Requiem pour une commission?

Comment établir un dialogue nécessaire avec des citoyens qu'on a en fait insultés?

L'affaire Gérard Bouchard - accusé d'élitisme et de "séparatisme"...


Il serait évidemment très imprudent de déjà prédire l'échec de la commission Bouchard-Taylor. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est vraiment très mal barré, que cette commission a amorcé ses travaux d'une façon qui compromet sa capacité de remplir son mandat.



La plupart des commissions, ne l'oublions pas, ne passent pas à l'histoire et la plupart de leurs rapports s'empoussièrent sur des tablettes. Cela pourrait aussi arriver à la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles.
J'ai été l'un de ceux qui ont applaudi à l'idée de Jean Charest de confier à deux intellectuels respectés, Gérard Bouchard et Charles Taylor, le mandat de se pencher sur le dossier des accommodements raisonnables. Bien sûr, en ce faisant, le premier ministre se débarrassait d'une patate chaude, mais il proposait une démarche qui permettrait une réflexion plus profonde, susceptible de réconcilier les Québécois et de leur proposer des pistes d'action.
J'ai été mal à l'aise de voir l'un des deux commissaires, le bouillant historien et sociologue Gérard Bouchard, multiplier les déclarations pas toujours heureuses. En partant, M. Bouchard envoyait le message, maladroit pour une commission qui entreprend de vastes consultations, que son idée est déjà faite, qu'il a conclu avant d'écouter. Mais Gérard Bouchard n'a pas seulement trop parlé. Il a mal parlé. Dans ses déclarations, il a entre autres envoyé deux messages qui nuisent à la mission de la commission et l'éloignent de son but.
Le premier de ces messages, c'est la dramatisation du problème. Voici, en vrac, un échantillon des sorties de M. Bouchard: «Il y a un problème identitaire très sérieux parmi les Québécois d'origine canadienne-française», «malaise identitaire», «c'est comme si les Québécois d'origine canadienne-française avaient l'impression que leur culture connaît une sorte de vide, alors que la culture des autres est très vivante», «la révolution tranquille a détruit les anciennes traditions, comme la religion, sans les remplacer», «nous n'avons plus de traditions, nous avons perdu nos repères, et nous avançons un peu à tâtons».
Et pourtant, ce que vit le Québec n'a rien d'unique. Il s'agit d'un «défi occidental», comme le note le document de consultation de la commission, beaucoup plus posé. Évidemment, cet enjeu s'exprime de façon différente dans chaque société, en fonction de son histoire, de ses valeurs et de la nature de ses maillons faibles. Mais ce défi semble s'exprimer de façon moins aiguë et moins dramatique au Québec que dans la plupart des autres sociétés.
Bref, le commissaire a fait très exactement ce qu'il a reproché aux médias, créer un sentiment de crise, qui contribue à échauffer les esprits et qui compromet la recherche de solutions. Il est difficile, à écouter et à lire M. Bouchard, de ne pas conclure que l'heure est grave et de ne pas être envahi d'un sentiment d'impuissance.
Le second message, c'est le paternalisme. M. Bouchard, en réfléchissant à voix haute au rôle des intellectuels, «nous, les intellectuels, on a mal fait notre travail», a renforcé la distance qui pouvait exister entre les commissaires et la population.
Le paternalisme s'est transformé en mépris quand il a lancé son fameux «les gens qui ne sont pas des intellectuels mais qui regardent les nouvelles à TVA ou à TQS, dans le meilleur des cas au téléjournal».
Ce n'est pas seulement une petite phrase de trop. C'est une gaffe qui peut compromettre le succès de la commission.
Le but d'une commission, ce n'est pas seulement d'avoir des idées et d'écrire un rapport. Il y a un énorme travail d'après-vente, pour vendre ces idées, pour créer des consensus, pour mettre en oeuvre des solutions. D'autant plus que les commissaires, s'ils doivent analyser, écouter, comprendre et guider, doivent aussi, comme l'a noté M. Bouchard lui-même, «convaincre que l'immigration et la diversité, ce n'est pas juste un problème».
Rétrospectivement, ce n'était pas une bonne idée de confier une telle commission à deux intellectuels. Un seul intellectuel aurait suffi, à qui on aurait pu associer une personnalité plus à l'aise avec le débat public et les politiques publiques, pour mieux refléter la double nature d'une commission, la réflexion et l'action.
Mais le mal est fait. Et les débordements de M. Bouchard obligeront la commission à payer les pots cassés. Car on peut se demander comment les commissaires seront capables de parler à tous ces gens qui écoutent TVA et TQS, ce qui est la majorité de la population, après se les avoir mis à dos? Comment établir un dialogue nécessaire avec des citoyens qu'on a en fait insultés?


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