La surreprésentation politique de la périphérie à l'Assemblée nationale préserve les perspectives de carrières des élites régionales, mais il est difficile de prouver qu'elle bloque le développement du centre et la progression de sa population. (Archives PC)
Louis Massicotte - La première phase du débat sur la refonte de la carte électorale du Québec se termine par une victoire du statu quo, puisque le gouvernement Charest veut revoir avec les autres partis les critères de redistribution dont l'application par la Commission de la représentation électorale (CRE) a suscité l'ire des régions périphériques et de nombreux députés.
Il fallait s'y attendre, même si le découpage proposé par la Commission aurait conservé au Québec le championnat nord-américain de l'inégalité qu'il détient en matière de découpage électoral.
Le succès des régions périphériques tient à ce qu'elles ont trouvé la faille du dispositif créé durant les années 70 pour préserver le principe de l'égalité politique des électeurs. En dépit du dernier mot que la loi concède formellement à la CRE, la décision ultime appartient aux parlementaires. La Commission n'exerce qu'un pouvoir qui lui a été délégué par l'Assemblée. Face à un consensus transpartisan parmi ses mandataires, la Commission est impuissante. (…)
Les régions périphériques peuvent compter non seulement sur le soutien des députés péquistes qu'elles élisent majoritairement, mais aussi sur celui des quelques libéraux qui arrivent à y surnager. Au sein de leur caucus, ces derniers disposent d'une audience attentive, tant leurs collègues montréalais sont terrifiés par la perspective de voir leur parti disparaître «en région». (…)
Le succès des pressions en faveur du statu quo tient aussi en bonne partie au nombre de porte-voix sur lesquels la périphérie peut compter. Car si celle-ci souffre, à en juger par les recensements, d'un déficit de corps chauds, elle n'est surtout pas à court de politiciens! Quand un député vous dit qu'il doit servir 40 municipalités, comprenez qu'il peut compter, pour garantir l'intangibilité de son siège, sur 40 maires et six fois plus de conseillers municipaux, sans compter la ribambelle d'intervenants régionaux créés au fil des ans, tous convaincus dur comme fer de la capacité du politique à endiguer les tendances lourdes du développement économique.
Face à cette coalition puissante, les électeurs métropolitains et banlieusards sont bien mal pourvus. En fait, leur passivité assure la perpétuation du statu quo. Ils ignorent la réalité de leur propre sous-représentation et souvent ne s'en formalisent guère lorsqu'ils l'apprennent. Peut-être ont-ils raison d'une certaine manière. La surreprésentation politique de la périphérie préserve les perspectives de carrière des élites régionales, mais il est difficile de prouver qu'elle bloque le développement du centre et la progression de sa population. De plus, nombre d'urbains de fraîche date vénèrent leurs racines régionales et vivent leur migration comme un exil déchirant imposée par les lois implacables de l'économie. Même si la surreprésentation de la périphérie n'empêche pas plus sa stagnation aujourd'hui qu'autrefois, qui au Québec n'observe cette dernière sans un serrement de coeur? (…)
La voie judiciaire
Le processus politique classique a donné aux partisans de l'égalité du droit de vote tout ce qu'ils pouvaient en espérer. S'ils persistent à croire que les députés représentent des individus égaux en droit, et non des épinettes, des arpents de neige ou des kilomètres de toundra, il leur reste cependant un recours inédit.
Jusqu'en 1982, l'égalité des électeurs constituait un principe politique dénué de consécration constitutionnelle, et les parlements demeuraient juges souverains en ce domaine. Tel n'est plus le cas depuis l'adoption de la Charte, et surtout depuis la lecture qu'en a faite la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter en 1991. Cette décision a révélé que l'égalité du poids politique des électeurs, moyennant les ajustements nécessités par la géographie canadienne, constitue bel et bien un droit protégé par la Charte, dont les politiciens devront justifier la violation.
Ils auront le fardeau de la preuve, et devront l'établir dans un espace de discussion fort différent du processus classique, dominé par les élus en place, le journalisme de guerre pratiqué par certains médias régionaux, les menaces de représailles électorales et le chantage émotionnel. Les recours judiciaires ont puissamment contribué à faire en sorte que les autres provinces, soumises elles aussi à une géographie difficile, ont adopté à leur corps défendant des découpages électoraux plus égalitaires que le nôtre. En politique, il faut savoir choisir son terrain.
La Cour suprême des États-Unis a rendu en 1954 et en 1962 des décisions essentielles qui ont entraîné la fin de la ségrégation raciale et celle de la surreprésentation rurale. Dans chaque cas, les tribunaux ont dû intervenir parce que le processus politique classique n'offrait aucun espoir aux partisans d'une réforme. Il n'y avait rien à attendre ni des petits Blancs du Sud ni des députés ruraux qui dominaient les parlements. Détail intéressant, le juge en chef Warren, qui fut l'artisan de ces deux décisions, disait après sa retraite qu'à ses yeux, la deuxième réforme n'était pas la moins importante.
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