Qui a raison?

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Livres - 2008

L'ancien ministre péquiste Joseph Facal et l'éditorialiste en chef de La Presse André Pratte publient la semaine prochaine, chez Boréal, un échange de correspondance au sujet de l'avenir politique du Québec. En voici un court extrait.
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Moi, mes souliers...
André Pratte
La Presse
12 juillet 2007

Cher Joseph,
Pendant que j'écris ces lignes, il fait un temps superbe dehors. Solo, c'est le nom de mon chien, est couché sur son coussin, dans mon bureau à la maison. Il me regarde d'un oeil, l'air de dire: «Qu'est-ce que tu fais à tapocher sur ta machine alors que tu pourrais venir me lancer la balle?» Ce à quoi j'ai bien du mal à répondre... Il soupire.
Solo est un airedale. Un chien particulièrement difficile à élever en raison de son caractère, à la fois contestataire et sensible, et de son niveau d'énergie très élevé.
Un chien, comme tu le sais, c'est un paquet de problèmes, surtout certaines races. Solo a détruit plusieurs paires de souliers, déchiqueté toutes sortes de documents (plus efficace que n'importe quelle déchiqueteuse de bureau, je te le jure!), rongé les pattes de plusieurs tables et chaises, déchiré de beaux vêtements. Mais c'est un superbe chien, enjoué, taquin, intelligent. Bref, les avantages surpassent de loin les côtés négatifs. Tu me vois venir?
Tu as raison, ce n'est pas le fédéralisme en tant que tel qui est à la base de la prospérité du Canada. C'est tout ce que tu dis, mais aussi la mise en commun par différentes régions de leurs atouts respectifs. Le Québec gagne à être le partenaire de l'Alberta, de l'Ontario, des Maritimes. Le Canada anglais tire profit de son association avec le Québec.
Le fédéralisme ne fait qu'organiser et maintenir cette mise en commun. C'est tout, mais ce n'est pas rien.
Je ne minimise d'aucune façon le problème constitutionnel canadien. J'ai couvert la conférence des premiers ministres de novembre 1981. Je me rappelle la profonde déception que j'ai ressentie en apprenant qu'il y avait eu entente sans le gouvernement du Québec. Je me souviens du malaise, de la tristesse, de la révolte que j'ai éprouvés en voyant les journalistes canadiens-anglais célébrant entre eux ce moment historique, faisant apparemment abstraction de l'opposition du gouvernement québécois.
La mésentente sur le statut distinct du Québec reste profonde et je ne sais pas si nous ne parviendrons jamais à un accord sur ce point. Cela fragilise le Canada et justifie certainement le mécontentement des Québécois à l'endroit de cette majorité qui ne semble pas comprendre nos revendications. Il y a donc là, j'en conviens volontiers, un gros os. (...)
Toute la question est de savoir si l'existence de ce problème de fond nécessite qu'on fasse l'indépendance. Tu réponds oui parce que, selon toi, c'est la seule manière de régler définitivement la question. Je réponds non, parce que je crois que: 1) le problème ne serait pas réglé; 2) la souveraineté entraînerait d'autres problèmes qui auraient plus d'effets néfastes sur le bien-être des Québécois que n'en a l'impasse constitutionnelle actuelle. Le meilleur moyen d'empêcher Solo de détruire mes souliers, c'est de le donner à la SPCA et d'en adopter un autre. Le problème serait en apparence réglé. Mais les bons côtés de Solo me manqueraient terriblement. Et qui sait si son successeur ne ferait pas pipi partout dans la maison?
Ce que le Québec n'a pu obtenir du reste du Canada, soit la reconnaissance de son statut distinct dans la Constitution (ce statut a été reconnu à plus d'une reprise par la Chambre des communes), il ne l'obtiendrait pas plus avec l'indépendance. Certes, nous serions un pays, avec un siège aux Nations unies et la fierté que cela apporte. Mais une fois passée l'émotion de voir le président de la république du Québec (disons... Joseph Facal!) prononcer son premier discours devant l'Assemblée générale de l'ONU, une foule de nouvelles difficultés se poseraient. (...)
Sur ce, bonnes vacances! Tu vas aux États-Unis, je crois? Ce matin, il y avait trois heures d'attente au poste des douanes de Lacolle. Curieux, cet engouement qu'ont les Québécois pour les USA, en même temps qu'ils dénoncent tout ce que font les Américains dans le monde et applaudissent Michael Moore à tout rompre...
Moi, en bon fédéraliste, je vais passer quelques jours à Vancouver. À bientôt!
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I'm back!
Joseph Facal
La Presse
7 août 2007

Cher André,
Excuse-moi d'abord pour le temps que j'ai mis à te répondre. J'en suis un peu gêné. Nous étions à Wildwood et à New York. La seule religion que je pratique est d'essayer de penser le moins possible à la politique québécoise et canadienne quand je suis en vacances. Je trouve que sortir du pays m'y aide. Je ne me précipite pas sur le journal du matin, et quand on allume la télévision à l'hôtel, c'est pour regarder le canal météo... ou Les Simpson.
(...) Je tente ce matin ce qu'on appelle au Pentagone une frappe chirurgicale: me concentrer sur le noeud du problème plutôt que d'arroser de bombes une large surface.
Le point central de ma dernière lettre était que la nation québécoise n'est pas libre au sein du Canada. Non pas qu'elle soit opprimée dans le sens d'y être persécutée ou tyrannisée. Certes, des souverainistes ont été occasionnellement mis sur table d'écoute, emprisonnés jadis sans qu'on leur en communique les motifs, ou bien ils ont affronté des adversaires qui changeaient en cours de partie les règles qui ne leur convenaient plus. Mais je te concède que le Canada, pour reprendre la formule consacrée, n'est pas le goulag.
Le Québec n'est pas libre, disais-je, dans le sens très précis où il est inséré dans un système politique qu'il lui est virtuellement impossible de changer de l'intérieur, qui lui fait subir des contraintes imposées par d'autres, contraintes qu'il n'a ni voulues ni jamais reconnues et qu'il n'arrive plus à lever. Le Québec est certes libre de demander tant qu'il veut, mais ses revendications, en plus de ne pas être satisfaites sur l'essentiel, doivent emprunter un chemin et suivre des règles auxquelles il n'a jamais consenti et qui garantissent d'avance le blocage. S'il est vrai qu'on ne saurait parler d'oppression, on parlera donc de domination.
Tu dis trouver cela «grossièrement exagéré» de ma part. En quoi? Tu me dis simplement qu'il s'agit d'un «gros os», puis tu t'emploies à montrer: 1) que le Canada est, somme toute, un endroit où la vie quotidienne est plutôt confortable sur le plan matériel; et 2) que faire la souveraineté serait un processus long et ardu. Deux fois vrai.
(...) Je pourrais ici ouvrir mille fronts. Par exemple, une domination confortable n'en est pas moins une domination, d'autant plus insidieuse justement que ce confort anesthésie la conscience historique et la volonté collective. Je note aussi qu'en disant, d'un côté, que le mécontentement des Québécois à l'endroit de la majorité canadienne est justifié mais, de l'autre, que nos revendications ne seront peut-être jamais satisfaites, ta position revient à condamner les Québécois à macérer dans le mécontentement pour un bon bout de temps.
Je pourrais également refaire l'historique de toutes les négociations constitutionnelles avortées en faisant ressortir que les revendications québécoises sont chaque fois moins ambitieuses que la fois précédente et le refus canadien chaque fois plus ferme, ce qui indique bien la direction générale des choses.
Tu soulignes l'adhésion d'une majorité de Québécois aux principes de la Charte canadienne des droits et libertés (comme si on pouvait trouver beaucoup de gens qui se diraient ouvertement racistes ou contre la liberté de pratiquer sa religion!). Mais les Québécois adhéraient à tous ces nobles principes, que la Charte n'a pas inventés, avant son adoption. Est-ce que souligner cette adhésion pour relativiser les circonstances de son adoption revient à dire que si le gouvernement fédéral et les neuf autres provinces pensaient à l'époque que ce serait bon pour nous, alors il deviendrait moins inacceptable qu'on nous l'ait imposée? La volonté de l'Assemblée nationale n'avait donc aucune importance?
Mais qu'est-ce que c'est que cela, sinon justement un système de domination politique, qu'elle soit bienveillante ou pas? C'est même l'essence de la domination: le dominant se convainc qu'il sait mieux que le dominé ce qui est bon pour ce dernier, et c'est ainsi qu'il justifie sa domination.
(...) Je ne doute pas un instant que cela saura t'inspirer.
Meilleurs voeux à toi, à ta conjointe et à tes enfants. Hugo envoie ses salutations canines les plus distinguées à Solo.
Joseph
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Photo Rémi Lemée, La Presse


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