Quel Nicolas Sarkozy deviendra, le 16 mai, président de la République française? Le Sarkozy ex-ministre de l'Intérieur, idéologue «sécuritaire» au vocabulaire incendiaire, qui parlait de «nettoyer la racaille» au canon à eau? Le Sarkozy explosif et inquiétant qui a déjà empoigné au collet et insulté des camarades de son propre parti?
Ou bien le Sarkozy cuvée 2007, remarquable de self-control, qui s'est même permis de dire -- oui, lui! -- «Calmez-vous, Madame!» à Ségolène Royal pendant le débat télévisé ? L'homme qui, ces derniers mois, a invoqué sans vergogne les grands humanistes de gauche du XXe siècle ? Et qui -- encore hier, dans son discours de victoire -- évoquait le «besoin de protection» des petites gens et des fauchés de la vie?
On répète que Nicolas Sarkozy représente, en 2007, une droite claire et nette, une droite «décomplexée». Dans son discours d'hier, il a répété les mots «travail, autorité, morale, respect»... Et pourtant, rien ne dit que l'opportunisme politique ainsi que le doux confort de l'Élysée (dont Jacques Chirac a passivement joui pendant 12 années de sa vie) ne tempéreront pas, à l'usage, les côtés «activiste boulimique» et «idéologique» du personnage.
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Le besoin de réforme économique en France, voilà un constat qui traverse le clivage gauche-droite... Une présidente Royal aurait, elle aussi, été poussée à revoir certains éléments coûteux -- peut-être prohibitifs -- du fameux «modèle social français».
Mais il y a aussi la méthode. Celle de Mme Royal se voulait modérée, consensuelle, participative... Celle de Sarkozy, si l'on se fie à son passé, pourrait être moins douce.
Figure majeure du gouvernement sortant, ministre, leader du parti gouvernemental sous Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a réussi le tour de force de se faire passer pour l'homme de la «rupture» et de la «nouveauté». Hier encore, il ouvrait son discours avec ce mot: «rompre», rompre avec le passé...
Et pourtant... cette «rupture», ceux qui connaissent bien la «France éternelle», vous diront qu'ils y croiront lorsqu'ils la verront. Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir avec le projet déclaré de «tout changer». On dit même qu'il entend «agir très vite» avant que les pesanteurs séculaires ne le ramènent au sol.
Alors, Sarkozy: un idéologue au pouvoir? Un hyper-activiste efficace et dangereux? Ou, à l'usage, un opportuniste conciliant? Ou bien finalement -- comme beaucoup d'autres avant lui --, un simple jouisseur du pouvoir? L'avenir, l'avenir proche, nous le dira...
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Jeudi, l'Écosse a connu son 15 novembre 1976.
Enfin, un petit 15-Novembre, puisque la victoire du Parti national écossais (SNP), cousin du Parti québécois, aux élections régionales en Écosse, est relative. Le parti d'Alex Salmond -- un René Lévesque en kilt mais sans cigarettes -- a battu de justesse, au Parlement d'Édimbourg, le Labour traditionnellement dominant en Écosse. Le SNP a obtenu un peu plus du tiers des sièges avec un peu moins du tiers des votes. Il devra donc soit faire une coalition, soit former un gouvernement minoritaire.
Victoire modeste donc, mais victoire quand même, avec un parti dont le vocabulaire ressemble étrangement à ce que l'on connaît ici: «D'abord, faire un bon gouvernement régional et puis, ensuite, dans quelques années, tenir un référendum sur notre statut constitutionnel.» Presque mot à mot le programme du PQ en 1976, lors de sa première victoire électorale...
Le SNP, comme le PQ, se présente comme une formation de centre gauche. Et comme le PQ, il parle du maintien essentiel d'une forme d'union économique à l'échelle supranationale.
Les similitudes ne s'arrêtent pas là: en Écosse comme au Québec, la population se montre ambivalente. De Glasgow à Édimbourg, l'indépendantisme oscille dans les sondages entre 30 et 50 %. Pas plus là-bas qu'ici, nous ne sommes dans le cas de figure «unanimiste» (90 % et plus), constaté au cours des deux dernières décennies lors des référendums tenus en Lituanie, en Croatie, en Érythrée ou au Timor oriental.
Mais il y a aussi des différences importantes entre le Québec et l'Écosse.
La nation écossaise a beau être millénaire, et le SNP frôler les 75 ans d'âge, un nationalisme écossais moderne qui s'incarne dans un parti apte à conquérir un Parlement, voilà une chose neuve. Le Parlement d'Édimbourg n'a pas dix ans: il s'agit d'une concession au peuple écossais faite en 1997 par un Tony Blair fraîchement élu. On est loin des deux siècles de parlementarisme au Québec.
Et puis le nationalisme écossais a survécu à la quasi-extinction du gaélique comme langue de la vie quotidienne et économique. Aujourd'hui, lorsqu'à Glasgow on dit «Vive l'Écosse libre !»... on le dit en anglais. Peut-on imaginer l'équivalent ici: un nationalisme et un indépendantisme qui continueraient d'exister, au Québec en 2076, après l'assimilation totale au monde anglo-saxon? Long Live Free Quebec!
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com
Quel Sarkozy ?
France - élection présidentielle 2007
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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