copain qu'il a tort.
Même Bill Clinton, qui a, lui, oeuvré à la paix dans la région, a affirmé qu'Israël était allé trop loin, évoquant notamment la destruction de l'aéroport de Beyrouth.

Hier, M. MacKay a lui aussi mentionné l'aéroport détruit, et les routes, et les infrastructures : tout cela expliquait le défi qu'avait représenté l'évacuation des ressortissants canadiens du Liban. Mais il ne tirait aucune conclusion politique de ces constats techniques : que cet anéantissement n'était pas nécessaire et qu'un tel acharnement n'a fait que nourrir la popularité du Hezbollah, ce qui est bien le comble quand on prétend appuyer les voix démocratiques dans la région.
Le ministre faisait en fait la démonstration de la césure qui existe entre son gouvernement et le Canada tout entier, comme le démontrait hier un sondage commandé par le Globe and Mail et CTV. Les Canadiens n'ont pas seulement le coeur brisé -- pour reprendre l'expression de M. MacKay -- par ce qu'ils voient au Liban; ils se sentent concernés. Le fait que 72 % des répondants affirment suivre la situation de près est en soi révélateur, mais ils ont également des idées sur l'envoi d'une force de maintien de la paix et l'implication canadienne à cet égard. Et ils désapprouvent massivement, au Québec particulièrement, les prises de position de M. Harper. Sans doute parce qu'ils mesurent à quel point celles-ci sont... disproportionnées. Et encore, ce sondage a eu lieu avant la tuerie de Cana.
Pour le moment, en dépit de ce constat sévère, la popularité du gouvernement conservateur n'est pas entachée. La politique internationale du Canada n'a de toute manière jamais eu beaucoup de poids quand vient l'heure du vote. Mais il y a là une image qui est en voie de se figer... ou de s'effacer : le Canada, sous le règne de M. Harper, n'a tout simplement plus de personnalité internationale. Et le premier ministre, c'est bien là le pire, ne semble même pas en avoir conscience.
jboileau@ledevoir.ca


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