Le discours du nouveau chef du Parti québécois suscite un certain scepticisme tant chez les observateurs de la scène politique que chez les militants de ce parti. Depuis son accession à la direction de ce parti, certains lui ont reproché son arrogance, une propension aux discours ronflants mais peu substantiels ou encore sa tiédeur à l'endroit de la souveraineté.
Pour évaluer le bien-fondé des réserves exprimées à l'endroit du nouveau chef du Parti québécois, nous avons réalisé une étude lexicométrique de cinq discours qu'il a prononcés depuis son entrée en fonction et qui sont accessibles sur le site Internet du PQ. Ces cinq discours totalisent 21 491 mots répartis en 895 phrases. La longueur moyenne de ses phrases est de 24 mots, ce qui correspond à la norme habituelle des discours politiques puisque la longueur moyenne des phrases prononcées par les premiers ministres québécois depuis 1960 est de 24,7 mots.
L'étude des caractéristiques lexicales des discours d'André Boisclair permet de jeter un éclairage nouveau sur la nature de ses interventions sur le plan tant du style que du contenu.
Un discours décliné au «je» ?
Le discours de Boisclair est-il centré sur sa propre personne ? L'emploi des pronoms personnels de la première personne du singulier et du pluriel peut être un indicateur de la vision implicite qu'un locuteur a de lui-même, l'usage du «je» révélant une conception personnalisée de la gouverne alors que l'usage du «nous» suggère une conception collégiale du pouvoir.
Chez Boisclair, le «nous» l'emporte nettement sur le «je» (304 et 206). Cette prédominance de la référence collective s'observe aussi dans l'usage des pronoms possessifs («nos», «notre» : 194; «mon», «ma», «mes» : 21). Le «nous» peut aussi être remplacé par le pronom impersonnel «on», qui joue la même fonction. Le «on» qui réfère à un collectif indéterminé est employé à 149 reprises. La référence au collectif est donc deux fois plus importante que la référence à sa propre personne, ce qui laisse penser qu'il n'est pas aussi imbu de lui-même qu'on l'a dit.
En comparant les proportions de «je» et de «nous» par phrases chez André Boisclair avec celles de son prédécesseur Bernard Landry, on constate d'une part que la proportion de «je» est supérieure chez Boisclair (.23 comparativement à .13) mais d'autre part que la proportion de «nous» est elle aussi supérieure (.34 par rapport à .20). Si Boisclair donne l'impression d'avoir un ego surdimensionné, cela dépendrait moins du vocabulaire qu'il utilise que de son langage corporel.
Si Boisclair préfère parler au nom d'un collectif qui l'englobe, à quelle dimension du collectif se réfère-t-il le plus ? Que désigne son «nous» : le parti, les Québécois ou d'autres collectifs ?
Comme trois de ses discours s'adressaient à des assemblées partisanes, c'est le Parti québécois qui est principalement désigné par ses usages du «nous» (46 %) alors que 43 % de ses «nous» réfèrent aux Québécois, les autres désignant pour la plupart les politiciens. Cette insistance sur le collectif partisan indique une volonté de rassemblement des troupes après la dure épreuve de la course à la direction.
Un souverainiste mitigé ?
On a mis en doute les convictions souverainistes d'André Boisclair et on lui a reproché de ne pas en faire la promotion. Pourtant, Boisclair ne ménage pas les références aux concepts clés du discours nationaliste : la souveraineté revient à 32 reprises et il parle explicitement de la nation québécoise (cinq fois). Il mentionne huit fois «la nécessité de faire la souveraineté».
Comme l'ont soutenu les autres dirigeants de ce parti avant lui, la souveraineté est un moyen pour faire progresser le Québec : «Il nous faut la souveraineté du Québec pour réinvestir en éducation, pour accorder la priorité au développement durable, pour soutenir les familles et assurer la pérennité de la langue française.» La souveraineté est le seul moyen d'effectuer de vrais changements : «Ce qu'on veut au Québec, c'est un pays»; «La souveraineté, pour nous au Parti québécois, en 2006, c'est un moyen pour accélérer le développement du Québec. C'est ça, le défi qu'il faut relever.»
Il répète à huit reprises un slogan cher à Jacques Parizeau : «Un Québec pour le monde.» Il s'est engagé à faire le référendum «le plus rapidement possible» après son élection. Il est donc parfaitement en phase avec le programme de son parti et ne déroge pas de la ligne de pensée de ses prédécesseurs.
Les axes de communication
Tous les leaders souverainistes ont dû assumer la dualité du projet national et du projet social en axant leur stratégie de communication sur des objectifs à court terme devant être réalisés par un gouvernement provincial et l'objectif principal de l'accession à la souveraineté. Ils développent donc un argumentaire qui offre de nouvelles politiques réalisables tant que l'indépendance n'est pas faite mais qui favoriseront le développement du Québec et inciteront les Québécois à dire oui au projet de pays.
Cette dialectique postule que plus le Québec sera fort et fera de gains, plus les Québécois voudront prendre possession de l'ensemble du coffre d'outils.
Voici un exemple de ce raisonnement : «M. Harper, M. Charest, tous les gains que vous ferez pour le Québec, nous allons les saluer ! Tous les gains que vous ferez pour le Québec, ce sera tout simplement un Parti québécois qui, lorsqu'il proposera aux Québécois de faire la souveraineté, sera mieux placé pour la réaliser, parce qu'on sera plus forts, parce qu'on aura progressé.» (18 mars 2006.)
Pour déterminer les axes de communication privilégiés par André Boisclair, nous avons relevé les substantifs les plus fréquemment employé, révélateurs des principales préoccupations d'un chef politique. Dans son cas, les substantifs les plus utilisés sont les suivants : «développement» 80, «région» 51, «monde» 51, «gouvernement» 51, «État» 50, «défi» 40, «souveraineté» 32, «éducation» 28, «économie» 26, «entreprises» 24, «ensemble» 24, «recherche» 23, «jeunes» 20, «services» 20, «confiance» 18, «emplois» 18, «avenir» 16, «santé» 16, «succès» 16.
Le positionnement idéologique d'André Boisclair tente de concilier la tradition social-démocrate, qui valorise les services publics et l'État comme outil de développement, et les préceptes du néolibéralisme, qui font de l'entreprise privée le moteur de l'économie et de la création d'emplois. «Il faut reconnaître, dit-il, l'apport considérable du modèle social-démocrate québécois... Par contre, il faut admettre qu'une part des critiques qu'on entend contre l'interventionnisme de l'État sont fondées.» (19 août 2006.)
Il se tient à mi-chemin de la gauche et de la droite. Il se rallie à la gauche par les objectifs et les valeurs qui fondent sa politique : l'équité, l'égalité des chances, la responsabilité, la démocratie et la défense de l'identité culturelle, mais il se rapproche de la droite par les moyens qu'il préconise pour les atteindre. «Plutôt qu'un État uniforme, omnipotent, omniprésent, je préfère un État chef d'orchestre qui arbitre les choix entre divers modes de prestations de services.» L'État coordonne, établit les normes et contrôle leur mise en oeuvre mais laisse ensuite jouer la concurrence entre les secteurs public, privé et communautaire pour déterminer lequel serait le plus efficace pour réaliser la prestation de services.
Il peut ainsi se démarquer de la gestion des libéraux tout en se montrant ouvert au monde de l'entreprise privée. Se tenir à mi-chemin entre ces deux logiques de l'action gouvernementale sera un pari difficile à tenir et le rendra vulnérable à la tentation de l'ambivalence.
Un style combatif
Pour évaluer la combativité d'André Boisclair, nous avons recensé les adverbes de négation comme «non», «ne», «n'» et «pas», qui peuvent servir de révélateurs d'un discours polémique ou critique. Chez André Boisclair, la proportion de phrases contenant un adverbe de négation est de .30, ce qui signifie qu'environ un tiers de ses phrases ont une portée polémique, alors que l'indice de Bernard Landry était de .27. On peut donc affirmer qu'André Boisclair est aussi combatif que son prédécesseur.
On peut compléter cet indicateur par la propension à nommer son adversaire. Lorsqu'un chef de parti désigne son ou ses adversaires dans son propre discours, ce n'est pas pour les louanger mais pour les dénoncer. La pugnacité de Boisclair est attestée par le fait que Jean Charest est mentionné 43 fois. Cette propension à l'attaque est aussi démontrée par les 19 références qu'il fait aux libéraux. Dès son entrée en fonction, le nouveau chef du Parti québécois est passé à l'attaque en dénonçant l'indécision du gouvernement Charest.
Les discours d'André Boisclair semblent beaucoup plus substantiels depuis quelques mois. Le corpus que nous avons analysé est certes limité, mais il pose les jalons de l'argumentaire qui alimentera sa rhétorique électorale.
Denis Monière
_ Professeur au département de science politique de l'Université de Montréal
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